lundi 13 avril 2020

Le monde d'après moi

Le monde d’après moi !

Il y a un mauvais et un bon critère simple pour reconnaître un discours idéologique. Le mauvais critère distingue comme idéologue, tout propos avec lequel on n’est pas d’accord. Le second critère est le bon : un idéologue se dévoile lorsque, quel que soit l’événement qui survient, il dit « je vous l’avais bien dit » ! Il se drapera même en prophète de l’advenu ajoutant que l’événement vient confirmer son analyse de manière éclatante. C’est ainsi que Lénine avait sorti de son chapeau la théorie du « maillon le plus faible » pour justifier que la révolution prolétarienne ait éclaté en Russie et non en Allemagne ou en Angleterre ainsi que Marx le prévoyait. Comment expliquer, en effet, qu’une révolution anticapitaliste puisse survenir dans un pays encore plongé dans un servage quasi médiéval ? Justement, proclamait sans rire Lénine (il riait peu !) : c’est dans cette phase embryonnaire du capitalisme que les contradictions entre les forces productives et les rapports de production sont les plus vives !




Les petits Lénine fleurissent aujourd’hui comme les pâquerettes d’avril quand on leur demande les causes de la pandémie et ce que sera le monde d’après. Nos chers lemondedaprèsologues (nouvelle discipline) n’hésitent pas à parler d’une punition de la nature (tout comme Daech parle d’une punition divine), d’une mise à bas de la mondialisation libérale, d’un échec éclatant du capitalisme, sans voir que les pandémies ne sont pas le propre de la modernité capitaliste et productiviste. Ils nous annoncent un monde fait d’empathie, de circuits courts, de vert, de déconsommation, de décroissance (là : ils ont raison !), …

Pauvre Pablo Servigne, collapsologue distingué, qui s’est trompé de catastrophe ! Mais qu’à cela ne tienne ! « Cette crise, je ne l’ai pas vu venir, alors que je la connaissais en théorie » (Le Monde, 10 avril). Formule formidable, qui mêle dans une absence assumée de toute espèce de cohérence, l’humilité de celui qui s’est trompé et la vanité de celui qui a eu raison avant les autres ; le tout animé par une Schadenfreude qui frise, à mes yeux, l’abjection, car elle s’accompagne d’un vernis compatissant à l’égard de tous ceux qui souffrent ! Par où l’on voit que ces pensées ne sont en fait animées que par une seule chose : la haine du présent. Pour elles, tout effondrement est bon à prendre.

Il faudrait noter scrupuleusement toutes ces prophéties, tous ces plans quinquennaux, tous ces « plus rien ne sera comme avant » ; puis se donner rendez-vous dans un an pour les passer un à un au crible du réel. Mais c’est une tâche vaine, car ces analyses et ces prévisions n’ont que faire de la réalité : les faits ne contrarient jamais les idéologies.

Pour la majorité d’entre nous, le plus grand espoir est de revenir vite au « monde d’avant » qui était très loin d’être parfait, mais sur lequel je défie quiconque de cracher en connaissance de cause. Mais, l’ampleur de la crise, montre qu’il va falloir aussi changer sans pour autant verser dans le révolutionnaire. Car le « plus rien ne sera comme avant » rappelle les promesses faites les lendemains de cuite ! Il faut plutôt promouvoir ce que cette crise va nous permettre d’améliorer plutôt que passer notre temps à détester ce que nous sommes.  Bref, la réforme (infiniment difficile) plutôt que la révolution (qui se paie toujours et de mots et de crimes).

L’Etat providence a failli dans sa tâche de prévention et de protection ; aucune raison pourtant de le jeter à la poubelle, à condition de renforcer son efficacité, alors même qu’il sera fragilisé par l’ampleur de l’endettement. Le marché n’est pour rien dans la crise (sauf celui aux animaux de Wuhan), mais aucune raison de renoncer à le réguler. La mondialisation n’est pas, en tant que telle, responsable de la pandémie, mais la question des secteurs stratégiques de souveraineté doit être repensée d’urgence. Ni la désétatisation, ni la décapitalisation, ni la démondialisation, ni la déconsommation n’offrent à mes yeux de perspectives crédibles — ce serait trop simple —, mais — et c’est beaucoup plus exigeant — un Etat plus intelligent, un capitalisme mieux apprivoisé, une mondialisation mesurée, une consommation rééquilibrée, une innovation mieux finalisée. Pour penser demain, il est vain d’user d’un hier doré.

2 commentaires:

  1. Merci pour cette mise au point. Merci aussi d'avoir enrichi mon vocabulaire du mot "Schadenfreude", un de ces mots composés allemands qui synthétisent si élégamment un concept. A posteriori, ledit mot me semble d'ailleurs pouvoir s'appliquer assez bien à votre propre sentiment à l'égard de ce "Pauvre Pablo Servigne":-).
    Votre titre m'intrigue. Cette pandémie et sa gestion par les états m'évoquent en effet la gestion d'une autre crise : celle du réchauffement climatique. Pour la pandémie de Covid-19, il y aura un "monde d'après", qui ne sera pas, j'espère, un "monde d'après moi", et qui, je l'espère aussi comme vous, ne sera pas trop pire que le monde d'avant. En revanche, pour le réchauffement climatique, il y aura un "monde d'après nous", c'est à dire après notre génération, et j'ai bien peur que cette différence essentielle entre les deux crises ne permette que peu d'espoir quant à la capacité des états à gérer la deuxième avec autant d'efficacité (car oui, il y a des manques et des imperfections, mais tout de même, quelle réactivité !) que la première.

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