lundi 8 mai 2017

Les trois défis de « Macron Le Jeune »

Paru dans Le Monde du 8 mai 2017

TRIBUNE. Président à 39 ans ! Mais quelle idée, aussi ! Il y a tant de choses à faire dans la vie : expériences professionnelles, projets d’entreprises, vie familiale. Président de la France, c’est plutôt un job de fin de carrière… juste avant le Conseil constitutionnel. Et puis, quelle insulte pour tous ceux qui, depuis leur plus tendre enfance, sèment, laborieusement, sur le chemin qui conduira à la magistrature suprême, caillou après caillou. « Macron la Flibuste », en un an, se met en marche et rafle la mise au nez et à la barbe de tous les tâcherons de la politique. Donc, Macron est jeune et vif. Encore plus que Giscard d’Estaing, qui fut, certes, président à 48 ans, mais avec une déjà longue carrière : député à 30 ans, secrétaire d’Etat à 33 ans, ministre des finances à 36 ans. Macron, lui, est à la fois jeune et neuf. Est-ce une qualité ? Notre époque tend à le penser.
Alors que les sociétés traditionnelles estimaient que le passé était la source du sens et qu’il fallait en tout imiter plutôt qu’innover, nous autres modernes marchons à l’innovation, convaincus que c’est dans l’avenir que réside le sens de nos vies. D’où le fait que nous valorisions autant les enfants et les jeunes, traces sensibles d’un futur déjà là, alors que, jadis, c’étaient les anciens qui faisaient autorité, restes grandioses d’un héritage sublime.
C’est contre cette admiration du passé que la démocratie et le capitalisme se sont construits. La première entend faire du passé table rase contre l’« ancien régime », afin d’instaurer le régime de l’autonomie : nous sommes les seuls créateurs de nos lois. Le second s’impose comme « destruction créatrice » visant, pour créer toujours plus de valeur, à démoder toujours plus vite les modes de vie anciens. Cela produit deux traits de notre époque : le « jeunisme » et le « bougisme ». Emmanuel Macron est donc, comme nous tous, l’enfant d’un temps qui nous oblige à être jeune et en marche.

« On fait campagne en vers, mais on gouverne en prose »


Mais jeunisme et bougisme n’ont pas que des avantages. D’abord on vieillit ; ensuite, il faut savoir où l’on va. D’où les trois défis qui attendent « Macron le Jeune ».
1. D’abord, notre époque est beaucoup moins euphorique sur le futur que pouvaient l’être les générations antérieures, notamment celle de Mai 68. Aujourd’hui, les nuages s’accumulent – environnementaux, géopolitiques, économiques. La perte de confiance en l’avenir tend à rendre le jeunisme un peu ringard. Car il ne suffit plus seulement d’être jeune pour sauver le monde, comme à l’époque des jeunesses révolutionnaires.
2. Ensuite, si Macron est un président jeune, il n’est pas le président de la jeunesse, ou du moins de toutes les jeunesses. A vrai dire, aucun mouvement n’a réussi à les réunir au point de s’en décréter le représentant majeur. Les 18-24 ans sont aussi divisés que l’électorat, et En marche ! ne capte, semble-t-il, que la part mondialisée et diplômée, qui n’a pas de problème. Loin de la jeunesse perdue, qui échappe à tous les circuits de l’Etat-providence et est, pour l’avenir de l’Europe, une vraie bombe à retardement.
3. Enfin, Macron, qui est rempli de talent, a eu aussi une chance insolente : Juppé et Valls éliminés aux penalties, Hollande forfait, Fillon mis hors-jeu et Marine Le Pen, carton rouge dans les prolongations. Mais le plus dur commence. « On fait campagne en vers, mais on gouverne en prose », disait le démocrate américain Mario Cuomo. La jeunesse n’est alors d’aucun secours pour affronter l’adversité et surmonter les épreuves du pouvoir. Car lui fait défaut l’élément crucial de la politique : le sens du tragique.
Sarkozy (né en 1955) et Hollande (né en 1954) furent les premiers présidents à n’avoir pas connu la guerre, c’est-à-dire le « dur de l’histoire ». Ils mirent du temps à en prendre l’habit, et jamais tout à fait. Macron (né en 1977) n’a, quant à lui, même pas connu l’échec. Son livre (Révolution, XO, 2016) le montre d’ailleurs, c’est un livre d’idées – en vérité plus réformiste que révolutionnaire –, mais pas un livre d’action. Il montre ce qu’il faut faire, mais ne dit pas comment le faire. Les prochaines semaines seront le vrai test sur son art d’exécution avant qu’arrive – forcément – la désillusion. Je souhaite, pour la France, qu’elle soit la plus tardive possible.

En attendant, écoutons cette leçon d’un ancien, Xénophon, disciple de Socrate. En 370 avant J.-C., il rédige la Cyropédie, sorte de biographie idéalisée du jeune Cyrus le Grand, fondateur de l’Empire perse (559-530 av. J.-C.). Ce sera le livre de chevet d’Alexandre, de César, de Napoléon, le confident de leur esprit de conquête. Sublime réflexion sur le charisme, l’ouvrage dresse le portrait rêvé d’un roi exceptionnel, doué de toutes les qualités : beauté, intelligence, force, prudence, justice, à qui tout réussit. Il vole de victoires en ralliements. De son ennemi, le riche roi Crésus, il fait son principal conseiller. Son empire abat les frontières et réunit des nations, jusque-là ennemies, qui ne parlent pas la même langue. Mais le récit de tant de succès devient suspect et l’on comprend qu’il est en fait celui d’un rêve éveillé : celui que caresse en secret tout prétendant au pouvoir. Dans la vie réelle, la prose reprend (trop) vite ses droits.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/05/08/pierre-henri-tavoillot-la-jeunesse-n-est-d-aucun-secours-pour-surmonter-les-epreuves-du-pouvoir_5124047_3232.html#G27zAZuXd4hFC191.99

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