Encore quelques extraits de ce carnet de guerre de 14/18 de mon grand père, Paul Tavoillot. Le récit de loin puis de près de la bataille de Verdun (21 février-19 décembre 1916). Texte retranscrit par mon neveu Nicolas Chydériotis.
Paul Tavoillot, caporal au 99ème RI, 5ème compagnie.
28ème division d’infanterie, 14ème Corps d’Armée, 1ère Armée.
21 février 1916 : Le canon ronfle rudement du côté de Verdun. Gare ma
permission !
27. Mosson. Epinal[1]. Voul.
Marche nocturne très dure, verglas, froid. Tristes pensées le long de cette
route qu’a peut-être suivie Joseph. 30 km Toul.
29. Arrivée à Oey, à 6h matin ; Village endormi.
Vannés.
Oey -
Salmagne. Salmagne - Rignaucourt. (40km) Rignaucourt à Monthairons. Monthairons
– Diene. Diene – Béholle. Béholle – Rouvaux. [2]
Marmites.
Poux. Flotte. Flotte, poux, marmites. Poux, flotte, marmites… Verdun…
1er
avril. Retour Béholle. Détente
délicieuse, beau temps. Puis, tout à coup, pluie et marmites.
11. Réserve d’armée à Chaumont-sur-Aire[3]. Temps
épouvantable. Pour combien de jours de repos ? Ce séjour dans le secteur
nous a coûté presque autant que toute la campagne de Champagne.
300 pertes,
blessés, malades, et 80 morts.
Cimetière de
Chaumont : fosse commune : un fil de fer relie le cou du mort au pied
de la croix.
14. O ! printemps !
16. D.) Comment enterre-t’on les morts, à Ch. / Aire, à
20 km du feu ?
R.) Comme des chiens.
Une immense fosse commune qui baille
comiquement au soleil, profonde de 2m environ, et enrichie de flaques d’eau. On
les y met les uns à côté des autres, chacun son tour. Le dernier arrivé est à
peine couvert de terre.
…………Deux
fourgons sortent de l’ambulance, le prêtre en flèche, deux territoriaux sales
comme des peignes en franc, le fusil
sous le bras…
On arrive. Le
mort est descendu sur un brancard, mou encore, saucissonné dans une toile
d’emballage, étiqueté. « Biche-le !... » Un nécromant le prend
par la ligature du coup, l’autre par celle des pieds, et le couchent dans
l’eau. Puis on serre le cou d’un fil de fer qui le reliera au pied de la croix
et servira à l’identification du squelette, plus tard, après la guerre, si
quelqu’un veut venir en prendre livraison. On retirera au moins quelques
vertèbres.
L’autre, amputé d’une cuisse,
saignant encore, gros comme rien dans son rude linceul, est collé sans plus de
façon à côté du 1er. Quelques coups de goupillon, les [-] poilus qui s’en vont, le dos barré
du fling[4], les
mains dans les poches, les femmes partant indifférentes, comme elles ont
assisté indifférentes à la « cérémonie » ; et les 1ères
pelletées de terre…
Par là-dessus, un grand
soleil clair qui s’en fout.
…………..A côté
de l’ambulance, un embusqué chante la Marseillaise, accompagné par les cuivres
en sourdine. « Vous aurez le sublime orgueil… »
Pauvres
bougres, si vous comptez sur ce bras vengeur, pas même fichu de vous faire un
cercueil et une tombe !....
O !
Printemps ! printemps ! printemps !
19. Enlèvement en auto à 2h30 matin. Laissés en plant à
un carrefour. L’averse. 2 ou 3 heures d’attente. Puis, direction Verdun, où
nous resterons peut-être plusieurs jours.
Le 50°[5],
régiment inénarrable : parapluies et pantalons tombants. Entrée à Verdun[6] saluée
par quelques obus inoffensifs pour nous, néfastes au SP. Ville un peu plus
démolie, un peu plus pilée, un peu plus brûlée.
Nous sommes installés à l’hôpital St
Nicolas. Literie descendue dans les caves, où flotte une puanteur de vieux sang
et de vieux pus. Froid. C’est égal, on dormira richement bien, cette
nuit !...
Couvertures
neuves, draps propres, luxe éblouissant.
Les marmites pleuvent par giboulées,
avec un son plat, sans résonnance. Un rayon de soleil passe par le soupirail et
met un peu de gaîté dans la cave, et une illusion de chaleur. Que je vais bien
dormir, cette nuit !
17h30.
« Se tenir prêt à partir à la tombée de la nuit pour relever [illisible] secteur Douaumont »
Zut ! flûte et peau de lapin ! Et mon plumard ? Piquons vite un
petit somme…
18h.
« Eh ! Chef, une note pressée. » Elle précise les ordres
ci-dessus et prescrit aux [abréviations
illisibles] de se tenir à Verdun, au T.C.
Ison va
rayonner ; ça m’embête presque d’un côté. Douaumont, il faut voir ça. Mais
j’ai pris d’autre part un tel rhume qu’il vaut mieux me soigner un peu. Et
puis, Ison sera si heureuse !!... si tranquille que cela endort mon
remords.
19h. Relève
demain seulement. Tant mieux.
20. 19h30. Départ de la Compagnie. Cafard. La 1ère
fois que je reste en arrière.
Cafard : combien reviendront,
et qui ?
21. Ravitaillement à dos de mulets. Tant de boues que
les poilus laissent les vivres sur le bord de la route. Pauvres, pauvres
bougres ! Il en manque déjà pas mal.
Ceux qui descendent sont embourbés
jusqu’au ventre et trempés jusqu’aux os.
On dit qu’il y a attaque ce soir.
22 et
suivants. Le « Trou de la
Mort ».
Quantité de pieds gelés.
26. Petits papiers ! « Heureux les Français
qui verront la journée du 27 avril. »
27. Bombardement violent du quartier du FS Pavé. Hôpital
encadré.
28. J’ai vu la journée du 27.4. et ne suis pas plus
heureux pour cela !
29. Relève : pertes totales : 31 dont 3 morts.
30. Bombardement : un obus tombe dans la salle à
manger du Colonel.
Colonel
légèrement blessé ; Marquet[9]
grièvement.
2 hommes
également.
Des 8 officiers, (ordonnances)
restés pour passer les consignes, deux sont rentrés : capitaine Michoux[10],
Lieutenant Rousset[11].
Jullien sérieusement blessé, mais
pas gravement.
Soir :
Lieutenant Marquet mort. Général de Brigade blessé.
Ça fond.
Général de
brigade mort.
Reproposé
sous-lieutenant. Il paraît que je n’ai pas les faveurs du capitaine Michoux,
avec qui, d’ailleurs, je n’ai jamais eu affaire. Il paraît même que j’ai trempé
dans l’affaire du tonneau !!!!.........
Motif de
proposition : « Bonne instruction !!! (Grand merci.) Belle
attitude au feu. Serait mieux à sa place comme officier que comme sergent-major
(jusque là !....) où il rend peu.
L’ours et son compère !... Dans
son esprit, cette petite note à la fin ne peut que me mettre le pied dans
l’étrier !
4 mai. Ciel superbe, où dorment les saucisses[12], toutes
dorées de soleil.
Un ouragan brusque. Amarres rompues,
désemparées, tourbillonnant, pirouettant, rebondissant comme des balles. Les
voilà parties, filant à toute vitesse dans le vent. Descente en parachute des
pilotes. Un ne s’est pas ouvert.
Il paraît
qu’on monte ce soir, et que c’est ici notre secteur définitif.
6 mai. Relève ce soir. Les poilus ont grise mine.
7. Bombardement effroyable, attaques répétées.
Effectifs :
1er bataillon 350. 2ème 170. 3ème 360.
2ème bataillon : 5ème : 58. 6ème :
8. 7ème 87. 8ème 22.
Duperray tué.
Oddot. Colomb. Etc… Ligne maintenue.
10. Nappes d’obus passent au-dessus de nous.
Un prisonnier
boche affirmait qu’il doit y avoir une attaque cette nuit. Gay.
[1]
Préfecture des Vosges
[2]
Marche dans la Meuse ; la plupart des noms sont des lieux-dits.
[3]
Meuse, Nord de Bar-le-Duc
[4]
Flingue, orthographié tel quel dans le carnet.
[5]
50° Régiment d’infanterie
[6]
Meuse. On est en pleine bataille de Verdun.
[7]
Ami de Paul, voir plus haut.
[8]
Lieutenant François Marque (1885-1916)
[9]
Lieutenant Jean-Marie Marquet (1872-1916)
[10]
Capitaine Georges Michoux (né en 1887)
[11]
Sous-lieutenant Antonin Rousset
[12]
Ballons d’observation.
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