dimanche 7 janvier 2018

Une loi sur les fake news ?


L’espace public ouvert et pluraliste était la force des démocraties ; il est devenu une de ses faiblesses. Son ouverture et son pluralisme — qui atteignent aujourd’hui un degré inédit — sont utilisés et manipulés par les adversaires de la démocratie :
• à l’intérieur, l’espace public sert de vitrine aux adversaires de la laïcité et aux ennemis de l’ordre public ; à cette petite minorité qui considère qu’il y a des lois plus hautes que celles de la République : les lois de la Nature (Ecologisme radical), les lois d’une Liberté sans entrave (Anarchisme extrême), les lois de Dieu (Fondamentalismes en tout genre), … Avec un sens aigu du marketing, ces groupuscules saturent et épuisent l’espace public.
• à l’extérieur, l’espace public est utilisé par tous ceux qui entendent mener une guerre de déstabilisation massive, notamment quelques puissances étrangères, qu'elles soient politiques ou économiques. Je recommande à ce propos la lecture édifiante du livre de Pierre Gastineau et Philippe Vasset, Armes de déstabilisation massive, Enquête sur le business des fuites de données (Fayard) qui permet de sortir de l’état d’hébétude où nous a plongé l’idéologie de la transparence et l’admiration naïve à l’égard des « lanceurs d’alerte ». En le lisant, on perçoit que l’espace public est devenu le théâtre d’une cyberguerre en vue de « l’hégémonie culturelle » (pour parler comme Gramsci, dont l'analyse continue de convaincre la Russie post-soviétique).

Tout l’enjeu pour les démocraties libérales sera de se défendre contre ces adversaires ou ces ennemis sans perdre son âme, c’est-à-dire sans renier l’esprit de liberté et de publicité.

L’avènement d’internet avait laissé espérer une sorte d’accomplissement ultime de la démocratie : elle allait enfin pouvoir renouer, grâce aux nouvelles technologies, avec la pratique de la démocratie directe. Tous les citoyens auraient enfin droit au chapitre, tous pourraient faire entendre leur voix, tous pourraient participer à la décision ! Raison pour laquelle, il ne fallait aucune régulation de l’internet, espace magique de liberté enfin horizontale.

2017 est la première année du désenchantement politique d’internet : les Leaks n’apparaissent plus si désintéressées ; les trolls du web ne sont plus de joyeux drilles ; les fake news ne relèvent plus du simple folklore ; les hacktivistes n’ont plus le masque sympa de gentils libertaires.
Désormais la prise de conscience est là : les manipulations à grande échelle font basculer une élection (Etats-Unis, Malte, …) ; des officines opaques tirent un profit juteux de l’idéologie de la transparence ; les commanditaires de ces fuites jouent un jeu complexe à plusieurs bandes ; les journaux bien établis, qui relaient ces mêmes fuites, enquêtent en détail sur tout … sauf sur les motivations de ceux qui les leur ont fournies (cela risquerait peut-être de tarir leur source …).

Face à cette menace grave, qu’il a analysé avec beaucoup de pertinence lors de ses vœux à la presse, le président Macron annonce une loi. Réponse bien française, qui a suscité, parmi les éditorialistes, de nombreux doutes à la fois sur son efficacité et sur sa faisabilité.
Efficacité : que pourra une loi française contre un phénomène mondial qui se joue hors de nos frontières, mais aussi, pour une bonne part, au cœur du Darkweb, et dont la puissance de diffusion échappe à tout contrôle … ? Hormis une accélération des procédures (référé) et la menace de poursuites futures … pas grand chose !
Faisabilité : comment établir la différence entre une entreprise délibérée de déstabilisation et une information simplement erronée ? Le critère est délicat à formuler avec précision, d’autant que la politique, en démocratie tout au moins, n’est pas habilitée à décréter le Vrai (ni à la déterminer par un vote majoritaire).

Compte tenu des propos de notre Président sur l’analyse du phénomène, je doute qu’il n’ait pas conscience lui-même du caractère très insuffisant d’une loi de la République pour résoudre le problème. Comme paraîtra très insuffisante la solution alternative souvent proposée par quelques-uns des mêmes éditiorialistes : « l’éducation ». Ah ! L'école ; toujours l’école comme solution miracle de tous les problèmes du monde … ! Bon, mais en attendant sa refondation : que faire ?

Il me semble que le seul critère valable ne doit pas être : telle nouvelle est-elle vraie ou fausse (cela relève de la science), mais telle nouvelle nuit-elle ou non à l’intérêt national (voilà qui relève de la politique) ? Et si elle nuit à l’intérêt national, — ce dont nos représentants sont juges : nous les avons élus pour cela [et si nous n’avons pas confiance : ce n’est pas la peine de vivre en démocratie] —  elle doit être combattue avec la plus grande fermeté. Par la loi, si c’est possible et suffisant ; par d’autres moyens, si c’est nécessaire. Et ces moyens relèvent des services de renseignement, du contre-espionnage et de tout ce qui touche à la guerre cybernétique. Voilà ce qui doit être renforcé massivement, plutôt que l’arsenal législatif.


C’est ainsi — en tout cas — que j'ai envie de (et espère) comprendre l’annonce du Président : pour les Français, on les alerte sur le problème, donc : une Loi ! Pour les manipulateurs du Web, on leur dit : « fini l’impunité ; fini le laxisme ! » ; mais cela se passera dans l’ombre et nous n’en saurons rien. Vive la Loi pour défendre l'idéal de Publicité ; et Vive les services secrets pour lutter contre l’idéologie de la transparence … 

A suivre … 

2 commentaires:

  1. Je suis entièrement d'accord avec votre conclusion (la nécessité de renforcer les services de renseignement et de contre-espionnage plutôt que l'arsenal législatif), qui d'ailleurs me semble valable dans un cadre encore plus large : elle pourrait s'appliquer aussi, par exemple, aux domaines de la prostitution, de la drogue ... bref, de tout ce qui fait l'objet de réseaux internationaux malfaisants, "au-dessus des lois" et insaisissables au niveau national.
    En revanche, l'idée de légiférer sur le critère du "nuisible à l'intérêt national" plutôt que sur celui de la véracité me paraît imprudente, sans-doute parce qu'il me semble que le droit est censé s'appliquer en premier lieu à des faits et non à des idées (fussent-elles celles des dirigeants et de la majorité qui les a élus démocratiquement).

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  2. Sans qu’il me vienne à l’esprit une solution sur mesure pour répondre au fléau et au danger que représentent les fausses nouvelles, surtout lorsqu’elles sont comme aujourd’hui portées par le net et voyagent en un instant à travers le monde entier, je pense qu’il sera nécessaire, pour s’en protéger efficacement et raisonnablement d’utiliser plusieurs recours.

    En ce sens, j’abonde dans le sens de votre article quant au côté insuffisant d’une loi (aspect efficacité), néanmoins je pense que nos démocraties n’en feront pas l’économie. De même que la loi Gayssot de 1990 interdit le négationnisme sans pour autant passer pour une loi de censeur (sauf sans doute dans quelques milieux qui s’en rendent justement coupables), la loi punit également la diffamation, et donc, dans une veine similaire, il me semble que les fausses nouvelles ou plus exactement la propagation de nouvelles, sues fausses par leurs auteurs, mérite l’exposition à des sanctions (aspect faisabilité).

    Entièrement d’accord sur l’insuffisance de la déclamation sur l’éducation mais pour autant, s’il y a un sujet sur lequel il ne faut jamais renoncer c’est bien celui-ci.

    Pour ce qui concerne l’intérêt national, je rejoins votre souhait de prudence Sophie, non que je n’accorde pas de confiance en nos représentants démocratiquement élus, mais l’observation de l’actualité dans des démocraties partenaires me fait craindre de ce que pourrait couvrir un décret d’intérêt national. Dans « des démocraties partenaires » pour en suggérer une en particulier, mais sans vouloir non plus exclure la nôtre de ce risque qui pourrait s’avérer bien tentant. Après tout, quel président ne risquerait pas d’affirmer que poser la question de sa folie constitue une menace pour l’intérêt national ?

    Pas sûr en somme, que tous les journalistes indépendants de notre pays accueilleraient d’une bonne oreille ce genre d’approche, peut-être aurons-nous l’occasion de lire l’avis de l’un deux tantôt…


    Et puis certes, les fausses nouvelles peuvent constituer une réelle menace contre l’intérêt national, mais il peut en être de même pour de vraies. Et dans ce cas, doivent-elles être combattues ?

    De toute façon, les services de contre-espionnage et plus encore, de lutte contre la cybercriminalité, iront en se renforçant et ce, à mon avis, sans besoin d’un appui « émergé » tant les manœuvres et règlements de comptes se dérouleront sous la surface et largement à l’insu de tout un chacun.

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