Chronique LCP, du 12/01/2023
Vous souhaitez exprimer un regret quant à la teneur du débat sur les retraites : ça manque de philosophie !
Oui, et quitte à prêcher pour ma paroisse ! On parle d’annuités, de taux plein, d’équilibre des caisses, de rapports de force politiques, mais on parle rarement de la vie, de la vieillesse et de leur sens dans une société contemporaine.
Il faut rappeler quelques données :
1) L’espérance de vie était de 40 ans en 1900 ; elle est aujourd’hui d’environ 80. Ce qui veut dire que nous vivons une vie de plus que nos ancêtres. Comment l’utiliser ?
2) Ce gain d’espérance de vie ne concerne pas que la fin de l’existence, car il y a deux âges qui s’allongent et se pluralisent. La jeunesse : on sort de l’enfance de plus en plus tôt et qu’on entre dans l’âge adulte de plus en plus tard (certains doutent qu’on n’y entre jamais !). La vieillesse elle aussi s’étire et se pluralise en différentes phases : sénior fringant ; âgé vaillant ; sénile dépendant.
3) Troisième donnée : grâce aux bienfaits de la médecine, nous restons vieux de plus en plus tard ; mais à cause des méfaits de l’économie, nous devenons obsolètes de plus en plus tôt. Une société de l’innovation tend à mettre la vieillesse au rebut.
Pour vous ces données existentielles ne sont pas assez prises en compte pour penser la retraite.
En effet. La retraite fut inventée pour un être un « secours », comme on disait à l’époque, contre l’indigence sénile et surtout un bref repos après une longue vie de labeur. C’est Bismarck qui en fut l’inventeur pour couper l’herbe sous les pieds des revendications socialistes. Mais, à l’époque, on disait de son invention qu’elle était une « retraite pour les morts », puisque rares étaient les ouvriers qui parvenaient à atteindre l’âge légal.
Aujourd’hui, avec les changements démographiques, la retraite est devenue tout autre chose : un temps offert à l’épanouissement personnel après une vie de labeur de plus en plus courte.
Par quoi la retraite retrouve son sens originel, ou plutôt ses deux sens originels, car, depuis la fin de l’antiquité, deux modèles de retraite sont en concurrence pour idéaliser la retraite.
Il y a, d’abord, la retraite énergique, qui a été promue par Cicéron dans son traité De la vieillesse : il présente un vieillard, gentleman farmer, doté de bons revenus, mais surtout rempli de sagesse et d’énergie. Ceci parce que cela : la sagesse lui permet de renoncer aux passions inutiles pour se concentrer sur l’essentiel. Le vieux fait donc plus et mieux que le jeune.
On trouve ensuite la retraite monastique de Saint Augustin, qui se conçoit comme un retrait du monde et de ses vanités. Loin de poursuivre la vie normale, elle marque l’amorce d’une nouvelle carrière, en laquelle le chrétien (novus homo) doit dépasser l’homme (vetus homo), pour travailler exclusivement à son salut. La retraite est comme une renaissance.
Notre idéal contemporain de retraite serait une sorte de « motion de synthèse » ?
Tout à fait. De Cicéron, nous reprenons l’image du retraité actif : « plus occupé que lorsqu’il travaillait », mais sans la dimension aristocratique grâce à l’Etat providence. D’Augustin, nous gardons l’idéal du retrait d’un univers de frénésie focalisé sur la productivité, mais sans la dimension religieuse.
Tous deux expriment l’idée d’un « bonheur différé » (comme dit Jean-François Sirinelli) qui, à la fois, idéalise la retraite et dévalorise le travail. Le travail nous éloigne d’une perfection que seule la retraite permettra d’atteindre.
1) Cette idéalisation repose sur le triptyque existentiel des « trente glorieuses » : formation, travail, retraite, dont la répartition est devenue problématique. Je me forme (20-30 ans) en espérant un travail, puis je travaille (30-40 ans) en espérant la retraite : mais que puis-je espérer de la retraite (20-30 ans) ? Est-elle une fin en soi ?
2) D’autant que la retraite n’est pas qu’un droit social, c’est aussi une cassure brutale dans le cours de l’existence. Comme pour l’arrivée du premier enfant, c’est l’ensemble du quotidien, qui est concerné (l’agenda, le relationnel, l’identité…). Mais alors qu’un enfant apporte du plein ; la retraite est menacée par le vide.
Après le travail comme après l’amour, l’homme peut devenir un animal triste …
Bref, si la question de l’âge est capitale pour le financement de la retraite ; la question de la transition travail/retraite est essentielle pour l’existence.
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