vendredi 31 mai 2019

Un blocage du bac ?

C'est le nouveau mode de protestation dans l'Education Nationale. Il faut dire que les moyens habituels sont démonétisés : la grève s'est banalisée ; la manifestation est désertée. Désormais, dans le marketing contestataire, l'objectif est le blocage du bac, par défaut de surveillants !
Nous avions déjà eu cela dans les universités, l'année passée, lorsque une petite troupe de (plus ou moins) étudiants était parvenue à bloquer l'accès aux salles d'examen de ceux qui voulaient les passer. Quel courage ! Sublime promotion de l'esprit de la résistance ! Car, bien sûr, le ministère, c'est la Gestapo, et les étudiants qui veulent passer des examens sont tous des collabos !

On est désolé, disent aujourd'hui les syndicats, qui promeuvent ce mode d'action : mais, puisque le ministre ne veut pas entendre (quoi ?), la seule manière de défendre « l'intérêt des élèves » (sic !) est d'en venir à cette extrémité : « nous sommes en situation de légitime défense ! »

La menace doit être prise au sérieux, car elle a déjà été mise à exécution. Dans certains lycées (et c'est une information de première main), certains professeurs - dont beaucoup en sciences économiques et sociales … (tiens donc !) - ont d'ores et déjà refusé de faire passer le bac blanc !! Et ce, bien sûr, … dans l'intérêt des élèves !

Face à un tel dévoiement de la pensée, faut-il rappeler la fameuse distinction de Kant, dans ce texte, qui est (en principe) le livre de chevet de tout professeur : Qu'est-ce que les Lumières ? (1784). Il y distingue en l'usage public et l'usage privé de la raison.
Le premier est libre : chacun, en tant que citoyen et « savant », a le droit de donner son avis, de critiquer, de contester et de s'indigner.
Le second est contraint : en tant qu'agent, membre d'une organisation (entreprise, association, service public, …), chacun a le devoir d'obéir, sauf à rendre la vie collective impossible et la transformer en guerre de tous contre tous.

On peut et on doit raisonner librement (c'est l'espace public), à condition que l'on obéisse aux missions pour lesquels on s'est librement engagé en choisissant d'entrer dans une entreprise, dans un service public, dans une association. C'est d'autant plus le cas, d'un fonctionnaire, qui, agent d'un service public, doit servir le public … Comment servir sans obéir ?

« Ainsi, il serait très dangereux qu'un officier, qui a reçu un ordre de ses supérieurs, se mît à raisonner dans le service de l'opportunité ou l'utilité de cet ordre ; il doit obéir. Mais on ne peut pas légitimement lui interdire de faire, en tant que savant, des remarques sur les erreurs touchant le service militaire et les soumettre à son public afin qu'il les juge ».
Bref, on doit pouvoir raisonner et rendre public ses raisons tant que l'on veut (c'est l'espace public), mais, pour ce qui concerne les missions, qui nous ont été confiées, on doit les remplir sans rechigner. « Raisonnez tant que vous voulez, mais obéissez ».

La confusion des esprits est telle que le beau mot « d'obéissance » (étymologiquement : « prêter l'oreille ») est systématiquement confondu avec celui de servitude. Il faudrait vraiment que certains fonctionnaires retournent à l'école des Lumières.


Ajoutons la voix de Rousseau à celle de Kant —

 « On a beau vouloir confondre l’indépendance et la liberté. Ces deux choses sont si différentes que même elles s’excluent mutuellement. Quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres, et cela ne s’appelle pas un État libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui, elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre. Quiconque est maître ne peut être libre, et régner c’est obéir.

Il n’y a donc point de liberté sans Lois, ni où quelqu’un est au-dessus des Lois : dans l’état même de nature l’homme n’est libre qu’à la faveur de la Loi naturelle qui commande à tous. 


Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux Lois, mais il n’obéit qu’aux Lois et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes. 


Toutes les barrières qu’on donne dans les Républiques au pouvoir des magistrats ne sont établies que pour garantir de leurs atteintes l’enceinte sacrée des lois : ils en sont les ministres non les arbitres, ils doivent les garder non les enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu’ait son gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point l’homme, mais l’organe de la loiEn un mot, la liberté suit toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elles ; je ne sache rien de plus certain. » 


Huitième Lettre écrite de la Montagne, éd. Pleiade, pp. 841-842

30 commentaires:

  1. Voilà un plaidoyer de nature à faire réfléchir non seulement les surveillants tentés par la grève, mais aussi - si le sujet s'y prête - les candidats à l'épreuve de philo ! :-)

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  2. pas mal ! c'est faire d'une pierre(-henri) deux coups !

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  4. " Ainsi, il serait très dangereux qu'un officier, qui a reçu un ordre de ses supérieurs, se mît à raisonner dans le service de l'opportunité ou l'utilité de cet ordre ; il doit obéir ".
    Oui . Mais quand même , s'agissant des militaires , gloire au Général De Gaulle qui a désobéit , merci au Général Von Choltitz qui n'a pas brulé Paris , et respect aux officiers supérieurs allemands qui ont essayé d’assassiner Hitler .

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  5. Certes, mais légère différence entre Hitler et Blanquer ? Plus sérieusement, ces officiers furent héroïques car ils étaient prêts à assumer les conséquences de leurs actions : ils l'assumèrent ! Les désobéisseurs sont ultra protégés et ne risquent strictement RIEN !

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    1. Loin de moi l'idée de faire un parallèle entre Hitler et Blanquer , comme le précise le début de ma remarque " s'agissant des militaires ... "
      Blanquer et les surveillants sont des civils .
      C'est vous qui avez prix l'exemple des militaires!

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  6. Ouh la ! Pris l'exemple des militaires , pardon !

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