vendredi 28 avril 2023

Les vraies raisons de la colère

 Tribune parue dans Le Figaro, 27 avril 2023

Jérôme Bosch, Extraction de la pierre de folie (vers 1501)

La France est en colère. C’est vrai. Mais il me semble que ce n’est ni à cause de la réforme des retraites ni du fait du seul président. Les vraies raisons de la colère me semblent venir d’une autre source. Aujourd’hui tout converge pour exiger du citoyen qu’il trouve normal ce qui est anormal. 
Il est normal de dépenser toujours plus pour une école qui fait toujours moins. Il est normal de laisser le trafic de drogue transformer nos villes en champ de bataille. Il est normal d’accepter que les délinquants ne soient pas punis. Il est normal de financer des associations qui proclament leur haine de la France et leur détestation de l’Etat. Il est normal de ne pas songer à maîtriser ses flux migratoires sauf à être raciste. Il est normal d’accepter que des squatters occupent impunément des logements. Il est normal d’attendre six mois une carte d’identité dont la détention est obligatoire, sauf pour les « sans papier ». Il est normal que le pays s’endette astronomiquement, laissant croire qu’on peut toujours trouver l’argent « là où il est », c’est-à-dire dans nos impôts. Il est normal que les prestations sociales ne fassent l’objet d’aucun contrôle, car ce serait une abjecte discrimination. Il est normal d’exalter des zadistes qui foulent glorieusement au pied toutes les règles de la vie collective. Il est normal d’accepter que le Conseil d’Etat condamne l’Etat qu’il conseille à verser pour « inaction climatique » 10 millions d’euros d’astreinte à des associations militantes. Il est normal que les droits de l’homme en société (ceux de 1789) se transforment en droits humains contre la société (ceux de la Cours européenne des droits de l’homme). 
Arendt tout comme Orwell décrivaient le système totalitaire comme un dispositif d’inversion complète : l’absurde devient réalité et la réalité devient absurde. Si nous n’en sommes pas encore là, nous en prenons le chemin. 
Comment l’expliquer ? J’y vois l’expression d’une triple culpabilité : à la fois sociale, coloniale et environnementale. Celle-ci concerne surtout des élites qui peuvent se permettre le luxe de la mauvaise conscience et de la haine de soi puisque leur quotidien est assuré. Cette France-là a conservé du catholicisme la coulpe mais, dépourvue de confession et de perspective de salut, elle ne trouve plus d’exutoire vers une quelconque espérance. Installée confortablement dans ce péché qu’elle cultive, elle fabrique cette anormale normalité ou cette normale anormalité qui exaspère l’autre France. 
On s’interroge doctement sur la montée de son abstention, alors qu’elle vient très simplement du fait que les politiques s’abstiennent de faire de la politique, tétanisés par une suspicion moralisatrice. Pourquoi voter pour des gens qui avouent eux-mêmes leur impuissance et qui, par ailleurs, contribuent à diffuser l’idée que tous les politiques sont corrompus ? « Moraliser » la vie politique, réduire les mandats, éviter les cumuls, augmenter les contre-pouvoirs, exiger la démocratie participative … tout cela accrédite l’idée qu’on a raison de se méfier d’eux et contribue à accroître encore plus leur impotence. Alors que la démocratie représentative a un besoin vital d’eux et, encore plus vital, de la confiance en eux. 
Les élus ne sont pas seuls en cause. Les citoyens que nous sommes les incitons à une démagogie qu’on ne cesse de leur reprocher. On exige toujours plus de pouvoir d’achat tout en dénonçant l’endettement ; on désire toujours plus de protection en revendiquant davantage de libertés. 
De leur côté, les contre-pouvoirs accumulés (cours, autorités indépendantes, médias, …) alimentent continuellement la méfiance, puisque c’est le fond de commence de leur propre existence. Tel est le drame actuel. Le constat de l’impuissance publique, au lien d’entraîner un sursaut d’action, produit un désir accu de contrôle, d’empêchement, de procès, de critiques et de blocages de l’action publique. 
C’est un cercle vicieux, dont il sera – ne nous le cachons pas — très difficile de sortir. Car face à lui, la tentation radicale est grande de quitter l’Etat de droit et de démonter tous les contre-pouvoirs et tous les contrôles démocratiques. Cela s’appelle l’illibéralisme qui entend, au nom de l’efficacité et du « bonheur » du peuple, prendre certaines (voire toutes) libertés avec les libertés. Tel est le défi de la démocratie libérale d’aujourd’hui. Sans perdre de vue les toujours possibles abus de pouvoir, il lui faut limiter les abus de contre-pouvoirs dans le cadre d’un Etat de droit soucieux de s’autolimiter sans se nier. On marche sur un fil ! 
Mais quiconque saura rendre crédible, au-delà des bonnes paroles, le fait de redonner aux Français la maîtrise de leur destin en respectant les piliers institutionnels, celui-là pourra prétendre apaiser la colère des Français. Cela suppose de remettre un curseur fiable entre ce qui est normal et anormal dans une démocratie moderne. Cela suppose aussi de faire le tri entre la légitime colère et ses usages démagogiques.
 
Pierre-Henri Tavoillot

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