Je ne sais pas pourquoi, mais l'air du temps me donne envie de republier ce petit texte d'abord paru dans Philosophie Magazine, puis repris dans mon livre Petit almanach du sens de la vie, LDP, 2013.
Et on verra si le gouvernement battra « en retraite » … sur une réforme pourtant indispensable !
Et on verra si le gouvernement battra « en retraite » … sur une réforme pourtant indispensable !
La
retraite
Bienfaits
de la médecine : nous restons vieux de plus en plus tard ; méfaits de
l’économie : nous le devenons de plus en plus tôt. Notre époque est
décidemment bien étrange qui a forgé ce nouvel âge de la vie : celui de la
retraite, où l’on est « âgé sans être vieux ». Un âge d’or ? C’est
l’opinion de près de 60% des Français qui attendent avec impatience la petite
cérémonie du départ : il y aura des chips et des cacahuètes, un petit kir, le
discours du chef, les cadeaux — au choix : un transat, une Pléiade,
une canne à pêche, … — et puis les adieux. Commencera alors une nouvelle ère,
au cours de laquelle, « bon pied bon œil » pour quelques temps encore, on
pourra rattraper le temps qui a été perdu dans la frénésie professionnelle.
Tout alors redevient possible. Sorti du tourbillon de l’urgence, de la
performance et des responsabilités imposées, on entre dans la catégorie,
appréciée des festivals, du « hors compétition ». Certes, il va falloir lutter
contre l’ennui et le sentiment d’inutilité ; sans doute faudra-t-il aussi
s’occuper des vieux parents et des petits enfants ; peut-être que le
montant des pensions ne sera pas aussi haut que prévu ; mais s’ouvre
devant nous une nouvelle vie, où l’on sera actif par choix et par plaisir,
libéré des obligations statutaires, pour trouver le temps de penser à soi.
Inventée
pour être un « secours » contre l’indigence sénile et un (bref) repos après une
(longue) vie de labeur, la retraite est devenue, dans le giron de
l’Etat-providence et en dépit de tous les problèmes de financement, une sorte
de droit à l’épanouissement personnel. Elle renoue ainsi avec le sens originel
du terme, ou plutôt avec les deux sens ; car, depuis la fin de
l’Antiquité, deux modèles de retraite sont en concurrence.
Il
y a, d’un côté, la retraite cicéronienne, défendue et illustrée dans le traité De la vieillesse, qui présente un
vieillard énergique, débordant d’activité, sage et dynamique à la fois. Car le
vieillard, dit Cicéron, s’il possède une bonne nature (et de bons revenus),
sait se débarrasser des passions inutiles : il « fait plus et mieux » que
le jeune. De l’autre côté, nous avons la retraite augustinienne, qui s’envisage
au contraire comme un retrait du monde et de ses vanités. Loin de continuer la
vie normale, elle marque l’amorce d’une nouvelle carrière, en laquelle le
chrétien doit dépasser l’homme, et dont la finalité exclusive est de travailler
à son salut.
Notre
idéal contemporain de la retraite représente une sorte de motion de synthèse de
ces deux traditions. De Cicéron, nous reprendrions volontiers l’image du
retraité actif — « plus occupé que lorsqu’il travaillait » —, mais sans
toutefois la conception aristocratique qu’elle
véhiculait, celle d’une élite éloignée des soucis de la vie laborieuse. De
Saint Augustin, nous garderions sans doute l’idéal du retrait d’un univers
focalisé sur la productivité, la performance et la consommation, mais sans
forcément connecter la quête du salut à la foi chrétienne. Un Cicéron
démocrate, doublé d’un Augustin laïc : telle est la figure rêvée du
retraité d’aujourd’hui. … Au fait, voilà une bonne idée de cadeau
pour un départ à la retraite !
Cicéron, Savoir vieillir, Arlea, 1995 ; Saint Augustin, Œuvres, sous la direction de Lucien
Jerphagnon, « Pléiade ».
Un peu de recul dans ce monde en furie, ça rafraîchit l'esprit. Votre petit texte n'a pas pris une ride. Tout au plus faut-il épaissir un peu la couche de second degré déjà présente dans le premier paragraphe : non seulement la "panoplie du parfait retraité" (qui s'offrait - je vous l'ai entendu dire - du temps de votre grand-père) est tombée en désuétude, mais le fameux "pot de départ", lui aussi, me semble se faire beaucoup plus rare actuellement : carrières "hachées", entreprises au climat social délétère, situations conflictuelles, tout cela concourt à des départs mal assumés, mal vécus, qui privent de plus en plus de gens de notre génération de cet apaisant "rite de passage".
RépondreSupprimerC'est juste : Serge Guérin me racontait d'ailleurs que, dans une grande entreprise ex publique, les jeunes, néo-arrivants, s'étaient plaint au RH que les pots de départ à la retraite n'existaient plus. Les RH pensaient qu'ils étaient « modernes » en supprimant ces petits rites d'un autre âge.
RépondreSupprimerMerci pour ce texte rafraichissant en effet , et merci aussi à Sophie pour son humour , un texte sur la retraite qui n'a pas pris une ride , c'est bien trouvé !
RépondreSupprimerUne réforme est sans doute indispensable , mais quelle réforme ? A chacun d'en juger .
En tous cas pour ce qui est du fameux âge Pivot à 64 ans les analyses d'opinion détaillées montrent que ceux qui ne sont pas ou plus concernés ( les retraités actuels par exemple ) sont majoritairement pour , alors que ceux qui seront impactés ( les jeunes ) y sont nettement opposés.
" Les vertus se perdent dans l'intérêt, comme les fleuves se perdent dans la mer " disait La Rochefoucauld.