dimanche 21 février 2016

La bataille de Verdun (Carnets de guerre de Paul Tavoillot)

Encore quelques extraits  de ce carnet de guerre de 14/18 de mon grand père, Paul Tavoillot. Le récit de loin puis de près de la bataille de Verdun (21 février-19 décembre 1916). Texte retranscrit par mon neveu Nicolas Chydériotis.

Paul Tavoillot, caporal au 99ème RI, 5ème compagnie. 
28ème division d’infanterie, 14ème Corps d’Armée, 1ère Armée.
21 février 1916 :  Le canon ronfle rudement du côté de Verdun. Gare ma permission !

27. Mosson. Epinal[1]. Voul. Marche nocturne très dure, verglas, froid. Tristes pensées le long de cette route qu’a peut-être suivie Joseph. 30 km Toul.

29. Arrivée à Oey, à 6h matin ; Village endormi. Vannés.

Oey - Salmagne. Salmagne - Rignaucourt. (40km) Rignaucourt à Monthairons. Monthairons – Diene. Diene – Béholle. Béholle – Rouvaux. [2]
Marmites. Poux. Flotte. Flotte, poux, marmites. Poux, flotte, marmites… Verdun…

1er avril. Retour Béholle. Détente délicieuse, beau temps. Puis, tout à coup, pluie et marmites.

11. Réserve d’armée à Chaumont-sur-Aire[3]. Temps épouvantable. Pour combien de jours de repos ? Ce séjour dans le secteur nous a coûté presque autant que toute la campagne de Champagne.
300 pertes, blessés, malades, et 80 morts.

Cimetière de Chaumont : fosse commune : un fil de fer relie le cou du mort au pied de la croix.

14. O ! printemps !

16. D.) Comment enterre-t’on les morts, à Ch. / Aire, à 20 km du feu ?
       R.) Comme des chiens.
            Une immense fosse commune qui baille comiquement au soleil, profonde de 2m environ, et enrichie de flaques d’eau. On les y met les uns à côté des autres, chacun son tour. Le dernier arrivé est à peine couvert de terre.
…………Deux fourgons sortent de l’ambulance, le prêtre en flèche, deux territoriaux sales comme des peignes  en franc, le fusil sous le bras…
On arrive. Le mort est descendu sur un brancard, mou encore, saucissonné dans une toile d’emballage, étiqueté. « Biche-le !... » Un nécromant le prend par la ligature du coup, l’autre par celle des pieds, et le couchent dans l’eau. Puis on serre le cou d’un fil de fer qui le reliera au pied de la croix et servira à l’identification du squelette, plus tard, après la guerre, si quelqu’un veut venir en prendre livraison. On retirera au moins quelques vertèbres.
            L’autre, amputé d’une cuisse, saignant encore, gros comme rien dans son rude linceul, est collé sans plus de façon à côté du 1er. Quelques coups de goupillon, les [-] poilus qui s’en vont, le dos barré du fling[4], les mains dans les poches, les femmes partant indifférentes, comme elles ont assisté indifférentes à la « cérémonie » ; et les 1ères pelletées de terre…
                       Par là-dessus, un grand soleil clair qui s’en fout.
…………..A côté de l’ambulance, un embusqué chante la Marseillaise, accompagné par les cuivres en sourdine. « Vous aurez le sublime orgueil… »
Pauvres bougres, si vous comptez sur ce bras vengeur, pas même fichu de vous faire un cercueil et une tombe !....

O ! Printemps ! printemps ! printemps !

19. Enlèvement en auto à 2h30 matin. Laissés en plant à un carrefour. L’averse. 2 ou 3 heures d’attente. Puis, direction Verdun, où nous resterons peut-être plusieurs jours.
            Le 50°[5], régiment inénarrable : parapluies et pantalons tombants. Entrée à Verdun[6] saluée par quelques obus inoffensifs pour nous, néfastes au SP. Ville un peu plus démolie, un peu plus pilée, un peu plus brûlée.
            Nous sommes installés à l’hôpital St Nicolas. Literie descendue dans les caves, où flotte une puanteur de vieux sang et de vieux pus. Froid. C’est égal, on dormira richement bien, cette nuit !...
Couvertures neuves, draps propres, luxe éblouissant.

            Les marmites pleuvent par giboulées, avec un son plat, sans résonnance. Un rayon de soleil passe par le soupirail et met un peu de gaîté dans la cave, et une illusion de chaleur. Que je vais bien dormir, cette nuit !

17h30. « Se tenir prêt à partir à la tombée de la nuit pour relever [illisible] secteur Douaumont » Zut ! flûte et peau de lapin ! Et mon plumard ? Piquons vite un petit somme…

18h. « Eh ! Chef, une note pressée. » Elle précise les ordres ci-dessus et prescrit aux [abréviations illisibles] de se tenir à Verdun, au T.C.
Ison va rayonner ; ça m’embête presque d’un côté. Douaumont, il faut voir ça. Mais j’ai pris d’autre part un tel rhume qu’il vaut mieux me soigner un peu. Et puis, Ison sera si heureuse !!... si tranquille que cela endort mon remords.
19h. Relève demain seulement. Tant mieux.

20. 19h30. Départ de la Compagnie. Cafard. La 1ère fois que je reste en arrière.
            Cafard : combien reviendront, et qui ?

21. Ravitaillement à dos de mulets. Tant de boues que les poilus laissent les vivres sur le bord de la route. Pauvres, pauvres bougres ! Il en manque déjà pas mal.
            Ceux qui descendent sont embourbés jusqu’au ventre et trempés jusqu’aux os.
            On dit qu’il y a attaque ce soir.

22 et suivants. Le « Trou de la Mort ».
            Quantité de pieds gelés.

26. Petits papiers ! « Heureux les Français qui verront la journée du 27 avril. »

27. Bombardement violent du quartier du FS Pavé. Hôpital encadré.

28. J’ai vu la journée du 27.4. et ne suis pas plus heureux pour cela !

29. Relève : pertes totales : 31 dont 3 morts.

30. Bombardement : un obus tombe dans la salle à manger du Colonel.
Borcier[7], Marque[8], tués avec un sergent téléphoniste.
Colonel légèrement blessé ; Marquet[9] grièvement.
2 hommes également.
            Des 8 officiers, (ordonnances) restés pour passer les consignes, deux sont rentrés : capitaine Michoux[10], Lieutenant Rousset[11].
            Jullien sérieusement blessé, mais pas gravement.

Soir : Lieutenant Marquet mort. Général de Brigade blessé.
Ça fond.
Général de brigade mort.
Reproposé sous-lieutenant. Il paraît que je n’ai pas les faveurs du capitaine Michoux, avec qui, d’ailleurs, je n’ai jamais eu affaire. Il paraît même que j’ai trempé dans l’affaire du tonneau !!!!.........

Motif de proposition : « Bonne instruction !!! (Grand merci.) Belle attitude au feu. Serait mieux à sa place comme officier que comme sergent-major (jusque là !....) où il rend peu.
            L’ours et son compère !... Dans son esprit, cette petite note à la fin ne peut que me mettre le pied dans l’étrier !

4 mai. Ciel superbe, où dorment les saucisses[12], toutes dorées de soleil.
            Un ouragan brusque. Amarres rompues, désemparées, tourbillonnant, pirouettant, rebondissant comme des balles. Les voilà parties, filant à toute vitesse dans le vent. Descente en parachute des pilotes. Un ne s’est pas ouvert.

Il paraît qu’on monte ce soir, et que c’est ici notre secteur définitif.

6 mai. Relève ce soir. Les poilus ont grise mine.

7. Bombardement effroyable, attaques répétées.
Effectifs : 1er bataillon 350. 2ème 170. 3ème 360.
                 2ème bataillon : 5ème : 58. 6ème : 8. 7ème 87. 8ème 22.
Duperray tué. Oddot. Colomb. Etc… Ligne maintenue.

10. Nappes d’obus passent au-dessus de nous.
Un prisonnier boche affirmait qu’il doit y avoir une attaque cette nuit. Gay.

[Une page blanche de séparation, démarre le récit de la permission suivante]




[1] Préfecture des Vosges
[2] Marche dans la Meuse ; la plupart des noms sont des lieux-dits.
[3] Meuse, Nord de Bar-le-Duc
[4] Flingue, orthographié tel quel dans le carnet.
[5] 50° Régiment d’infanterie
[6] Meuse. On est en pleine bataille de Verdun.
[7] Ami de Paul, voir plus haut.
[8] Lieutenant François Marque (1885-1916)
[9] Lieutenant Jean-Marie Marquet (1872-1916)
[10] Capitaine Georges Michoux (né en 1887)
[11] Sous-lieutenant Antonin Rousset
[12] Ballons d’observation.

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