mercredi 17 janvier 2018

Habiter son temps ; vivre le présent

Si l’homme est le seul « mortel », ce n’est pas seulement qu’il meurt ni même qu’il a conscience de sa mort, c’est surtout qu’il ne parvient jamais à vraiment vivre sa vie. Son problème n’est pas tant la brièveté de cette existence que son incapacité à la remplir et son talent à la gâcher.
Toute la philosophie antique comme moderne a fait ce constat : la plupart des moments (hors sommeil) sont parasités, d’un côté par la nostalgie ou les regrets du passé ; de l’autre, par l’espoir et la crainte de l’avenir. Entre les deux, les seuls moments où l’on ressent le présent, c’est ceux où l’on s’ennuie et ceux où l’on souffre. Ennui et souffrance : le temps alors s’éternise … mais quelle plaie ! C’est la fameuse formule de Schopenhauer :
« La vie humaine oscille comme un pendule, de gauche à droite, de la souffrance à l’ennui ».

Alors quel est le salut pour cette vie de m…, pardon : cette humaine condition ?
On peut l’attendre d’en haut ou d’en bas : cela s’appelle la « grâce ». Mystiquement divine, si elle vient d’un dieu ; ou étrangement humaine, si elle émerge d’ici-bas, comme la splendeur de l’art, le vertige de l’amour, la beauté du geste, la magie du goût, …
S’il faut choisir : personnellement, je fais comme Pierre Dac, qui « préfère le vin d’ici à l’au-delà ». Mais tout le problème est que, divine ou humaine, cette grâce ne prévient pas ni ne se fabrique : elle survient.
D’où la quête d'une autre manière — plus volontariste — de vivre l’instant : c’est le travail. Il a certes besoin du passé qu’il cristallise et de l’avenir qu’il prépare, mais il se joue toujours dans l’instant, avec tout de même cet inconvénient : il flirte trop souvent avec la souffrance et l’ennui. Un exemple ? Ce que je devrais faire au lieu d’écrire ce texte : la correction des copies … 

Mais ce qui vaut pour l’individu, vaut aussi pour la collectivité. Elle aussi peine à habiter l’instant. Notre espace public est saturé de « c’était mieux avant » (nostalgie) ; de « repentance » (regrets) ; de « un autre monde est possible » (espoir) et de « la catastrophe qui vient » (peur). Entre les deux, c’est le fil ennuyeux de l’actualité « en temps réel » et le constat permanent de la « misère du monde » : l’indignation, qui nous offre au moins un simulacre d'intensité.

Du coup, puisqu’en matière de salut public, la grâce est périlleuse, car elle nous fait prendre les messies pour des lanternes … il ne reste que le travail collectif pour faire en sorte que tout aille toujours un peu mieux. Mais c'est en réalité ce qu'on fait le moins … Allez au boulot !


D’autant qu’il me reste 112 copies et 23 mini-mémoires à corriger …

1 commentaire:

  1. Si on pouvait remercier pour un moment (de grâce) sans que ça évoque aussitôt un certain livre d'une certaine ex-compagne d'un certain ex-président, je vous remercierais chaleureusement pour votre conférence de ce jour à l'Université inter-âges de Paris-Sorbonne. Prendre du recul et rire, c'est aussi un truc qu'on peut faire collectivement, et si ça ne fait pas aller les choses de mieux en mieux, au moins ça permet d'habiter l'instant ensemble. Alors oui, merci. Et bon courage pour vos copies !

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Sortie de Voulons-nous encore vivre ensemble (Odile Jacob)

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