Une crise de l’autorité ?
La France a-t-elle un problème avec
l’autorité ?
Contrairement
à ce qu’on pourrait penser l’autorité est redevenue un sujet parfaitement
consensuel, au-delà des clivages sociaux, politiques ou même générationnels.
Dans toutes les enquêtes « valeurs », qui sont régulièrement menées, le mot
arrive en bonne place dans la hiérarchie des principes nécessaires d’une
société. Et les élèves des collèges et des lycées ne sont pas les derniers à
réclamer des repères solides, des règles fixes et principes clairs.
D’où vient que nous ayons pourtant le
sentiment que l’autorité est en crise, voire en déclin ?
De
la nostalgie d’une autorité absolue — appelons-la, « autoritarisme »
— qui avait beaucoup d’inconvénients, mais un avantage : celui d’être
fixe et indiscutable ; on dirait aujourd’hui : non-négociable. Or c’est
cet autoritarisme qui est mort avec l’esprit critique propre aux temps
démocratique. A l’argument d’autorité, nous préférons l’autorité de l’argument,
pour le meilleur comme pour le pire. Pour le meilleur, c’est l’esprit
critique ; pour le pire, c’est la négociation permanente et le refus de
règles qui s’imposent à nous et devraient nous en imposer : la politesse,
la civilité, les règles de grammaire, les savoirs, … toutes ces choses
qu’il n’est pas possible d’inventer sur « ressources propres ».
La fin de l’autoritarisme, c’est mai 68, et
le slogan « il est interdit d’interdire » ?
Mai
68 n’est que le terme d’un processus ancien qui est celui de la modernité
elle-même : lorsque surgit le doute (Luther, Descartes, …) à l’égard des
fondements traditionnels, naturels et religieux des vérités ultimes. La crise
de l’autorité n’est pas récente ; elle se confond avec les temps
modernes. On pourrait plutôt dire que,
depuis 68, nous sommes entrés dans une phase où les tentatives de reconstruire
l’autorité ou de la réinventer ont pris le pas sur les efforts de la
déconstruire et de la contester. Mais ces tentatives sont encore très
tâtonnantes.
Qu’est-ce qui fait encore
autorité aujourd’hui ?
Réponse
en forme de boutade : ce qui fait autorité, c’est la critique de
l’autorité. Mais c’est juste pour montrer qu’il y a encore beaucoup de chemin à
parcourir avant d’inventer une autorité compatible avec l’esprit démocratique.
Sinon, on croit très fort en la compétence. Mais cette forme d’autorité ne
suffit pas puisqu’on se méfie aussi des pouvoirs de l’expert et de la
technocratie. Il y a aussi le charisme que l’on exige par exemple de
l’enseignant ou du politique, en plus de sa compétence. Mais là encore on finit
par se méfier de ces leaders trop charismatiques, un peu gourous : il
suffit d’ailleurs de traduire leader en allemand pour s’en convaincre : Führer ! Il y a enfin la
responsabilité, l’attention aux autres, voire la compassion qui offre une
figure puissante d’autorité : celle que Saint Augustin, appelait l’« autorité
de service ». Pensons à l’abbé Pierre ou
à sœur Emmanuelle … Mais cette responsabilité peut être problématique
quand elle dérive dans une compassion lénifiante. Compétence, charisme,
responsabilité : voilà sous réserve d’inventaire les trois formes de
l’autorité contemporaine. Chacune de ces trois formules comporte ses atouts et ses faiblesses ; et nous
devons vivre avec cette ambivalence. Le grand défi est de parvenir à les
incarner d’une manière solide.
Est-ce possible ? Ou faut-il renoncer à
toute espèce de sanction, de punition ?
Le
critère qui distingue une bonne sanction d’une mauvaise est en vérité très
simple à énoncer. La mauvaise sanction est arbitraire et injustifiable ;
la bonne sanction est celle qui permet à un enfant de grandir. L’enfant
n’appartient ni à ses parents ni à la société ni à l’Etat ni à Dieu, mais à
l’adulte qu’il sera plus tard. C’est donc au nom de cet adulte en devenir qu’il
faut déterminer si une sanction est justifiée ou non. Quand on est parent et
éducateur, on peut se faire des nœuds dans le cerveau avec cette règle ;
mais c’est le seule critère dont nous disposons et le seul qui fasse
autorité : il se fonde sur l’autorité de l’âge adulte, pour lequel il
convient de plaider avec puissance.
Qu’est-ce que l’autorité ?
Il faut distinguer l’autorité du pouvoir, ne serait-ce que
parce qu’il peut y avoir du pouvoir sans autorité (l’autoritarisme du petit
chef) et de l’autorité sans pouvoir (la sérénité du vieux sage). L’autorité se
distingue aussi de la contrainte par la force, qu’elle permet d’éviter, et de
l’argumentation rationnelle, qu’elle dépasse. L’autorité n’a besoin ni
d’imposer ni de justifier. L’étymologie du terme est intéressante. Le mot vient
du latin augere qui signifie
augmenter. L’autorité est donc une opération un peu mystérieuse qui augmente un pouvoir (le petit chef
devient alors un grand homme) ou un argument (puisque l’argument d’autorité est
censé avoir plus de valeur que les autres).
Pierre-Henri Tavoillot
Qui doit gouverner ? Une brève histoire
de l’autorité, Grasset, 2011
Les Métamorphoses de l’autorité.
Introduction à la philosophie politique, un cours particulier de Pierre-Henri
Tavoillot en 4 CDS, Fremeaux & Associés, 2012.
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