Il y
a deux laïcités.
• Une laïcité libérale qui se contente d’assurer la
coexistence pacifique des croyances et des non croyances dans un espace public
et commun. Elle ne propose aucun contenu, mais seulement un cadre de vie et de
tolérance. C’est une laïcité neutre et désengagée.
• Il y a une laïcité anticléricale qui entend
éradiquer le religieux comme lieu d’oppression et d’humiliation de la personne
au groupe, au passé, aux dogmes. Elle n’est pas neutre, puisqu’elle considère
que la vie religieuse est une vie faite d’illusion, de domination et
d’erreur ; mais elle n’est pas forcément antireligieuse, pour peu que la
religion renonce à être dogmatique (ce qui est, convenons-en, rude pour celle-ci,
mais loin d’être impossible).
Je suis intellectuellement et politiquement davantage porté
à la première — qui correspond d’ailleurs à l’esprit de la loi de 1905
— qu’à la seconde laïcité. Mais comment ne pas voir qu’une grave objection
se présente aujourd’hui à celle-là ? La laïcité libérale est en effet utilisée
par les adversaires de la laïcité dans le but de la détruire. Au nom de
l’« islamophobie », de la stigmatisation et de l’amalgame, les
fondamentalistes s’attachent à déstabiliser et à fragmenter l’espace public en
exigeant qu’il tolère les intolérants.
C’est cette stratégie que ne semblent pas percevoir certains
des libéraux-laïcs (comme Jean-Louis Blanco et ses défenseurs, Jean Baubérot,
…) ou qu’ils considèrent comme non réellement menaçante (comme Olivier
Roy qui parle du « mythe de la menace islamique »). Leur argumentation
mérite d’être entendue, car elle n’est pas dénuée de sens[1] :
1) Si les islamistes nous obligent à renoncer à nos
principes libéraux, ils auront gagné, parce qu’ils auront réussi à nous
détruire sans presque combattre (argument de Blanco) : il faut donc
maintenir coûte que coûte la laïcité libérale.
2) La menace islamiste est un « mythe » parce que cet
islam radicalisé, mixte monstrueux d’ancien et de moderne, ne peut pas gagner
dans la mesure où il ne propose rien de positif. Il faut garder son sang froid
face à l’émotion de l’événement et de pas changer de route.
Ces deux arguments sont audibles et respectables, mais ils
sont très discutables.
1) Contre le premier argument, je dirai que l’on peut
lutter contre les adversaires de laïcité sans renoncer aux principes
libéraux : c’est la position défendue par Régis Debray (Laïcité au quotidien, guide pratique,
avec Didier Leschi, Folio) ; elle me va bien. Pour lui, la laïcité n’est plus
une question de principe, mais d’application des principes. Et les égarements
de notre temps viennent d’une grande confusion dans cette application :
faut-il du halal à la cantine ? NON ! Le voile jusqu’où : les
cheveux, la tête, les yeux, l’école, le lycée, l’université, la rue ? Etc
… Toutes ces questions sont plus casuistiques que principielles :
elles exigent talent, fermeté et médiation ; plus que lois, déclamations
et effets de manche ! Le critère en la matière est simple et clair :
efficacité !
Aurais-je l’audace de rappeler que c’est ce que j’écrivais
dans l’article « Laïcité » du Dictionnaire
des sciences humaines (dir. S. Mesure et P. Savidan, PUF) paru en 2006 ? On
peut appliquer avec plus de fermeté et de rigueur les principes (libéraux) de
la laïcité sans les détruire : il y a même une (très) belle marge. Encore
faut-il avoir les idées claires … et c’est cette confusion des esprits
plutôt que l’atteinte aux principes que révèlent les égarements passés et
présents.
2) Contre le deuxième argument, je dirai qu’en effet
l’islamisme radical ne peut pas gagner … mais qu’il peut en attendant
faire de très gros dégâts. Et si l’on veut les limiter, il nous faudra
collectivement être un peu plus habiles, moins naïfs et surtout plus vigilants
qu’on ne l’a été jusqu’alors. Comme je suis un indécrottable optimiste, j’ai
tendance à penser que la vigueur des conflits actuels sur le sujet en est le
(bon) signe.
[1] Je laisse évidemment de côté ici des arguments moins
désintéressés qui voient dans l’électorat islamiste un réservoir utile de voix
pour les élections locales … Mais sans nier le moins du monde qu’une telle
stratégie délétère non seulement existe mais est affichée et promue … !
Un état laïc, comme une personne athée, doit élaborer et appliquer ses règles morales sans l'aide de Dieu ... C'est pas facile tous les jours ! Mais votre optimisme est communicatif. Peut-être, à force de vigoureux conflits, parviendrons nous à devenir adultes, tous ensemble.
RépondreSupprimerComme il est fort justement rappelé, la loi de 1905, c est la neutralité ou tendance libérale. Appliquons la telle qu elle est écrite, mais cela ne va pas assez loin pour certains. Peut on aller plus loin? Oui, mais il faut ouvrir un debat pour ca, car contrairment a ce que beaucoup de laique tendance petit pere Combes pensent c est la tendance Brian qui est dans la loi. Donc la loi ça se charge, mais est le parlement!
RépondreSupprimerTout dépend de ce que l'on appelle laïcité libérale. Certains philosophes comme Catherine Audard estiment que la véritable laïcité libérale est celle défendue par Rawls et qui refuse la neutralité puisque celle-ci serait impossible, certains cadres législatifs avantageant dans les faits certaines religions. En effet elle considère que nos sociétés occidentales se cachent derrière un principe de neutralité formelle mais avantagent de manière réelle par exemple le protestantisme par rapport à la religion musulmane. Si nos sociétés sont capitalistes alors cela avantage indirectement les protestants et désavantage les musulmans. C'est une vision où la vraie neutralité serait de mettre à égalité les religions, et bien sûr une vision marxiste de l'égalité réelle. C'est absolument contraire à la vraie vision libérale puisque pour une égalité réelle il faudrait se plonger dans les dogmes de chacun, ce qui est complètement contraire au principe même de la laïcité. Je cite : "La tolérance-indifférence est insuffisante et insultante pour les minorités religieuses." Elle ose qualifier sa vision marxistoïde de la laïcité de libérale, mais chez une personne qui considère Keynes et Rawls comme étant plus libéraux que Von Mises et Hayek, ce n'est pas très surprenant. Cette " laïcité" ouverte ( au sens de tolérance forcée) et égalitariste est tout aussi opposée à la laïcité libérale que ne l'est le laïcisme. Je voudrais savoir si vous pensiez à elle ou Liogier lorsque vous parlez des adversaires de la laïcité. Et à quels débats et mesures précisément vous pensiez lorsque vous parlez de " marge " ? Qu'est-ce qu'est " être ferme et efficace " lors qu'il s'agit d'appliquer les principes de la laïcité ? Merci pour vos réponses éventuelles
RépondreSupprimerDésolé du double post : Pensez vous que ce qui motive la loi de 2004 est la laïcité ou l'ordre public/ le fait que les usagers soient mineurs ? Pensez vous que la loi de 2011 sur la Burqa est motivée par la laïcité ou alors là aussi par l'ordre public ? Merci pour ces éclaircissements.
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