Chronique LCP du 23/01/2024
Blog de Pierre-Henri TAVOILLOT
Lato sensu
jeudi 1 février 2024
Pourquoi fait-on des enfants ?
mardi 5 décembre 2023
Cinquante nuances de vert
Chronique LCP du 23 novembre 2023
A l’approche de la COP 28 qui se déroulera à Dubaï à partir du 30 novembre, vous souhaitez revenir sur les formes contemporaines de l’écologie.
Oui, car toutes les enquêtes d’opinion le montrent : la préoccupation environnementale est devenue un, voire le souci majeur dans toutes les opinions publiques occidentales et notamment française . En un sens tout le monde est devenu écologiste. Mais si tout le monde est peu ou prou écolo, personne ne l’est de la même manière, au point même que l’on pourrait dénombrer bien plus de « 50 nuances de vert ».
Est-ce que, dans cette diversité, l’on peut, malgré tout, s’y retrouver ?
Il y a plusieurs types de classement possible. Le premier partirait de ce qu’on met au centre de l’écologie. Est-ce l’Homme ou est-ce la Nature ? Ou plus exactement la nature a-t-elle de la valeur parce qu’elle est la maison de l’homme (c’est l’origine du mot écologie : oikios/logos : le discours rationnel sur la maison), ou parce qu’elle vaut par elle-même et pour elle-même ? C’est une opposition entre — D’un côté, l’environnementalisme qui va défendre le développement durable — (qui n’empêche pas une certaine sobriété) : c’est-à-dire une nature ménagée et aménagée au profit de l’humain. — De l’autre côté la deep ecology (ou écologie profonde) qui va prôner, non le développement durable, mais une totale décroissance, car, pour elle, l’action humaine quelle qu’elle soit est toujours une mise en danger de la Nature. Il faut donc combattre la démesure (hybris) de l’homme aspirant à se poser, comme disait Descartes, en « maître et possesseur de la nature ». Bref, écologie anthropocentrée, d’un côté ; écologie antihumaniste de l’autre.
Y a-t-il d’autres clivages possibles dans le vert ?
Il y a en a un méconnu, mais qui me semble important. L’écologie est-elle seulement une politique ou devient-elle aussi sinon une religion, du moins une spiritualité ? Ce qui met la puce à l’oreille c’est cette formule « sauver la planète ou la nature ». C’est quand même la thématique du salut qui est en jeu, et ce n’est pas rien si l’on prend un peu de recul. « Sauver la nature », pour un philosophe grec, Socrate, Aristote, ou Epicure, une telle prétention est ridicule, car la nature, pour eux, c’est l’éternité : tout naît, tout croît, tout meurt ; ce cycle (physis) est éternel et prétendre le sauver n’a strictement aucun sens. Idem pour un chrétien, mais parce qu’il y a un seul sauveur du monde — salvador mundi — c’est le Christ, qui a en, pour ainsi dire, le monopole. Face à ces grands modèles, l’écologisme (qui n’est pas toute l’écologie) émerge comme scandale pour les chrétiens et folie pour les Grecs. Que dit-elle ? Que chaque petit individu est à même de sauver le monde. Immense défi ! On comprend à partir de là plusieurs phénomènes induits par l’écologisme : l’eco-anxiété (serons-nous, nous autres pécheurs, à la hauteur de cette mission ?), le culte de l’apocalypse (la fin du monde est proche !), mais aussi le fanatisme (« je suis la voix de celui qui crie dans le désert »). Attention : l’écologisme ne résume pas l’écologie, mais il en est devenu une dimension non négligeable.
dimanche 12 novembre 2023
Le RN est-il (encore) d’extrême droite ?
Tribune pour Le Figaro (10/11/2023)
Chronique pour LCP (8/11/2023)
Contrairement à la LFI, le RN a annoncé sa participation au rassemblement du 12 novembre contre l’antisémitisme suscitant l’embarras des partis de « l’arc républicain », qui appelaient pourtant à l’unité nationale. D’où cette question : le RN est-il encore d’extrême droite ? C’est la question qui fâche, mais qu’il faut tenter d’aborder de manière dépassionnée en distinguant trois sens du terme « extrême droite ».
Le premier, purement institutionnel, désigne, depuis août 1789 et le vote sur le véto royal, la position dans l’hémicycle. De ce point de vue, le RN est bien à l’extrême droite. Le deuxième sens est historique et idéologique. Il émerge contre la Révolution française, se déploie dans les ligues fascistes, s’épanouit sous Vichy et rebondit avec l’OAS. Trois traits principaux caractérisent cette idéologie. D’abord, l’antiparlementarisme ; ensuite une position réactionnaire ou mieux révolutionnaire conservatrice qui consiste à tout casser pour tout garder ; enfin l’idée d’une pureté nationale à défendre contre les adversaires extérieurs et contre les ennemis de l’intérieur : la nation n’est pas « un plébiscite de tous les jours » comme disait Renan, mais une substance mystique qui transcende ses membres.
Il y a un troisième sens d’extrême-droite, qui insiste sur le mot extrême. Dans son livre, Qui est l’extrémiste ? (Intervalles, 2022), Pierre André Taguieff distingue trois dimensions : la légitimation de la violence, l’intolérance totale face à tout désaccord et le fanatisme absolu à l’égard d’une Cause sacrée, d’une fin qui justifie tous les moyens.
Si l’on s’accorde sur ces critères, hormis le premier sens purement topographique, il faut bien admettre que le RN ne coche plus les cases de l’extrême-droitisme. Marine Le Pen a rompu avec le feu FN sur au moins deux points idéologiques qui ne sont pas négligeables : elle se rallie à la lutte contre l’antisémitisme, alors que son père était l’homme du « point de détail » ; elle s’est convertie à la laïcité, alors que son père se situait dans le catholicisme traditionnaliste. C’est une laïcité certes plus identitaire que républicaine, mais l’évolution est notable. Pour ce qui est de l’extrémisme, c’est plutôt la LFI qui l’incarne aujourd’hui avec une légitimation explicite de la violence (appel aux émeutes) et une logique de plus en plus forte de purges internes (intolérance). Le fanatisme, troisième trait de l’extrémisme, n’est pas présent, puisque sa cause n’a rien de sacrée : c’est seulement l’accès au pouvoir.
Comment alors qualifier le RN s’il n’est plus d’extrême droite ? Je dirais qu’il s’agit d’un parti de droite radicale, populiste et illibérale. Il prône une idéologie « hyperdémocratique », selon laquelle il faudrait toujours plus de demos (contre l’oligarchie des élites) — c’est la dimension populiste — ; et toujours plus de cratos (contre la technocratie de l’Etat profond). Au nom du Peuple et de la Nation, il faut être prêt à prendre quelques libertés avec les libertés : c’est la dimension illibérale. A mon sens, le procès d’excommunication en extrême-droitisme du RN tend plutôt à le renforcer, car cela revient à proclamer que les 13 millions d’électeurs de Marine Le Pen sont des idiots ou des salauds. Idiots, parce qu’ils ne voient pas que le RN est raciste et fasciste ; salauds, parce qu’ils l’ont trop bien compris. Ce n’est certainement pas le meilleur message à leur adresser pour tenter de les récupérer.
Il vaudrait mieux objecter au RN, je crois, 1) que ses promesses de renverser « le système » sont vouées à l’échec du fait de leurs excès et des oppositions qu’elles susciteront ; et 2) qu’il est un parti dont, en dépit d’un incontestable ravalement de façade, l’arrière-boutique reste remplie de « vieux démons », qui ne faciliteront guère son exercice du pouvoir. Ces objections politiques me semblent beaucoup plus efficaces que l’excommunication morale, car le pire service à rendre au RN consiste à le banaliser. Ce qui, d’ailleurs, me fait percevoir que j’ai oublié un quatrième usage du terme d’« extrême droite » : c’est le moyen pratique de disqualifier quiconque n’est pas d’accord avec moi.
mercredi 18 octobre 2023
L'école : zone de guerre
L’école, cette « zone de guerre »
Les trois islams en France
Je republie ce post de mon blog de 2016, après mes propos trop hâtifs et erronés sur France Inter ce 18 octobre 2024.
L’enquête passionnante de l’Institut Montaigne (IFOP, recensée par le JDD, 18 septembre 2016) apporte quelques indications intéressantes sur les musulmans en France. D’abord, sur le nombre. Au sein de l’échantillon représentatifs, ceux qui qui se déclarent « musulmans » constituent 5,6% de la population des plus de 15 ans vivant en France et 10% des moins de 25 ans. On est loin des 8% ou 10% souvent avancés. Cela ferait une population comprise entre 3 et 4 millions. Le deuxième enseignement concerne la diversité de cette partie de la population française. L’enquête identifie trois « types ».
1) Le premier islam désigne les « sécularisés » : l’islam y a cessé d’être, au sens strict, une religion pour devenir « tendanciellement » une culture (à l’instar des chrétiens). Ils représentent 46% de ceux qui se déclarent musulmans. Les pratiques peuvent exister, mais elles sont intégrées — sans ambiguïté — au cadre républicain à l’exception du halal (une majorité notable considère qu’il devrait être proposé dans les menus des cantines scolaires) et du voile-hijab) qui est considéré comme acceptable dans l’espace public, voire professionnel (mais pas le niqab ni la burka).
2) Le deuxième islam — « les islamics pride » — représente une part de 25%. Ceux-ci revendiquent l’expression de leur foi dans l’espace public, mais rejettent les pratiques « excessives » : niqab et polygamie. Ils se sentent davantage représentés par Tariq Ramadan que par le CFCM (que, par ailleurs, les « sécularisés » ignorent) !
3) Le troisième islam est intégriste et rigoriste. Ce sont les « ultras » qui représentent 28% des musulmans auto-déclarés (soit environ 1 million de personnes en France !) : ils sont en rupture avec les valeurs républicaines, considèrent que la Charia est plus importante que la loi de la République, sont favorables au port du nikab, de la burka et à la polygamie. Ils sont surreprésentés parmi les jeunes (50% des moins de 25 ans ; 20% à peine des plus de 40 ans). Sur cette base, l’Institut Montaigne propose plusieurs mesures que je laisse ici de côté, car le véritable problème est de savoir s’il peut y avoir une seule politique pour ces trois islams ? Les premiers demandent de la République une forme de tolérance et une meilleure intégration dans la collectivité nationale. Ce qui, à mon sens, ne poserait aucun problème s’il n’y avait pas les deux autres islams. En effet, le deuxième exige non seulement la tolérance, mais une véritable reconnaissance de droit et potentiellement de droit à la différence, en rupture avec la loi républicaine. Et le troisième aspirent, ni plus ni moins, qu’à la subversion voire à la destruction de la République.
Cela fait tout de même 2 millions de personnes en France qui ne s'inscrivent pas dans le cadre laïcité (même si tous ne sont pas en lutte armée contre elle !).
PS (15/11/2023). J'ajoute à ce post de 2016 que la référence à Tariq Ramadan n'est pas faite ici pour rassurer quant à la modération de la Catégorie 2. Elle ne diffère de la catégorie 3 que sur la stratégie (entrisme vs combat) mais non sur la finalité (le califat mondial).
mercredi 4 octobre 2023
De l'art de rendre des comptes
Chronique LCP du mercredi 4 octobre 2023
La présidente de l’Assemblée Nationale souhaite « redynamiser » la séance des questions au gouvernement qui a lieu tous les mardis à 15h. Cela vous fait réagir, Pierre-Henri Tavoillot.
Ce n’est pas un point anecdotique et la présidente de l’Assemblée a raison de s’en préoccuper. La démocratie ne peut se contenter d’être un jeu de lois et une succession de discours. Parce qu’elle se fonde sur l’espace public, elle doit aussi être une scène et un spectacle. Platon, en son temps, avait dénoncé la théâtrocratie, car il y voyait l’emprise de la démagogie : mais Platon n’était pas démocrate. Rousseau, qui l’était davantage, critiquait le théâtre, comme excluant le peuple (cantonné au rôle de spectateur) du jeu des acteurs. Il préférait la « fête révolutionnaire », participative, mais Rousseau était adepte de la démocratie directe. Or, dans nos démocraties représentatives, la représentation politique doit aussi être théâtrale.
La Présidente Yaël Braun-Pivet, considère (à juste titre) qu’elle ne l’est pas assez ou que la pièce manque un peu de piquant. Elle envisage plusieurs pistes pour remettre un peu de peps dans le plebs (la Plèbe) ; et amuser un peu plus la galerie. Ses propositions sont des questions/réponses plus courtes pour un échange plus incisif ; ou alors moins de questions ; ou alors un temps de questions distribué par groupe ; ou revenir à deux séances hebdomadaires. Je ne suis pourtant pas certain que cela change beaucoup la donne.
Auriez-vous une proposition à lui faire ?
Eh bien oui : le Parlement français, après avoir reçu Charles III au Sénat, pourrait adopter la pratique anglaise des questions aux Communes. En Angleterre, le Premier Ministre est seul dans l’arène et doit répondre en direct et sans préparation à toutes les questions des députés de l’opposition et de la majorité : chaque semaine, c’est un grand oral qui ressemble à un grill.
On a ce propos le témoignage de M. Thatcher et de T. Blair dans leurs mémoires respectifs : « Aucun autre chef de gouvernement dans le monde, écrit ainsi M. Thatcher, n’est soumis à ce genre de pression régulière et beaucoup font des pieds et des mains pour l’éviter ; aucun, comme je ne manquais pas de le rappeler à mes collègues d’autres pays que je rencontrais lors des sommets, n’a autant de comptes à rendre qu’un premier ministre britannique ». Et la dame de fer, fidèle à sa réputation ajoutait : « Peu à peu, je finis par me sentir plus sûre de moi … il m’arriva même d’y prendre du plaisir ».
Plaisir non partagé par Tony Blair de son propre aveu : « Les questions au Premier Ministre resteront l’expérience la plus éprouvante, la plus déconcertante, angoissante, remuante, terrifiante et décourageante de mon vécu de Premier ministre ». « Aujourd’hui encore, ajoute-t-il, où que je me trouve sur la planète, à 11h57 le mercredi, je ressens un frisson glacé, un picotement sur la nuque et mon cœur se met à battre la chamade. C’est l’heure où je sortais du bureau de Premier ministre aux Communes et me dirigeais vers la Chambre. Je l’appelai la marche du condamné ».
En quoi cette pratique anglaise permettrait-elle, selon vous, d’améliorer la vie démocratique ?
La méthode démocratique peut être décrite en quatre moments : il faut des élections, des délibérations, des décisions et de la reddition des comptes. Les trois premiers moments font l’objet de toutes les attentions quand on veut régénérer la démocratie : réformer les élections (vote blanc, proportionnelle, tirage au sort, …), mettre plus de délibérations (avec des conventions citoyennes), contrôler toujours plus les décisions (au point parfois de les empêcher) ; mais on oublie ce moment capital de la reddition des comptes. C’est un peu l’impensé de la démocratie et je trouve que sa mise en scène au sein du Parlement à travers les commissions d’enquête (comme celle récente sur le nucléaire) ou les questions directes et franches (parrêsia) au chef du gouvernement sont bien plus que des symboles. La reddition des comptes ce n’est ni le « dégagisme » ni le procès au pénal ; c’est le fait de revenir sur des décisions passées, non pour punir ceux qui les ont prises, mais pour améliorer celles qu’il faudra prendre demain.
lundi 25 septembre 2023
Laïcité : la grande confusion
Chronique pour LCP - Jeudi 21 septembre —
De l’interdiction de l’abaya à la visite du Pape à Marseille, cette rentrée est chargée en matière de laïcité : vous souhaitez revenir sur le sujet.Pourquoi fait-on des enfants ?
Chronique LCP du 23/01/2024 Bonsoir Pierre Henri Tavoillot, le nombre annuel de naissance en France est passé sous la barre des 700 000 en ...