mercredi 4 octobre 2023

De l'art de rendre des comptes

 Chronique LCP du mercredi 4 octobre 2023 


La présidente de l’Assemblée Nationale souhaite « redynamiser » la séance des questions au gouvernement qui a lieu tous les mardis à 15h. Cela vous fait réagir, Pierre-Henri Tavoillot. 

 Ce n’est pas un point anecdotique et la présidente de l’Assemblée a raison de s’en préoccuper. La démocratie ne peut se contenter d’être un jeu de lois et une succession de discours. Parce qu’elle se fonde sur l’espace public, elle doit aussi être une scène et un spectacle. Platon, en son temps, avait dénoncé la théâtrocratie, car il y voyait l’emprise de la démagogie : mais Platon n’était pas démocrate. Rousseau, qui l’était davantage, critiquait le théâtre, comme excluant le peuple (cantonné au rôle de spectateur) du jeu des acteurs. Il préférait la « fête révolutionnaire », participative, mais Rousseau était adepte de la démocratie directe. Or, dans nos démocraties représentatives, la représentation politique doit aussi être théâtrale. 

 La Présidente Yaël Braun-Pivet, considère (à juste titre) qu’elle ne l’est pas assez ou que la pièce manque un peu de piquant. Elle envisage plusieurs pistes pour remettre un peu de peps dans le plebs (la Plèbe) ; et amuser un peu plus la galerie. Ses propositions sont des questions/réponses plus courtes pour un échange plus incisif ; ou alors moins de questions ; ou alors un temps de questions distribué par groupe ; ou revenir à deux séances hebdomadaires. Je ne suis pourtant pas certain que cela change beaucoup la donne. 

 Auriez-vous une proposition à lui faire ? 

 Eh bien oui : le Parlement français, après avoir reçu Charles III au Sénat, pourrait adopter la pratique anglaise des questions aux Communes. En Angleterre, le Premier Ministre est seul dans l’arène et doit répondre en direct et sans préparation à toutes les questions des députés de l’opposition et de la majorité : chaque semaine, c’est un grand oral qui ressemble à un grill. 

 On a ce propos le témoignage de M. Thatcher et de T. Blair dans leurs mémoires respectifs : « Aucun autre chef de gouvernement dans le monde, écrit ainsi M. Thatcher, n’est soumis à ce genre de pression régulière et beaucoup font des pieds et des mains pour l’éviter ; aucun, comme je ne manquais pas de le rappeler à mes collègues d’autres pays que je rencontrais lors des sommets, n’a autant de comptes à rendre qu’un premier ministre britannique ». Et la dame de fer, fidèle à sa réputation ajoutait : « Peu à peu, je finis par me sentir plus sûre de moi … il m’arriva même d’y prendre du plaisir ». 

Plaisir non partagé par Tony Blair de son propre aveu : « Les questions au Premier Ministre resteront l’expérience la plus éprouvante, la plus déconcertante, angoissante, remuante, terrifiante et décourageante de mon vécu de Premier ministre ». « Aujourd’hui encore, ajoute-t-il, où que je me trouve sur la planète, à 11h57 le mercredi, je ressens un frisson glacé, un picotement sur la nuque et mon cœur se met à battre la chamade. C’est l’heure où je sortais du bureau de Premier ministre aux Communes et me dirigeais vers la Chambre. Je l’appelai la marche du condamné ». 

 En quoi cette pratique anglaise permettrait-elle, selon vous, d’améliorer la vie démocratique ? 

 La méthode démocratique peut être décrite en quatre moments : il faut des élections, des délibérations, des décisions et de la reddition des comptes. Les trois premiers moments font l’objet de toutes les attentions quand on veut régénérer la démocratie : réformer les élections (vote blanc, proportionnelle, tirage au sort, …), mettre plus de délibérations (avec des conventions citoyennes), contrôler toujours plus les décisions (au point parfois de les empêcher) ; mais on oublie ce moment capital de la reddition des comptes. C’est un peu l’impensé de la démocratie et je trouve que sa mise en scène au sein du Parlement à travers les commissions d’enquête (comme celle récente sur le nucléaire) ou les questions directes et franches (parrêsia) au chef du gouvernement sont bien plus que des symboles. La reddition des comptes ce n’est ni le « dégagisme » ni le procès au pénal ; c’est le fait de revenir sur des décisions passées, non pour punir ceux qui les ont prises, mais pour améliorer celles qu’il faudra prendre demain.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pourquoi fait-on des enfants ?

 Chronique LCP du 23/01/2024 Bonsoir Pierre Henri Tavoillot, le nombre annuel de naissance en France est passé sous la barre des 700 000 en ...