lundi 25 septembre 2023

Laïcité : la grande confusion

 Chronique pour LCP - Jeudi 21 septembre — 

De l’interdiction de l’abaya à la visite du Pape à Marseille, cette rentrée est chargée en matière de laïcité : vous souhaitez revenir sur le sujet. 

 Oui la rentrée est chargée, mais ce qui frappe le plus, c’est l’extrême confusion des esprits sur le sujet. Les mêmes qui s’offusquent de l’interdiction des abayas et des qamis à l’école s’étranglent de voir le président Macron assister à la messe géante de vendredi au stade Vélodrome. Ils en tirent la conclusion, pour eux, évidente : la laïcité, c’est de « l’islamophobie déguisée ». La preuve : il y a deux poids, deux mesures : on interdit tout ce qui touche à l’islam et on vénère tout ce qui est chrétien. 

 En quoi ces apparences sont-elles trompeuses ? 

 D’abord en rappelant un point essentiel : le contraire de la laïcité, ce n’est pas la religion, c’est le fondamentalisme. C’est-à-dire le projet de régenter et de soumettre la totalité de l’existence des individus sous une seule loi : la loi de Dieu. Voici ce que disait Voltaire dans l’article « fanatisme » de son Dictionnaire philosophique « Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? ». 
L’assassinat de Samuel Paty a montré que ce n’était pas là un simple mot d’esprit. Contre le fondamentalisme, nos sociétés libérales laïques considèrent qu’il n’y a pas que la religion dans la vie, mais plusieurs sphères chacune régie par un principe. Dans la sphère privée : c’est la liberté. Chacun est libre de croire, de ne pas croire, et de changer de croyance. Ni l’hérésie ni l’athéisme ni l’apostasie ne sont des crimes. Dans la sphère publique, c’est la neutralité qui règne de la part d’un Etat qui « ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte ». Au nom du salut public, il faut se désintéresser du salut privé. Enfin, il y a troisième sphère que l’on oublie souvent : c’est celle de la civilité. Dans la rue, au travail, au marché, la laïcité est un mode de vie régi par un principe non juridique : la discrétion. On se respecte sans insulte, sans pression, avec des égards mutuels et réciproques … Ni effacement excessif, ni provocation outrancière. C’est la condition non pas seulement du vivre ensemble (car on peut exister côte-à-côte ou face-à-face), mais du vivre en commun. 

 Cette trilogie ou « trinité » permet-elle vraiment de clarifier les choses ? 

 Je le crois, car les querelles de la laïcité concernent toujours les frontières, parfois subtiles, entre ces trois sphères, privée, publique et civile. 
 • On a pu dire que l’abaya était privée, fruit d’un simple désir de pudeur (modest fashion) ; mais il s’agit, au contraire, d’un exhibitionnisme religieux, qui impose une pression sur les autres élèves dans une stratégie de conquête de l’espace scolaire. C’est donc une atteinte à la laïcité ; et, sans contestation possible, une entorse à la loi de 2004 qui proscrit « la manifestation ostensible d’une appartenance religieuse. » 
 • Le Président assiste à une célébration religieuse (quelle qu’elle soit) ? Cela ne manifeste aucunement la soumission de la République à cette religion tant qu’il ne participe pas au culte lui-même. Il peut donc aller à la messe comme le Général de Gaulle et quelques autres après lui ; ôter ses chaussures en entrant dans une mosquée ; mettre une kipa dans une synagogue (F. Hollande après les attentats de 2015) ; mais, ce faisant, ce ne l’empêche nullement d’être le président d’une république laïque. Son choix d’assister à la messe de Marseille, peut être contesté politiquement, mais certainement pas au nom de la laïcité .