vendredi 27 janvier 2023

L’avenir du parti en démocratie

 

Chronique LCP du 26/01/2023 — L’avenir du parti en démocratie 




Les difficultés du PS à se donner un chef révèlent une nouvelle fois un phénomène difficile à interpréter : la crise des partis. 

François Mitterrand disait que pour gagner une élection, trois choses suffisaient : un candidat doté d’une santé de fer ; deux ou trois idées programmatiques et un parti en ordre de marche. La décrépitude des partis rend l’équation du succès particulièrement délicate. 
Pour bien comprendre la crise actuelle, il faut revenir à la difficulté originelle du parti en régime démocratique. La démocratie se fonde sur la souveraineté du peuple, c’est-à-dire l’idée (ou la fiction) d’un peuple uni. Le parti semble incompatible avec cette idée, puisque comme son nom l’indique le parti est le signe d’une division. 
D’où un discours — bruit de fond constant en démocratie — qui, de Rousseau à De Gaulle, dénonce l’existence même du parti comme trahison de la volonté générale, avec comme motifs principaux, le règne des intérêts particuliers, les logiques électoralistes, le clientélisme, le népotisme, etc. 

Et pourtant les partis sont devenus consubstantiels à la vie démocratique 

Oui. C’est le fruit d’un processus qui a vu converger deux modèles contraires du « Parti ». 
• Le modèle libéral naît en Angleterre (Whig vs Tory) et se déploie aux Etats-Unis (Démocrate vs Républicain) : c’est le « parti club ». Il réunit les citoyens les plus actifs (d’élites), prêts à s’investir plus que les autres dans la vie de la cité et faire vivre le pluralisme. Le pluralisme, c’est la meilleure façon d’éviter la guerre civile : les conflits ne sont pas abolis, ils sont organisés, institutionnalisés et donc canalisés . Le militant est l’euphémisation du militaire. 
• Le second modèle est celui du parti total, voire totalitaire, dont le parti communiste représente la figure emblématique. Pourquoi totalitaire ? Parce que c’est un parti qui prétend être Tout ; c’est-à-dire être le peuple dans sa totalité. Ce faisant il crée, — et c’est la force de ce modèle, — une sorte de société bis (qui a vocation à remplacer la vraie). Au « Parti », comme dans une église, on se forme, on se marie, on se réunit, on mange, on boit, on part en vacances. Il accompagne l’ensemble de l’existence. Quand il réussit, il devient un oxymore : le « parti unique ». 

Pour vous, ces deux modèles sont en crise. 

Oui, le premier (le parti club, élitiste, libéral) parce qu’il n’est pas assez démocratique ; le second (le de masse, type communiste) parce qu’il est trop « religieux ». Ils ont été laminés par l’individualisation, c’est-à-dire par la double crise de la croyance et de la vocation politiques. 
• Sur le plan de l’engagement, on a aujourd’hui des partis sans militants et des militants sans partis. Les adhérents historiques ont été concurrencés par des nouvelles formes d’engagement moins durables, ponctuelles, favorisées par les réseaux sociaux. Et quand les partis tentent de démocratiser leur fonctionnement (primaires), cela produit des majorités peu claires et des leaders sans leadership (PS, LR, verts) et des conflits sans fin. Dure leçon : les partis de la démocratie ne se démocratisent eux-mêmes qu’à leur détriment. 
• Sur le plan des croyances, on a des partis sans idéologies et des idéologies sans partis. Ainsi l’écologie se déploie-t-elle désormais bien au-delà du seul parti vert. Alors même que, dans chaque parti, les repères doctrinaux sont brouillés. On se surprend à voir la gauche de la gauche faire l’éloge du « petit bourgeois » (jadis honni) à travers la figure du retraité rentier qui va à la pêche et garde ses petits enfants (voir Rufin). La gauche, elle, a mis en débat tous ses piliers idéologiques : la Nation (d’abord au profit de l’internationale ouvrière, puis de la mondialisation heureuse), le Travail (qui est devenu une « valeur de droite »), la Laïcité (1989), le Peuple (note de Terra Nova). La droite, elle, ne veut plus être ni libérale ni bonapartiste ni conservatrice. Et l’extrême droite cherche à se dé-diaboliser en tournant le dos à ses racines réactionnaires. Quant au parti du président : il est idéologiquement insituable, ce qui fait qu’on lui reproche d’être de droite quand il fait une réforme sociale (Retraite) ; et d’être de gauche quand il prétend à une réforme d’ordre (loi immigration à venir). 

Quel avenir ? 

Il me semble assez sombre. Le parti se réduit aujourd’hui à une machine électorale, grassement financée par l’Etat, dont il est désormais un organe intégré, au prix d’une coupure avec la société. Il a délocalisé la production d’idées à des think tank plus ou moins affiliés ; il néglige la formation (militants, élus) ; la convivialité interne se réduit comme peau de chagrin. Il va falloir revivifier le parti-club et je ne vois pas d’autre chemin que celui d’une réélaboration idéologique sérieuse. Vaste chantier !

lundi 16 janvier 2023

Le sens de la retraite

 Chronique LCP, du 12/01/2023


Vous souhaitez exprimer un regret quant à la teneur du débat sur les retraites : ça manque de philosophie !

Oui, et quitte à prêcher pour ma paroisse ! On parle d’annuités, de taux plein, d’équilibre des caisses, de rapports de force politiques, mais on parle rarement de la vie, de la vieillesse et de leur sens dans une société contemporaine. 
Il faut rappeler quelques données : 
1) L’espérance de vie était de 40 ans en 1900 ; elle est aujourd’hui d’environ 80. Ce qui veut dire que nous vivons une vie de plus que nos ancêtres. Comment l’utiliser ? 
2) Ce gain d’espérance de vie ne concerne pas que la fin de l’existence, car il y a deux âges qui s’allongent et se pluralisent. La jeunesse : on sort de l’enfance de plus en plus tôt et qu’on entre dans l’âge adulte de plus en plus tard (certains doutent qu’on n’y entre jamais !). La vieillesse elle aussi s’étire et se pluralise en différentes phases : sénior fringant ; âgé vaillant ; sénile dépendant. 
3) Troisième donnée : grâce aux bienfaits de la médecine, nous restons vieux de plus en plus tard ; mais à cause des méfaits de l’économie, nous devenons obsolètes de plus en plus tôt. Une société de l’innovation tend à mettre la vieillesse au rebut. 

Pour vous ces données existentielles ne sont pas assez prises en compte pour penser la retraite. 

En effet. La retraite fut inventée pour un être un « secours », comme on disait à l’époque, contre l’indigence sénile et surtout un bref repos après une longue vie de labeur. C’est Bismarck qui en fut l’inventeur pour couper l’herbe sous les pieds des revendications socialistes. Mais, à l’époque, on disait de son invention qu’elle était une « retraite pour les morts », puisque rares étaient les ouvriers qui parvenaient à atteindre l’âge légal. 
Aujourd’hui, avec les changements démographiques, la retraite est devenue tout autre chose : un temps offert à l’épanouissement personnel après une vie de labeur de plus en plus courte. 
Par quoi la retraite retrouve son sens originel, ou plutôt ses deux sens originels, car, depuis la fin de l’antiquité, deux modèles de retraite sont en concurrence pour idéaliser la retraite. 
Il y a, d’abord, la retraite énergique, qui a été promue par Cicéron dans son traité De la vieillesse : il présente un vieillard, gentleman farmer, doté de bons revenus, mais surtout rempli de sagesse et d’énergie. Ceci parce que cela : la sagesse lui permet de renoncer aux passions inutiles pour se concentrer sur l’essentiel. Le vieux fait donc plus et mieux que le jeune. 
On trouve ensuite la retraite monastique de Saint Augustin, qui se conçoit comme un retrait du monde et de ses vanités. Loin de poursuivre la vie normale, elle marque l’amorce d’une nouvelle carrière, en laquelle le chrétien (novus homo) doit dépasser l’homme (vetus homo), pour travailler exclusivement à son salut. La retraite est comme une renaissance. 

Notre idéal contemporain de retraite serait une sorte de « motion de synthèse » ? 

Tout à fait. De Cicéron, nous reprenons l’image du retraité actif : « plus occupé que lorsqu’il travaillait », mais sans la dimension aristocratique grâce à l’Etat providence. D’Augustin, nous gardons l’idéal du retrait d’un univers de frénésie focalisé sur la productivité, mais sans la dimension religieuse. Tous deux expriment l’idée d’un « bonheur différé » (comme dit Jean-François Sirinelli) qui, à la fois, idéalise la retraite et dévalorise le travail. Le travail nous éloigne d’une perfection que seule la retraite permettra d’atteindre. 1) Cette idéalisation repose sur le triptyque existentiel des « trente glorieuses » : formation, travail, retraite, dont la répartition est devenue problématique. Je me forme (20-30 ans) en espérant un travail, puis je travaille (30-40 ans) en espérant la retraite : mais que puis-je espérer de la retraite (20-30 ans) ? Est-elle une fin en soi ? 2) D’autant que la retraite n’est pas qu’un droit social, c’est aussi une cassure brutale dans le cours de l’existence. Comme pour l’arrivée du premier enfant, c’est l’ensemble du quotidien, qui est concerné (l’agenda, le relationnel, l’identité…). Mais alors qu’un enfant apporte du plein ; la retraite est menacée par le vide. Après le travail comme après l’amour, l’homme peut devenir un animal triste … Bref, si la question de l’âge est capitale pour le financement de la retraite ; la question de la transition travail/retraite est essentielle pour l’existence.



Pourquoi fait-on des enfants ?

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