jeudi 11 mai 2023

Le verrou du débat sur l'immigration

 Chronique LCP du 10 mai 2023 — 


Alors qu’en matière d’immigration le gouvernement tergiverse et que la droite s’anime, vous souhaitez revenir sur le débat français. 

    Oui. Il y a eu depuis 1980, 29 lois sur l’immigration, soit une tous les 17 mois. Or, le bilan est cruel : au lieu de résoudre ou même d’identifier le problème, on a une accumulation de mesures contradictoires qui n’a fait que le rendre encore plus opaque. Je cite un rapport ancien du sénateur François-Noël Buffet qui disait que la politique française était maltraitante envers les migrants légaux, et bienfaisante à l’égard des illégaux. Bref, on a affaire à un mélange singulier d’injustice, d’inefficacité et d’absurdité, démultiplié par un dispositif judiciaire permettant d’innombrables recours redondants et contradictoires … jusqu’à la CEDH. 

Mais pour vous cette situation est moins une cause qu’une conséquence : de quoi ? 

 Je pense qu’elle est la conséquence d’une dépolitisation de la question migratoire en France. Le terme peut surprendre tant le débat semble clivé. Mais justement si l’on tente de formuler la question politique de l’immigration ; cela tient en une phrase : la France a besoin, pour sa puissance, d’une immigration qui représente un danger pour sa société. Nécessaire, parce qu’il y a une contraction de la démographie qui met en péril l’économie et la protection sociale ; elle est néanmoins périlleuse parce que l’afflux incontrôlé de population étrangère déstabilise de nombreux territoires. On devrait partir de ce dilemme. Or, ce n’est manifestement pas le cas. 

Où se situe le débat selon vous ? 

Le débat s’est depuis longtemps déplacé de la politique à la morale. Il oppose deux thèses qui étouffent un véritable traitement politique : à ma droite, le Grand méchant remplacement ; à ma gauche, la jolie gentille créolisation.

Toutes deux dénoncent un ethnocide en cours. Côté « remplaciste », c’est celui du peuple français chrétien au nom de la mondialisation ; côté « créoliste », c’est celui des minorités opprimées au nom de l’assimilation. 

Toutes deux s’appuient sur des réalités. Oui, l’histoire a connu des grands remplacements (le premier serait celui de Neandertal par Sapiens) et oui la créolité est un fait, aux Antilles et à la Réunion, au Brésil, … 

Toutes deux ont leurs théoriciens fétiches. Le pape « remplaciste » est Renaud Camus (même s’il y en a d’autres avant lui) qui est animé par une peur et deux haines. Peur d’une disparition du peuple français, à la fois par extinction, par dilution et par invasion. Double haine des populations invasives non blanches (en particulier musulmanes) et des élites mondialisées, complices cyniques du processus d’annihilation. Le théoricien de la créolisation, c’est Edouard Glissant, qui la définit non comme une identité particulière, mais comme une alchimie qui produit de l’identité à partir de la différence (la langue créole) et qui produit de la différence à partir des identités (toutes les nuances du métissage). Cette créolisation n’est pas seulement un fait local, elle est un processus global qui doit être promu et diffusé. 

On le voit, comme souvent dans les oppositions frontales, les points communs sont plus nombreux que les différences. En fait, les deux positions s’accordent sur l’idée d’une disparition du peuple français avec une simple inversion des signes : l’une considère que c’est une catastrophe tandis que l’autre y voit une merveilleuse nouvelle. Elles en déduisent deux projets politiquement irréalisables (sauf pour une dictature) : restaurer une pureté perdue et imposer le métissage ! 

D’où le blocage ? 

En effet, l’énorme inconvénient de cette opposition entre mixophobie et mixophilie (pour reprendre les termes de Pierre-André Taguieff) c’est qu’elle est vaine et ne produit qu’effets de manche et excommunications réciproques. Elle empêche d’aborder de front l'unique vraie question politique : comment la France doit-elle procéder avec une immigration à la fois nécessaire pour sa puissance et périlleuse pour sa cohésion ? Le seul fait de parvenir à formuler cette question serait, en France, un immense progrès.

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