lundi 14 janvier 2019

Contre une Constitution « gilet jaune »


Contre une Constitution « gilet jaune »

Le mouvement des gilets jaunes a eu la vertu de rappeler qu’il doit y avoir du peuple dans la démocratie et combien pouvait se révéler funeste  le fait l’avoir un peu trop oublié. Mais je dis bien « du peuple » et non « le peuple », car je ne vois pas pourquoi les gilets jaunes et leurs sympathisants pourraient se targuer d’être le peuple plus que d’autres. Le fait que la colère/déception de certains Français ait longtemps échappé aux radars de la représentation politique et aux sonars des médias ne signifie pas pour autant que cette colère/déception soit juste et que les revendications soient pertinentes.

Et donc puisque « grand débat », paraît-il, il doit y avoir, je voudrais apporter ma contribution en disant pourquoi, selon moi, aucune des revendications (notamment institutionnelles) des « gilets jaunes » ne serait efficace. Ni le RIC, ni la reconnaissance du vote blanc, ni la réduction du nombre de députés, ne sont des solutions. Bien au contraire, si elles étaient appliquées, elles aggraveraient la situation de manière irrémédiable. Celle-là même qui est à l’origine du mouvement.


Le RIC (référendum d’initiative citoyenne) peut se présenter sous de nombreuses formes. Dans sa version radicale, il suffit d’une pétition en nombre significatif pour que tout sujet s’impose aux lois par la magie de la volonté majoritaire, y compris le recall des dirigeants en place, s’ils cessent de donner satisfaction au peuple.
Dans sa version modérée (notamment à l’italienne, art. 71 de la Constitution), le RIC revient à une proposition (populaire) de loi qui est soumise au parlement ou à un veto législatif issu d’une pétition. Mais ces procédures sont très encadrées et limitées par la Cour constitutionnelle pour éviter les dérives.
Entre les deux, de multiples options sont envisageables. Mais aucune, à mes yeux, ne sera salutaire pour la démocratie. Cette pratique, quelle que soit sa forme, ferait courir le risque d’une campagne électorale permanente, délétère pour l’action publique. Et tant que la démocratie n’a pas réussi à apprivoiser le bouleversement de l’espace public par les e-médias (réseaux sociaux), ni l’équité, ni la justesse, ni la sérénité des débats ne pourront être assurées. On va donc vers débats délirants de a à z. Le RIC va donc aggraver l’impuissance publique, la délégitimation des acteurs politiques, la défiance à l’égard des institutions, le triomphe des infotox. Ce serait donc une mesure catastrophique, car elle entraînera un accroissement de la dépossession démocratique. On peut d'ailleurs le voir à l’œuvre en Californie où règne une permanente double contrainte rendant l’Etat ingouvernable : exigence d’une baisse toujours accrue des impôts et d’une augmentation toujours plus forte des services publics. On peut le voir dans cette belle démocratie qu'est le Venezuela où le recall est tellement bien installé qu’un président peut faire arrêter le président du Parlement pour rester au pouvoir … 

La reconnaissance du vote blanc ne serait sans doute pas aussi grave dans ses effets, quoi que…  Elle supposera d’abord une transformation constitutionnelle puisque l’article 7 de la Constitution indique que « Le Président de la République est élu à la majorité des suffrages exprimés ». Mais, après tout (disent certains), on a le droit de changer la constitution. Elle affaiblirait encore la légitimité des élus, puisqu’on aboutira à des situations où le candidat élu le serait avec moins de 50% des suffrages. Mais, après tout (disent certains), cela refléterait mieux l’ampleur de la désaffection à l’égard de la politique. … très bien, mais il n’est pas besoin d’être grand clair pour en avoir  déjà conscience.
Même si on admet ces deux objections, il reste pour moi un argument décisif contre cette reconnaissance. Le voici :
On dit souvent qu’une décision politique ne se fait pas entre une bonne et une mauvaise, mais entre une mauvaise et une très mauvaise décision. Or voter est une décision politique ; le citoyen se place dans la même situation que le décideur qui doit trancher entre des inconvénients. L’électeur a le droit de s’abstenir, mais cela signifie qu’il décide de ne pas choisir et laisse le choix aux autres. Il démissionne. Il n’y a donc aucune raison de prendre en considération cette indifférence qui est une absence de ce courage de décider que les citoyens aiment tant reprocher aux élus. Ne pas s’exprimer, c’est renoncer à son droit au chapitre. Et qu’on ne vienne pas me dire que « l’offre électorale » n’est pas assez riche et variée. D'abord, c'est faux ! Ensuite, on ne choisit pas un élu comme un conjoint sur meetic ! ou comme un aspirateur sur un catalogue en ligne.
La reconnaissance du vote blanc, c’est un contresens total sur la nature du vote et plus généralement sur la citoyenneté, confondue ici — à l’extrême gauche comme à l’extrême droite — avec le consommateur, repu, satisfait ou remboursé ! Pas pour moi !

La réduction du nombre de député. Ah ! voilà enfin la bonne idée pour régénérer la démocratie ! D’ailleurs Emmanuel Macron s’en est fait le premier ardent défenseur … Mais pourra-t-on m’expliquer comment on peut espérer refonder la représentation démocratique en réduisant le nombre de représentants et en laissant donc à penser que ces députés ne servent à rien … ! Pire : qu’ils sont des parasites vivant aux crochets de la République avec des salaires de nabab en s'endormant sur les bancs de l'Assemblée … Belle réputation que conserveront les quelques députés qui resteront donc après la réforme … bien dépités ; encore plus haïs et totalement inconnus ! 

J'ajoute, à titre de comparaison, quelques données citées par le député François Cornut-Gentille contre cette réforme absurde.

La France compte aujourd’hui un député pour 113 000 habitants ; l’Allemagne, un pour 114 000 ; le Royaume-Uni, un pour 96 000. Avec la réforme proposée, le ratio français sera de 1 pour 162 000. Record d’Europe ! Et l’introduction de la proportionnelle va conduire à des circonscriptions comptant bien plus de 200 000 habitants, très inadaptées à la représentation de la diversité des opinions.


Voilà : le débat est ouvert. Il n’y a aucune raison d’exaucer le vœu d’horizontalité exprimé par les plus radicaux des gilets jaunes, aucune raison de donner le pouvoir à des minorités actives qui n’ont manifesté aucun souci de pluralisme. Et si j’ai à choisir entre deux maux, j’opte sans hésiter pour une verticalité qui me paraît, malgré tous ses défauts, davantage garante de l’intérêt général. Bref, dans ce grand débat, il faut défendre la Constitution de la Ve République de l'invasion des gadgets … 

5 commentaires:

  1. Bonjour,

    Je m'interroge sur votre conception de la démocratie.

    A ma connaissance, la démocratie, c'est la souveraineté de l'ensemble des citoyens, du peuple, en entier certes, mais y compris les gilets jaunes donc. Ainsi, même si cela "ne signifie pas pour autant que cette colère/déception soit juste et que [leurs] revendications soient pertinentes", il n'empêche qu'ils sont dans leur entière légitimité de demander des comptes, puisqu'ils sont, au même titre que vous et moi, en partie source de la souveraineté.

    Ainsi, quand vous écrivez à propos du RIC : "il suffit d’une pétition en nombre significatif pour que tout sujet s’impose aux lois par la magie de la volonté majoritaire", n'est-ce pas là l'application du principe d'une démocratie ?

    Le peuple est le réel détenteur du pouvoir législatif, et le fait que la démocratie soit devenue représentative ne devrait avoir aucune incidence sur les sujets abordés, puisque le travail des représentants n'est que de représenter le peuple, et non de suivre leur avis personnel, et encore moins d'appliquer à la lettre la consigne de l'exécutif, dans une curieuse collusion de pouvoirs sensés se contrebalancer.

    S'effrayer d'un agenda potentiel ouvert à tous les vents, c'est s'effrayer de la véritable démocratie. Ainsi, quand vous écrivez que le RIC sera "une mesure catastrophique, car elle entraînera un accroissement de la dépossession démocratique", j'ai du mal à ne pas voir un contre-sens flagrant, en associant le mot "dépossession" au fait de (re)gagner un pouvoir.

    Au contraire, c'est la confiscation de l'agenda législatif, par des représentants qui ne représentent plus, qui me semble être une dépossession démocratique. J'en veux pour preuve que jamais la revendication du RIC ne serait venue sur la table si la représentation marchait bien, et je me sens conforté dans cette affirmation par le fait que cette idée ait germé après que le parlement, encore une fois, censé être le représentant du peuple français, ait voté en 2007 l'acceptation du traité de Lisbonne, exactement à l'inverse du refus populaire exprimé par le référendum de 2005 concernant la constitution européenne.

    Alors, certes, et je pense que c'est là la source de votre posture, à mon sens pas si démocratique, "tant que la démocratie n’a pas réussi à apprivoiser le bouleversement de l’espace public par les e-médias (réseaux sociaux), ni l’équité, ni la justesse, ni la sérénité des débats ne pourront être assurées". Les français sont des veaux, disait l'autre, ou bien débiles, peut-être, d'autant plus en cette ère technologique ?

    Il est certain que, comme pour tout, l'art de débattre va nécessiter un apprentissage aux débuts potentiellement chaotiques. Mais justifier la confiscation du pouvoir au peuple sous prétexte que les réseaux sociaux empêchent de réfléchir, c'est accorder un pouvoir de nuisance extrême à un moyen technique, qui en tant que moyen, est pourtant neutre. Au contraire, on pourrait également considérer que internet et les réseaux sociaux sont une aubaine technologique qui rend l'idée même d'une démocratie participative voire directe à 48 millions d'individus possible, chose qu'il serait impossible de faire dans le réel... Question de perspective sans doute.

    Votre crainte est sans doute «réaliste», mais elle ne peut que donner raison à ceux qui dénoncent un «mépris de classe» ou qui justifient la violence en disant que c'est la seule façon qu'ils ont de se faire entendre, puisque, de fait, on les prive de leur souveraineté dans une attitude paternaliste.

    Dans tous les cas, si la sérénité des débats doit être la pierre de touche fondamentale, alors elle est en effet plus assurée quand le parlement, par la magie de la Ve République, vote le doigt sur la couture du pantalon, un programme qui a reçu l'approbation d'un quart des suffrages exprimés, votes "utiles" compris.

    Cordialement,
    Thibault

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    1. En effet, nous ne partageons pas la même conception de la démocratie. Pour moi, il s'agit de la souveraineté du peuple telle qu'elle s'exprime non pas hic et nunc, mais dans la durée d'un Etat de droit. La souveraineté du peuple, ce sont aussi les décisions que le peuple a prises hier (Constitution, traités, lois, règles du jeu, …) et qui l'engagent pour demain. Le peuple a tout à fait le droit d'en changer, mais à condition qu'il respecte les règles du changement telles qu'il se les a lui-même fixé. Par ailleurs, il me semble que l'on est définitivement sorti de l'illusion d'une régénération de la démocratie par l'internet, le web et les réseaux sociaux. Ces technologies rendent possible le meilleur comme le pire et c'est une très grande illusion que de penser qu'elles annoncent le triomphe de la démocratie participative. D'un côté, certes un horizontalité intéressante ; de l'autre, — ne le négligez pas — une opacité, des rumeurs, des infotox, des dénonciations en pagaille, sans même parler des interventions extérieures (voir à ce sujet, entre autres, le livre de J L Gergorin, Cyber la guerre permanente). Enfin, je ne vois pas d'attitude paternaliste dans mon propos. Plus d'arguments dans mon livre Comment gouverner un peuple-roi ? dans toutes les bonnes librairies, à partir du 6 février !

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    2. Et j'oubliais l'essentiel : merci pour votre lecture et votre commentaire.

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  2. En référence au "débat" parlementaire, que je n'ai pas réussi à mettre dans mon message précédent:

    https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/carriere/vie-professionnelle/droit-du-travail/c-est-lunaire-le-debat-sur-la-reforme-du-travail-vu-par-deux-anciens-presidents-de-la-commission-des-affaires-sociales_2271889.html

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