lundi 27 juin 2022

Le retour du Premier ministre

 Version complète de l'entretien avec Charles Jaigu paru dans le Figaro Magazine du 25 juin 2022.

Ces élections confirment-elles que la France est désormais officiellement ingouvernable ? 

C’est un sentiment très Français, ou très Ve République. Nous ne sommes plus habitués aux chambres sans majorité absolue, mais il y a beaucoup de gouvernements démocratiques qui rêveraient d’un groupe de 245 députés. Il ne suffit pas d’aller très loin, par exemple en Israël, en Italie. Ce résultat remet l’Assemblée au centre du jeu, et c’est une évolution qui peut être intéressante. Qui nous ramène à la IVème République ? La majorité relative de Macron est beaucoup plus substantielle que celles avec lesquelles les présidents du conseil forgeaient des gouvernements éphémères. Il faudra bien des efforts pour renverser le gouvernement désigné par le président. 

Sous la IVe, tenir deux mois à Matignon était déjà un bon résultat. Emmanuel Macron ne paye-t-il pas le prix du mépris dans lequel il a tenu le Parlement dans son premier mandat ? 

 Il paye le prix d’une lourde faute politique. Celle d’avoir annoncé qu’il créait un Conseil national de la refondation, mélange du grand débat et de la convention citoyenne. C’était clairement une manière de dissoudre l’Assemblée nationale avant même qu’elle soit élue. Le message aux électeurs était : « donnez-moi une majorité, mais le vrai travail se fera sans les députés » ! La percée spectaculaire du RN a surpris tout le monde. 

Pas vous ? 

Je vous avoue que je commençais à douter de mes analyses. Le débat de cette législative jusqu’au premier tour a été confisqué par le face à face entre LREM et la NUPES. Que devenaient les 13 millions d’électeurs du RN ? Le premier tour a amplifié cette hystérie autour de la coalition de gauche. Pendant tout ce temps, le débat n’a tourné qu’autour de la planification écologique, la police meurtrière et un zeste d’idéologie woke, on n’a rien entendu sur des sujets aussi essentiels que l’immigration, l’endettement, l’éducation le séparatisme, la sécurité. Le second tour me paraît bien plus conforme à l’image que je me fais de l’état de l’opinion, sans m’en réjouir. 

 Est-ce l’effet Mélenchon, qui fait le spectacle mais occulte le vote de la majorité silencieuse ? 

Chaque fois qu’il s’exprime c’est pour avancer une nouvelle énormité, et tout le monde la répète. Prétendre qu’il allait gagner cette élection, qu’il serait « élu » premier ministre, tout cela ne tenait pas debout. Il donne le ton, et le commentaire politique suit servilement l’insoumis ! Le 19 juin l’a remis à sa place. 

 Le gouvernement pourra-t-il gouverner ? 

 Il y a deux possibilités. La première est le blocage de l’Assemblée par l’obstruction conjointe de la coalition de gauche et du Rassemblement national. Mais c’est très improbable. C’est aussi leur intérêt de montrer qu’ils essayent de passer aux actes. Ils ont été élus pour ça. Soit le gouvernement réussit à bricoler des majorités au cas par cas. Emmanuel Macron en a les moyens. Il peut débaucher, diviser, ou négocier. Ou les trois à la fois. Diviser la coalition de gauche devrait être assez facile : c’est déjà fait. Diviser LR sera plus difficile, mais il y a une marge de manœuvre entre les députés tentés par le ralliement, les partisans de l’autonomie, et les tenants d’une alliance avec le RN. Je pense surtout qu’il négociera en posant des problèmes à résoudre et en suggérant des solutions susceptibles de rallier les parlementaires raisonnables. Le rapport nuancé du sénateur François-Noël Buffet (LR) sur l’immigration pourrait, par exemple, servir de base à cette approche transpartisane. 

 Regrettez-vous l’encadrement du 49.3 décidé par la révision constitutionnelle de 2008 ? 

 C’était un instrument de gouvernement utile. Son usage était devenu très impopulaire, au point qu’une partie de l’opinion, mal informée, y voitun acte quasi-dictatorial. Comme toujours, c’est la dose qui fait le poison. Entre 1988 et 1993, les 18 recours au 49.3 de Michel Rocard n’en ont pas fait un dictateur. Mais il y aura peut-être un avantage inattendu à cette difficulté à faire voter des projets de lois : il y aura moins de lois ! On découvrira aussi qu’il est temps de faire voter les décrets d’application de toutes les lois votées au fil des législatures et qui dorment dans un classeur au fond des ministères. 

 Tout cela donne l’impression que le « peuple-roi » ne veut pas de roi… 

Nous sommes dans une situation historique où les citoyens reprochent aux élus l’impuissance à laquelle ils les condamnent. Leur légitimité est mise en cause à peine les urnes vidées ; leurs décisions sont contestées avant même qu’elles ne soient prises ; leurs actions sont empêtrées dans un labyrinthe de règlements obscurs et de contre-pouvoirs opaques. C’est à se demander si l’Etat de droit n’est pas en train de se retourner contre la démocratie. Ce n’est pas qu’en France. Quand l’Angleterre décide le transfert au Rwanda de certains de ses migrants illégaux, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) s’y oppose et bloque le premier avion. Quelle est sa légitimité pour le faire ? L’Angleterre, que je sache, n’est pas une dictature, mais un Etat qui présente toutes les garanties en termes de respect des droits. Il est stupéfiant que des juridictions hors-sol puissent bloquer l’initiative politique d’un pays souverain. La nomocratie (pouvoir des règles) se substitue à la démocratie (pouvoir du peuple). 

 Comment sortir de ce cercle vicieux ? 

 C’est très difficile. Il faudrait réinventer les lits de justice pour empêcher les cours suprêmes de décider à la place de politiques qui, en panne de légitimité, sont tenté de leur céder la place. Le Conseil constitutionnel n’a cessé d’étendre ses pouvoirs au-delà de son rôle. Son interprétation du mot « fraternité » dans la devise républicaine est un exemple, ou son jugement sur la nécessaire modicité des frais d’inscription à l’université. Il ne s’agit pas de contester le Conseil constitutionnel à tout propos, mais de veiller à ce qu’il reste dans son rôle de gardien de la constitution sans se prétendre créateur de principe. Etre libéral c’est défendre l’Etat de droit sans nuire à l’efficacité du pouvoir. Tocqueville estimait que le pouvoir écrasait le peuple, et il voulait restaurer la liberté du peuple par le droit, mais aujourd’hui le droit tend à empêcher, voire à remplacer l’action politique … sans que le peuple n’ait plus son mot à dire. Un rééquilibrage doit être fait. 

Vous demandez dans vos livres au leader d’une démocratie « la patience de la délibération, l’énergie de la décision et l’humilité de la remise en question ». Emmanuel Macron en est-il aujourd’hui capable ?

Emmanuel Macron s’est montré habile pour la sortie de crise des Gilets-jaunes, efficace durant la Covid-19 et réactif pour la guerre en Ukraine. Mais, par temps calme et sur les sujets qui demandent un traitement de fond, il est beaucoup moins rassurant. 

Les politistes de gauche accusent régulièrement la Ve République d’être la cause du malaise français.  Qu’en pensez-vous ? 

La Ve République est incroyablement résiliente et adaptable. La société ne cesse de changer de priorité. Au moment de la crise des gilets jaunes, on a réclamé plus de démocratie horizontale. Puis au moment de la crise du Covid, tous les regards se sont tournés vers le président, qui décidait de tout. Nos temps sont contradictoires, et nos institutions y font face, ce qui est une bonne chose. Je note au passage que le scrutin majoritaire à deux tours, quand on lui donne le temps, finit toujours par donner une image fidèle de la société. 

 Cette chambre difficile pour le gouvernement peut-elle faire apparaître une nouvelle facette de la Ve ?

 Oui, le premier ministre ! Il se retrouve au premier plan. On s’était habitués à sa quasi disparition, mais il redevient central. Il n’est pas certain qu’Elisabeth Borne trouve le temps de se former à ces nouveaux défis, moins technocratiques que politiques. Et au Parlement, il y a beaucoup de novices pour une mandature qui promet d’être d’emblée fort complexe. C’est l’inconvénient du « nouveau monde ».

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