Chronique LCP du 26/01/2023 — L’avenir du parti en démocratie
Les difficultés du PS à se donner un chef révèlent une nouvelle fois un phénomène difficile à interpréter : la crise des partis.
François Mitterrand disait que pour gagner une élection, trois choses suffisaient : un candidat doté d’une santé de fer ; deux ou trois idées programmatiques et un parti en ordre de marche. La décrépitude des partis rend l’équation du succès particulièrement délicate.
Pour bien comprendre la crise actuelle, il faut revenir à la difficulté originelle du parti en régime démocratique.
La démocratie se fonde sur la souveraineté du peuple, c’est-à-dire l’idée (ou la fiction) d’un peuple uni. Le parti semble incompatible avec cette idée, puisque comme son nom l’indique le parti est le signe d’une division.
D’où un discours — bruit de fond constant en démocratie — qui, de Rousseau à De Gaulle, dénonce l’existence même du parti comme trahison de la volonté générale, avec comme motifs principaux, le règne des intérêts particuliers, les logiques électoralistes, le clientélisme, le népotisme, etc.
Et pourtant les partis sont devenus consubstantiels à la vie démocratique
Oui. C’est le fruit d’un processus qui a vu converger deux modèles contraires du « Parti ».
• Le modèle libéral naît en Angleterre (Whig vs Tory) et se déploie aux Etats-Unis (Démocrate vs Républicain) : c’est le « parti club ». Il réunit les citoyens les plus actifs (d’élites), prêts à s’investir plus que les autres dans la vie de la cité et faire vivre le pluralisme. Le pluralisme, c’est la meilleure façon d’éviter la guerre civile : les conflits ne sont pas abolis, ils sont organisés, institutionnalisés et donc canalisés . Le militant est l’euphémisation du militaire.
• Le second modèle est celui du parti total, voire totalitaire, dont le parti communiste représente la figure emblématique. Pourquoi totalitaire ? Parce que c’est un parti qui prétend être Tout ; c’est-à-dire être le peuple dans sa totalité. Ce faisant il crée, — et c’est la force de ce modèle, — une sorte de société bis (qui a vocation à remplacer la vraie). Au « Parti », comme dans une église, on se forme, on se marie, on se réunit, on mange, on boit, on part en vacances. Il accompagne l’ensemble de l’existence. Quand il réussit, il devient un oxymore : le « parti unique ».
Pour vous, ces deux modèles sont en crise.
Oui, le premier (le parti club, élitiste, libéral) parce qu’il n’est pas assez démocratique ; le second (le de masse, type communiste) parce qu’il est trop « religieux ». Ils ont été laminés par l’individualisation, c’est-à-dire par la double crise de la croyance et de la vocation politiques.
• Sur le plan de l’engagement, on a aujourd’hui des partis sans militants et des militants sans partis. Les adhérents historiques ont été concurrencés par des nouvelles formes d’engagement moins durables, ponctuelles, favorisées par les réseaux sociaux. Et quand les partis tentent de démocratiser leur fonctionnement (primaires), cela produit des majorités peu claires et des leaders sans leadership (PS, LR, verts) et des conflits sans fin. Dure leçon : les partis de la démocratie ne se démocratisent eux-mêmes qu’à leur détriment.
• Sur le plan des croyances, on a des partis sans idéologies et des idéologies sans partis. Ainsi l’écologie se déploie-t-elle désormais bien au-delà du seul parti vert. Alors même que, dans chaque parti, les repères doctrinaux sont brouillés. On se surprend à voir la gauche de la gauche faire l’éloge du « petit bourgeois » (jadis honni) à travers la figure du retraité rentier qui va à la pêche et garde ses petits enfants (voir Rufin). La gauche, elle, a mis en débat tous ses piliers idéologiques : la Nation (d’abord au profit de l’internationale ouvrière, puis de la mondialisation heureuse), le Travail (qui est devenu une « valeur de droite »), la Laïcité (1989), le Peuple (note de Terra Nova). La droite, elle, ne veut plus être ni libérale ni bonapartiste ni conservatrice. Et l’extrême droite cherche à se dé-diaboliser en tournant le dos à ses racines réactionnaires. Quant au parti du président : il est idéologiquement insituable, ce qui fait qu’on lui reproche d’être de droite quand il fait une réforme sociale (Retraite) ; et d’être de gauche quand il prétend à une réforme d’ordre (loi immigration à venir).
Quel avenir ?
Il me semble assez sombre. Le parti se réduit aujourd’hui à une machine électorale, grassement financée par l’Etat, dont il est désormais un organe intégré, au prix d’une coupure avec la société. Il a délocalisé la production d’idées à des think tank plus ou moins affiliés ; il néglige la formation (militants, élus) ; la convivialité interne se réduit comme peau de chagrin. Il va falloir revivifier le parti-club et je ne vois pas d’autre chemin que celui d’une réélaboration idéologique sérieuse. Vaste chantier !
Un avenir sombre ? Allons bon, voilà qui ne vous ressemble pas ! Heureusement, cet instant de pessimisme s'efface au bout de quelques lignes avec l'apparition du "vaste chantier", qui nous permet de repartir la fleur au fusil et les manches retroussées. Là, on vous reconnaît !
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