J’apprécie parfois de lire les
livres, qui ont fait l’actualité, avec un petit décalage, une fois que les
passions se sont apaisées ou ré-enchaînées … C’est le cas du livre Un Président ne devrait pas dire ça … mais
il me plonge dans un ennui sidéral … Et c’est tout ce qui en restera !
Plus intéressant le Révolution d’Emmanuel Macron, à lire maintenant puisque son auteur a le vent en poupe et qu'il aura, sans aucune hésitation, mon suffrage au
second tour.
Mon avis général sur ce livre est
qu’il est intéressant dans le détail et décevant dans l’ensemble. Il est
intéressant parce qu’il formule dossier par dossier sa volonté louable et
bénéfique de préférer le bon sens à l’idéologie et de casser les carcans des
idées reçues qui structuraient le clivage politique français …
Il est intéressant surtout parce
qu’il défend scrupuleusement une vieille et bonne idée, dont la plus belle
formulation, à mon sens, se trouve dans Les Misérables de Victor Hugo, ouvrage, comme on sait, profondément
néolibéral :
« Tous les problèmes que les socialistes se proposaient,
les visions cosmogoniques, la rêverie et le mysticisme écartés, peuvent être
ramenés à deux problèmes principaux : Premier
problème : Produire la richesse. Deuxième
problème :La répartir. Le premier problème contient la question du
travail. Le deuxième contient la question du salaire.
Dans le premier problème il s’agit de l’emploi des forces. Dans
le second de la distribution des jouissances.
Du bon emploi des forces résulte la puissance publique. De la
bonne distribution des jouissances résulte le bonheur individuel.
Par bonne distribution, il faut entendre non distribution égale,
mais distribution équitable. La première égalité, c’est l’équité.
De ces deux choses
combinées, puissance publique au dehors, bonheur individuel au-dedans, résulte
la prospérité sociale.
Prospérité sociale,
cela veut dire l’homme heureux, le citoyen libre, la nation grande.
L’Angleterre résout
le premier de ces deux problèmes. Elle crée admirablement la richesse ;
elle la répartit mal. Cette solution qui n’est complète que d’un côté la mène
fatalement à ces deux extrêmes : opulence monstrueuse, misère monstrueuse.
Toutes les jouissances à quelques-uns, toutes les privations aux autres,
c’est-à-dire au peuple ; le privilège, l’exception, le monopole, la
féodalité, naissent du travail même. Situation fausse et dangereuse qui assoit
la puissance publique sur la misère privée, et qui enracine la grandeur de
l’Etat dans les souffrances de l’individu. Grandeur mal composée où se
combinent tous les éléments matériels et dans laquelle n’entre aucun élément
moral.
Le communisme et la
loi agraire croient résoudre le deuxième problème. Ils se trompent. Leur répartition
tue la production. Le partage égal abolit l’émulation. Et par conséquent le
travail. C’est une répartition faite par le boucher, qui tue ce qu’il partage.
Il est donc impossible de s’arrêter à ces prétendues solutions. Tuer la
richesse, ce n’est pas la répartir.
Les deux problèmes
veulent être résolus ensemble pour être bien résolus. Les deux solutions
veulent être combinées et n’en faire qu’une.”
Victor Hugo — Les Misérables (1862), pages
856-857 (éd. Pléiade)
Tout cela n’est que sagesse et je
suis toujours étonné qu’il y ait autant de gens qui fassent autant d’efforts intellectuels
pour parvenir à n’être pas d’accord avec ça.
Mais le vrai problème arrive avec
le « comment ? ». Qu’il faille articuler création et répartition :
nul n’en doute (ou presque) ; mais comment y parvenir ? Voilà le vrai enjeu. Et c’est
ma vraie déception à l’égard du livre de Macron qui, contrairement à celui de
Fillon, compte seulement sur son charisme et l’évidente bonne volonté nationale (!) pour
parvenir à cette « grande transformation » (chapitre IV). Bref, il suffira d’expliquer
pour y arriver. Ce n’est qu’une affaire de « pédagogie » (et je n’ose dire de «
communication »). Il suffira de bouger pour avancer. Comparativement, le livre
de Fillon (Faire) comportait, à mon
sens, une bien meilleure intégration des contraintes que la réalité oppose quotidiennement
au pouvoir : c'était un livre politique, qui faisait l'inventaire des résistances (d'où son côté austère et peu amène) ; alors que celui de Macron est un livre d'idées. L’insouciance de Macron subira forcément une puissante désillusion
— et je souhaite, pour la France, qu’elle soit la plus tardive possible.
L’autre déception à l’égard du livre touche la vision du
monde et les concepts.
Petit commentaire de texte (tiré du chapitre III – Ce que
nous sommes), pour exemple :
«
La République que nous aimons, celle que nous devons servir, c’est celle de
notre libération collective.
Libération des superstitions, religieuses ou politiques, libération des
préjugés sociaux, libération de toutes ces forces qui concourent à faire de
nous des esclaves sans que nous en ayons toujours conscience. La République est
notre effort, un effort jamais achevé. Elle reste toujours à accomplir »
(édition Kindle, emplacements 466 et la suite en 486)
Cette définition de la République
est, pour moi, insuffisante, parce qu’elle est purement négative. Dans la
fameuse distinction proposée par Régis Debray (que cite d’ailleurs E. Macron),
elle correspond plutôt au versant démocrate des droits qu’au côté républicain
des devoirs.
Je cite Debray :
« La république, c’est la liberté, plus la raison. L’État
de droit, plus la justice. La tolérance, plus la volonté. La démocratie,
dirons-nous, c’est ce qui reste d’une république quand on éteint les Lumières »
Mais, que Macron préfère être démocrate que républicain, c'est son droit. Pourtant …
Continuons la lecture :
« Cette France,
républicaine par nature [PHT — un peu étonnant au regard de l’histoire de France … mais passons], qui est
la nôtre, a des ennemis. Les républicains ne peuvent jamais faire l’économie de
les nommer. Ces ennemis si divers ont tous en commun d’être des rêveurs – mais
des rêveurs parfois criminels –, des puritains, des utopistes du passé. Ils
croient détenir une vérité sur la France. Ce n’est pas seulement un danger,
c’est un contresens. La seule vérité qui soit française, c’est celle de notre
effort collectif pour nous rendre libres, et meilleurs [PHT — EM ajoute ici une autre idée : être
libre, c’est moralement neutre ; être meilleur, ce ne l’est pas ! Tiens ? il deviendrait républicain ? ] que nous sommes ; cet effort qui doit nous projeter dans l’avenir. Ces
ennemis de la République prétendent l’enfermer dans une définition arbitraire
et statique [d’où le fait qu’il faut être
… en marche !] de ce qu’elle est et de ce qu’elle devrait être.
Il y a les islamistes qui veulent l’asservir et qui, l’expérience le montre,
n’apportent que le malheur et l’esclavage. Il y a le Front national qui, animé
par une absurde nostalgie de ce que notre pays n’a jamais été, lui fait trahir
ce qu’il est. Il y a ceux qui se rallient à l’extrême droite en adoptant ses
thèses. Il y a les cyniques qui fuient la France ou la méprisent. C’est
beaucoup de monde et, en même temps, ce n’est pas assez pour nous retenir. »
On a là une vraie et grave
confusion (à mes yeux) : mettre dans la même catégorie « d’ennemis de la
République » les islamistes et le Front National est tout de même
problématique. Les premiers veulent explicitement détruire la République pour conquérir la
France et islamiser l’Occident ; les seconds veulent gagner des élections pour
imposer leurs idées. Il y a là une différence qui n’est pas insignifiante. Et
quelle conséquence devrait tirer un électeur du Front National d’une telle
assimilation ? Soit il doit se
convaincre qu’il est un traître à la Patrie (car c’est le sens du mot ennemi) ;
soit il doit admettre qu’il est un idiot abruti qui n’a rien compris à cette
idéologie « absurde ». Dans les deux cas, il y a de quoi être en colère et
c’est exactement sur quoi surfe en beauté Marine Le Pen … Bravo ! L’erreur
conceptuelle est aussi une superbe faute politique !
Cette confusion intellectuelle m’inquiète
et je vais me permettre de reformuler le passage pour lui donner la clarté
requise.
Dans la République,
1) il y a ceux
qui veulent la détruire ; ce sont les islamistes radicaux, dont le nombre est
loin d’être négligeable (1 million selon l’enquête de l’Institut Montaigne !)
; ce sont nos véritables ennemis qu’il faut combattre (au sens strict du terme) ;
et la prise de conscience a porté ses fruits.
2) Il y a ceux
qui veulent dénaturer la République : c’est le Front National, qui n’est
pas un ennemi mais bien un adversaire politique à combattre dans le cadre
des institutions et de la vie républicaine : pourquoi, sinon, y aurait-il
des débats contradictoires publics et des élections, … C’est 20% de l’électorat.
3) Il y a enfin
ceux qui sont indifférents (les cyniques qui fuient la France ou la méprisent ;
et — j’ajouterai, pour ma part —, la
partie des convaincus de la gauche radicale, qui pensent (et c’est leur droit) que
le pouvoir est par essence totalitaire, que l'Etat est l'ennemi, que la police assassine, et que le
libéralisme est un fascisme … C’est aussi 20% de l’électorat.
Je préfère
de beaucoup les abstentionnistes qui, eux, ne tiennent pas à manifester bruyamment leur
indifférence cynique … Mais ce n'est que mon avis …
Pardon, pour le petit côté « prof.
donneur de leçon » de ce rapide commentaire de texte, suivi des corrections, mais comme Révolution est rempli de ces petits
glissements et comme il s’agit du futur président, l’affaire a un peu plus d’enjeux
qu’une soutenance de thèse …
Portez-vous et votez bien.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire