vendredi 16 juin 2023

La querelle des jours fériés

 

Chronique LCP du 15 juin 2023

Le bac de philo est passé, les vacances approchent, c’est, pour vous, le bon moment de revenir sur la polémique récente sur les jours fériés. 
 Oui, c’est une question qui revient régulièrement et qui a été relancée récemment par le maire de Grenoble Eric Piole au moment où le ministre de l’intérieur notait le très fort absentéisme des élèves pour l’Aïd-el-Fitr, la fin du ramadan. Contre ce qu’il percevait comme de la discrimination Eric Piole avançait deux propositions. D’abord de supprimer certains jours fériés (par exemple Pentecôte), pour le remplacer par d’autres célébrations, comme celle de l’abolition de l’esclavage qui est férié dans les départements d’OM (mais à des dates différentes). Personnellement je trouve que c’est une proposition pertinente (ce fut l’objet d’une proposition de loi trans-partisane de 2018 qui plaidait pour le 2 février). Ensuite, il proposait d’ouvrir les jours fériés à d’autres religions comme l’avait déjà fait, en 2003, la Commission Stasi. Sans remettre en cause le calendrier, elle notait que « la République s’honorerait en reconnaissant les jours les plus sacrés des deux autres grandes religions monothéistes présentes en France, les bouddhistes organisant leur fête annuelle principale un dimanche de mai. » Je suis beaucoup moins convaincu par cette idée. 

 Les jours fériés religieux restent donc un point de friction entre les cultes et la république laïque 
 Oui, mais il faut bien noter que c'est toujours la République qui a le dernier mot. La France a 11 jours fériés (c’est la moyenne européenne), dont 6 sont liés à des fêtes religieuses catholiques. Sous l’Ancien Régime, il y en avait près de 50 ! Et la Révolution, malgré sa tentative de table rase calendaire, a eu bien du mal à faire le tri. Arrive Napoléon, bien décidé à mettre bon ordre. Il le fait de manière rationnelle en conciliant Ancien Régime et Révolution à partir d’un principe simple : un jour férié par saison. La Toussaint pour l’automne ; Noël pour l’hiver ; l’Ascension au printemps et l’Assomption en été (fête qui d’ailleurs était déjà « nationale » depuis Louis XIII). Il reste deux jours : comme par hasard, ce sont des lundi — le lundi de Pâques et le lundi de Pentecôte. Et ce ne sont pas des fêtes religieuses : ils sont le fruit de revendications des marchands pour se reposer des fêtes. La genèse du dimanche chômé est tout aussi surprenante : la Révolution le supprime, la Restauration le restaure, la République le supprime à nouveau en 1880. Il faut attendre la catastrophe de Courrières, le 10 mars 1906 dans le bassin minier du Nord pour que les Républicains acceptent l’idée d’un repos hebdomadaire indispensable pour les ouvriers. C’est une exigence de la CGT et chacun s’accorde, un an après la loi de 1905, sur le dimanche ! 

 Napoléon, les marchands, la CGT : ces jours chômés, dit religieux, ne le sont guère ! ou du moins pas seulement. 
 Tout à fait : rappeler cette histoire permet de redire que le contraire de la laïcité, ce n’est pas la religion, mais le fondamentalisme qui lui prétend vouer tous les jours de l’année à une seule religion, du matin au soir, 24h sur 24h. C’est contre cet impérialisme chronophage du fondamentalisme que la laïcité construit un compromis évolutif entre plusieurs dimensions de la vie : les mœurs nationales, les spiritualités individuelles, l’utilité sociale et la symbolique collective. Il n’y a pas que la religion dans la vie, mais il peut y avoir du religieux : voilà le grand message de la laïcité.

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