mercredi 8 juillet 2020

Confiance et autorité en démocratie

 Paru dans Le Figaro, le 8 juillet 2020




Crise Covid-19 : les comptes ne sont pas rendus.

« L’autorité vient d’en haut, la confiance vient d’en bas », disait Sieyès. Le problème français est que nous n’avons plus ni haut ni bas. C’est la principale leçon de la crise, qui vient confirmer un diagnostic établi depuis longtemps.
Du côté de la confiance, les citoyens n’en ont guère envers un Etat auquel ils demandent pourtant sans cesse davantage. L’Etat est plein de défiance à l’égard de la société civile qu’il perçoit comme un tas de Gaulois réfractaires. Au sein de l’Etat, l’exécutif ne se fie que peu à l’administration qui le lui rend bien, ni au législatif qui s’englue dans l’atonie. Entre les élus et les services, que de malentendus ! Entre le national et le local, que de soupçons ! Et que dire des citoyens entre eux quand on voit une Convention de 150 citoyens tirés au sort ne faire aucune confiance aux 60 millions de leurs congénères pour relever les défis du changement climatique ? Leurs propositions le révèlent : il faut punir ces ignorants pour leur bien et les forcer à entrer dans une écologie décroissante ! Il faut bouleverser la Constitution pour contraindre les politiques à tout jamais. Sans doute la question posée induisait-elle assez largement ce type de réponse.
Du côté de l’autorité, même constat alarmant : elle est dénigrée d’en bas dès qu’elle tente de s’affirmer ; elle est embourbée en haut par les abus de contre-pouvoirs et d’agences irresponsables qu’elle s’est imposés à elle-même. Souvent laxiste et inefficace, là où elle devrait s’affirmer ; parfois autoritariste, là où elle devrait être à l’écoute : elle est toujours à contretemps ! « Nul n’obéit à quelqu’un qui ne croit pas à son droit de commander ». Raymond Aron, rejoint là, deux fois n’est pas coutume, De Gaulle : « Heurtée d’en bas, chaque fois qu’elle se montre, [l’autorité] se prend à douter d’elle-même, tâtonne, s’exerce à contretemps, ou bien au minimum avec réticences, précautions, excuses, ou bien à l’excès par bourrage, rudesses et formalisme » (Le Fil de l’Epée, 1932). La date de ce texte révèle que le problème n’est pas vraiment nouveau. Il est structurel en démocratie. Mais ce n’est pas une excuse. Car l’ampleur qu’il prend est vraiment inquiétante.

C’est ce que révèle une note remarquable publiée par Nicolas Bauquet, directeur des études à l’Institut Montaigne, sur l’action publique durant la Crise de la Covid-19[1]. Il fait là le travail urgent et capital que font mal — en ce moment même — les commissions d’enquête parlementaires. Il s’agit d’une analyse serrée, sans complaisance mais sans accusation, de ce qui a marché (l’informel) et dysfonctionné (la chaîne bureaucratique) dans la gestion de la crise. La défiance entre services, le carcan des règles, la terreur des responsabilités, les rétentions d’informations utiles, l’indigestion de données inutiles, la dilution de la décision, les ruptures graves dans les chaines de commandement, le brouillage du rapport entre le savant et le politique. Nous l’avons vu à propos de la gestion des tests, des masques, du confinement, de l’organisation de la santé en France, des relations entre la recherche médicale et le soin … : sur tous ces sujets, il y a eu, en trois mois, un condensé exceptionnel de tous les défauts, mais aussi des forces de notre système.

Après la crise, il y a donc une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne est que la qualité des personnes, — y compris au plus haut niveau — leur dévouement et leurs initiatives ont permis de tenir bon. Jean Castex a été une de ces chevilles ouvrières. La mauvaise est que les circuits institutionnels n’ont cessé de leur mettre des bâtons dans les roues.
Alors que nous sommes en train de renouer avec le quotidien et nos mauvaises habitudes, ne gâchons pas cette occasion unique de nous améliorer. Le changement de Premier Ministre est censé ouvrir une nouvelle ère. Déjà les chantiers s’esquissent avec leurs lots de querelles prévisibles et de blocages annoncés. Ce serait pourtant une grave erreur de nous priver du devoir du bilan. Il faut revoir en détail le déroulé de cette séquence complexe sans perdre de vue les idées directrices. L’énergie nationale devrait s’attacher non seulement à sortir de la crise, mais à en tirer les leçons, sans esprit d’accusation, ni désir de vengeance. De ce point de vue, les procédures judiciaires engagées au pénal contre les responsables politiques sont d’une bêtise insigne révélant seulement l’extrême confusion des esprits : la substitution du juridique au politique. Non ! Le seul but qui doit animer l’intérêt général n’est ni de punir ni d’ostraciser, mais d’améliorer les choses par l’examen scrupuleux de nos faiblesses. Avons-nous encore cette énergie qui permettra de faire se rencontrer l’autorité d’en haut et la confiance d’en bas ? En avons-nous même encore le désir ?

Pierre-Henri Tavoillot et Eric Deschavanne animent ensemble le Collège de philosophie.

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