Enfin quand je dis second tour,
je devrais dire sixième tour, après quatre
tours de primaires, et avant deux tours de Législatives. La France aura donc eu
besoin de huit tours pour produire un
exécutif/législatif en état de fonctionner : plus jamais ça, par pitié !
« En même temps » (comme
dirait l’autre), il le fallait peut-être pour produire la reconfiguration qui
semble en cours. Quelle reconfiguration ?
1) Un nouvelle ligne de front —
Eh bien,
celle que Marine Le Pen a été la première à formuler clairement et il faut,
malgré tout, lui reconnaître ce mérite. Il y a les mondialistes et les
anti-mondialistes. Ce clivage est à la fois idéologique et territorial. Territorialement,
il correspond à la fracture repérée par le géographie Christophe Guilluy (Fractures françaises) dès 2010. D’un côté, les territoires “mondialisés” :
centres villes et banlieues, caractérisés par la mobilité et
l’ouverture internationale ; de l’autre, la France périphérique,
enracinée, oubliée des médias, méprisée des élites, dénigrée comme raciste. La montée du Front National est le
résultat non seulement de cette fracture, mais surtout de son déni. C’est
aussi la raison pour laquelle le Front National a pu “mordre” sur tous les
courants politiques : sur la droite classique implantée dans les territoires et
les terroirs, sur l’extrême gauche qui partage sa détestation de la
mondialisation capitaliste, sur le mouvement souverainiste qui ne trouve aucun
argument à opposer aux colères anti-européennes ou protectionnistes du clan Le
Pen. Face à lui, on a une soupe idéologique qui fait l’éloge du métissage et du
multiculturalisme, qui défend l’ouverture des frontières, les joies du
communautarisme, tout en se posant en moralisateur anti-amalgame,
anti-islamophobie, anti-racisme, … Ces deux pôles extrêmes se renforcent
en se caricaturant. Entre les deux, la voie est pourtant claire : la mondialisation est un fait que
l’on ne peut pas contourner et le patriotisme consiste aujourd’hui moins à la
nier qu’à l’affronter. Or la France a les moyens d’être conquérante
dans la mondialisation : et je ne vois pas en quoi la fuite ou le déni de
cette réalité sera le moins du monde “patriotique”. [Je reprends ici les termes d'une
ITW donnée pour Atlantico,
15 décembre 2015]
Les noms des partis anti-mondialistes
sont significatifs : Front National
et Front de gauche. Clairement ils en
appellent, tous deux, à une nouvelle ligne Maginot ; tandis qu’En marche ! plaide pour une guerre
de mouvement. Et c’est donc reparti comme en 40 ! En outre, l’appellation
« France insoumise » acte le fait que la mondialisation a gagné, que l’occupation
(allemande) a commencé et qu’il ne reste plus que la Résistance. Comme en 40,
je vous dis.
2) Les vieux partis à la peine
Face à cette nouvelle ligne de
front, les deux partis traditionnels, PS et LR, sont à la peine ; lourds
appareils de vieilles tranchées où les combats ont cessé depuis longtemps.
Avant ces législatives, ils tentent pourtant de se situer comme des futurs
contre-pouvoir.
A droite, on se demande au nom de quoi. Certes le programme de
Fillon se démarquait de celui de Macron en ce qu’il considérait qu’avant de se
mettre en marche pour la reconquête mondiale, il fallait au préalable se
renforcer afin de dégager une marge de manœuvre opérationnelle. Il visait un quadruple
renforcement intérieur : désendettement massif de l’Etat, traitement vigoureux
des dérives communautaristes, libéralisation du marché du travail et réforme de
l’éducation nationale. Ces éléments étaient aussi présents chez Alain Juppé,
mais de manière beaucoup moins radicale. Or, les Républicains sont en train d’abandonner
la vigueur fillonniste pour se rabattre sur l’identité heureuse juppéiste. Et l’on
ne voit donc plus ce qui les distingue du macronisme. Au nom de quoi
faudrait-il voter pour leurs candidats aux législatives ? Leur programme ne
se distingue en rien et leur logique d’appareil sera plutôt bloquante qu’entraînante
…
A gauche, le dilemme est un peu différent. Soit le PS se gauchise au
risque de se faire absorber par Mélenchon ; soit il reste un parti « moral
», ancré sur les postures anti-raciste, multiculturaliste, d’antilibéralisme
économique, d’hyperlibéralisme éthique, de vigilance sociale, et il se coupe de
la culture de gouvernement pour devenir le parti de la « bonne conscience ».
Dans les deux cas, on ne voit pas très bien pourquoi il faudrait voter pour leur
candidat aux législatives.
A l’extrême gauche et à l’extrême
droite, il n’en va pas de même. Les deux Fronts représentent la véritable
opposition, proche sur le fond, mais encore opposée dans la cartographie
mentale du paysage. C’est une vieille règle de la géographie depuis Magellan :
quand on va très loin vers l’extrême orient on finit par rejoindre l’extrême
occident.
Ces deux pôles estiment que le
nouveau président élu avec 20 millions de voix sur les 47,5 millions d’électeurs
n’est pas légitime et qu’il a échoué. Ce discours est plus développé chez
Mélenchon qu’au Front National, ce qui fait de celui-ci, contrairement à ce qu’on
entend d’ordinaire, un parti plus républicain que celui-là.
En l’état actuel des choses aux
lendemains de la prise de fonction du Président et de la nomination du Premier
Ministre, on ne voit guère de raisons qui feraient que les Français ne donnent pas
au Président la majorité qui lui permettra d’agir.
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