samedi 17 décembre 2022

Populisme et fascisme

Ma chronique sur LCP (le 15 décembre 2022) 




Vous souhaitez revenir sur les notions de populisme et de fascisme qui n’en finissent pas d’alimenter le débat politique, et les procès en excommunication. 

 Oui, ce sont deux notions qu’on utilise souvent comme synonyme, alors qu’il convient de les distinguer avec soin. C’est ce que tente de faire l’écrivain italien Antonio Scurati. Il vient de recevoir le prix du Livre européen, pour M, l’homme de la providence (les Arènes, 2021). Il s’agit du second volume de son extraordinaire saga sur Mussolini dont le premier volume est paru en 2018 — M, L’enfant du siècle, et l’ultime vient juste de paraître en M. Gli ultime giorni dell’Europa. Enorme succès en Italie. Les deux livres sont extraordinaires en ce qu’ils présentent l’ascension de Mussolini de son propre point de vue : c’est palpitant, nourri de documents historiques, placés dans une trame épique. C’est un véritable chef d’œuvre, qui montre au lecteur la puissance séductrice du fascisme. Le génie de Scurati est de nous amener à comprendre et parfois même à souhaiter la victoire du fascisme ; avant d’être horrifié par les résultats. 

Dans un article récent traduit par le Monde, (8 décembre), Scurati fait de Mussolini l’inventeur du populisme. 

Il le fait avec toute la prudence requise en recommandant d’éviter toute analogie trop rapide entre la marche sur Rome d’octobre 1922 et la victoire électorale de Giorgia Meloni en octobre 2022. « Nous ne devons pas céder au charme de la comparaison historique ». Il repère pourtant entre le populisme et le fascisme une matrice commune (similitude et continuité) à partir de trois idées : 
1) D’abord, cette phrase de Mussolini : « Je suis le peuple. Le peuple, c’est moi » (on la retrouve chez Chavez) qui est, pour Scurati, le premier postulat du populisme : soit l’Incarnation mystique du peuple dans et par un leader à l’opposé de la logique « réprésentative » de nos régimes. 
2) Ensuite, il y a une détestation profonde de la politique : « Nous ne sommes pas la politique, nous sommes l’antipolitique ; nous ne sommes pas un parti, nous sommes l’antiparti » que l’on peut retrouver dans la logique « anti-système ». 
3) Enfin l’idée que le chef doit non pas guider, mais suivre la masse : le Ducce est un peu comme le berger qui suit son troupeau plutôt qu’il ne le conduit. « Je suis l’homme de l’après ; je suis comme les bêtes, je flaire le temps qui vient ». Ces trois postulats sont animés par un moteur puissant : face à la peur que le monde contemporain suscite chez l’individu isolé, il faut attiser la haine : car seule la haine est plus forte que la peur. 

On retrouve en effet ces ingrédients dans le populisme actuel 

Sans conteste, mais on peut noter aussi des différences importantes qui relativisent la continuité entre le populisme mussolinien et le populisme contemporain : 
 1) D’abord, le fascisme est clairement et totalement anti-démocratique : l’idée même est viscéralement détestée. Le populisme est lui hyperdémocratique : il veut un pouvoir fort (cratos) et un peuple bien représenté (demos). Chez Trump, Bolsonaro ou Chavez, on reste dans une logique de représentation, même si l’on conteste les élections. Il arrive même que le leader soit refusé (Gilets jaunes). 
2) Deuxième différence importante : le fascisme est hyper élitiste, alors que le populisme se défie des élites quelles qu’elles soient. C’est d’abord contre elles que le peuple existe. Le populisme contemporain est un mouvement ultra-égalitaire, alors que le fascisme ne cesse de faire l’éloge des hiérarchies et de l’aristocratie « naturelles » : éloge du fort contre le faible, le petit, le médiocre. 
3) Enfin, différence majeure, le fascisme est une idéologie structurée, argumentée, étayée. Même s’il est un démagogue, Mussolini est un théoricien qui sent certes, mais surtout sait l’histoire du monde, car il en connaît les lois profondes (Arendt avait bien perçu cette dimension du système totalitaire). Le populisme contemporain est dans l’idéologie molle : pas de philosophie de l’histoire, pas de théorie du monde, pas d’avenir radieux, pas de rapport à un âge d’or mythique (les durs Romains ou les purs Germains), pas de doctrine ni de dogmes. Un seul acte de foi : « l’indignation » ; « je pense donc je suis … contre » ! 
   
Sur ces trois points, il y a, me semble-t-il, une nette rupture entre le fascisme et le populisme qu’on a donc bien tort de confondre. Le fascisme conduit au totalitarisme (mot dont Mussolini est l’inventeur) ; le populisme est post-totalitaire : cela ne le rend pas plus sympathique, mais peut-être moins périlleux.

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