[suite]
Encore quelques extraits de ce carnet de guerre de 14/18 de mon grand père, Paul Tavoillot (voir Blog du 9 septembre 2015). Après la découverte de la guerre, c'est le désenchantement … avant l'accoutumance. Texte retranscris par mon neveu Nicolas Chydériotis.
Encore quelques extraits de ce carnet de guerre de 14/18 de mon grand père, Paul Tavoillot (voir Blog du 9 septembre 2015). Après la découverte de la guerre, c'est le désenchantement … avant l'accoutumance. Texte retranscris par mon neveu Nicolas Chydériotis.
Paul Tavoillot, caporal au 99ème RI, 5ème compagnie.
28ème division d’infanterie, 14ème Corps d’Armée, 1ère Armée.
18 novembre 1914. Pris position en 2° ligne. Immédiatement aménageons à notre gré
cahute antérieurement occupée. Etagères, niches, consoles, rien n’y manque. Un
peu bas de plafond peut-être et sans doute très à l’étroit, mais au moins,
c’est sec.
Sommes
en plein sur le champ de bataille du 2 octobre. La compagnie a laissé là 99
types. Les tumuli et les bosses que l’on devine au loin dans la plaine
attestent la violence de la lutte. Nous nous sommes avancés jusqu’à la route,
où les Allemands ont ouvert un feu meurtrier et démoralisant. Sauve qui
peut !… Du coin du bois, les mitrailleuses crachent, les obus
pleuvent ; les hommes tombent comme des mouches. Ils achèvent maintenant
de pourrir ; et sur ces champs lugubres, l’aube rose et splendide déploie
toute la richesse merveilleuse de ses teintes. Des corbeaux volètent de proie
en proie, seuls êtres vivants que l’œil rencontre sur ces immenses étendues. On
vous a fait la part belle, sinistres bêtes !
On se
fait à tout, on s’adapte avec une aisance extraordinaire, et l’horrible
apparaît comme tout naturel. Ces corps croulants, dont la seule vue affolerait
en temps normal, nous laissent parfaitement indifférents. On ne s’arrête même
plus. On jette un regard de côté et on laisse tomber tranquillement : « C’est
un Boche ! C’est un Français ! » Et rien de plus. Mais l’esprit
marche, marche… On voit ceux qui attendent, étranglés d’angoisse. Attendez,
pauvres femmes, pauvres petits ! Attendez !… Vous pouvez attendre,
maintenant.
L’autre
jour, nous avons trouvé auprès d’un cadavre allemand des lettres, tracées d’une
main qui se révélait fine, par l’élégance des caractères. Elles commençaient
par les mêmes paroles de tendresses qui la terminaient. Attends aussi, pauvre
petite !
A qui
penser, alors, sinon à nous deux, à Miette [Note : ma grand mère] qui m’attend aussi ? Je n’ai
pas peur ; j’ai confiance, mais le rapprochement est fatal. Je me vois
pourrissant là, sous les feuilles de betteraves couvertes de givres, comme j’en
ai vu tant ! Et elle, guettant des jours, des semaines, des mois le facteur,
désespérée mais espérant quand même, jusqu’au moment où elle saurait !
Quelle vision horrible ! Il y a de quoi devenir fou.
Ceux-là
sont étendus depuis le 2 octobre. Leurs médailles ne sont pas encore levées, et
on leur écrit toujours, on leur envoie du linge, des provisions, de la
tendresse… Quelle pitié !…
Souvent,
je me dis qu’il vaudrait mieux être absolument seul au monde, et n’avoir jamais
connu Mimi pour qui je tremble tant maintenant. Pour moi, qu’est-ce que la
mort, et comment déplorer un état que je ne soupçonnerais même pas ? On
vit, on court, on tire, on recourt ; une balle au front, et c’est fini. Ce
n’est rien. Oui, mais ceux qui sont derrière ?…
Je
l’ai échappé belle, ce soir, en revenant de Cappy. Deux coups tirés très près
de la route m’ont fait hésiter quelques secondes, et donné l’idée de me défiler
par le bois de gauche. Puis, tout compte fait, je charge mon fusil et pousse en
avant. Franchis au pas de course un chemin perpendiculaire à la route. Vingt
pas plus loin, nouvelle fusillade. Les balles sifflent tout autour de moi, et
cinglent les arbres et la route. Je m’écrase derrière le talus, cherchant quand
même à voir devant moi. Une salve passe à 2 mètres. Quelques secondes de
retard, et j’y restais. Le beau début !…
Les
Boches se dessalent. Ils ont criblé nos tranchées de pruneaux pendant un
moment. Mais cela ne nous a pas dérangés.
Trois
aéros[1] en l’air
dans la journée. Un peu de soleil, et ces oiseaux sortent. Mais la chasse
commence vite, et les flocons blancs viennent s’épanouir tout autour. Dessus,
jamais ! C’est embêtant !
Nous
allons demain à Chuignes former un bataillon spécial d’entraînement. Raison
donnée : soustraire les jeunes à la rigueur de la saison. Est-ce bien la
vraie ? Les réservistes d’un certain âge me paraissent être de terribles
froussards, et je me demande si…
Ils
sont dégoûtants : deux me disaient hier : « Je regrette de
n’avoir pas fait comme les autres, qui se sont laissés prendre ici. »
Lâches et idiots !
Pour
15 jours, nous resterons là-bas. Les femmes seront tranquilles tout ce temps,
et c’est autant de gagné pour elles. Franchement, je préférerais rester là.
[…]
3 janvier
1915
[…]
Sur les 9500 hommes que comptait le régiment 71 sont
intacts. Les autres, morts, prisonniers, blessés.
[…]
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