Hier soir (29 janvier 2019) à Sciences-po Lille, Philo Magazine organisait un « Grand débat ». Au programme : Démocratie, Ecologie et inégalités. Comme modérateurs, l'équipe de Philosophie Magazine autour d'Alexandre Lacroix, et trois philosophes (Fabienne Brugère, Denis Maillard et moi-même), chargés non pas de donner leur avis, mais de rappeler sur certains des sujets évoqués le panorama des argumentations concurrentes, la structure des débats.
On pourra lire, et je crois avec grand intérêt, le compte-rendu de ce débat de plus de 3h dans le prochain numéro de Philo Mag.
Mais, pour donner envie de s'y plonger, voici quelques impressions à chaud.
D'abord, le public : nombreux (plus de 150 personnes) et surtout — et c'était frappant — très intergénérationnel : cela allait du lycéen de 17 ans à une personne qui racontait la guerre. Tout le monde a pris la parole, avec une qualité d'intervention tout à fait remarquable : des convictions, des arguments, des expériences. Une grande diversité aussi : des anciens d'EDF, un CGTiste, plusieurs gilets jaunes de tendances variées, des étudiants aux convictions variées, des jeunes travailleurs, des retraités, des médecins …
Une qualité d'écoute excellente elle aussi, même quand les opinions étaient tranchées ; et elles l'étaient souvent entre défenseurs du régime représentatifs, adeptes de l'autogestion, fervents de la participation ; partisans et adversaires de l'école privée, révolutionnaires verts et réformistes de l'environnement ; … Les opinions radicales — il y en avait (décroissance, dictature verte, …) — prenaient soin de se formuler de manière courtoise et argumentée, en devançant les objections.
Voilà pour les côtés positifs.
Du côté des moins positifs : une tendance naturelle à la « motion de synthèse » entre des modèles pourtant incompatibles : par exemple, cette tentation de mixer système représentatif et démocratie directe, de réconcilier décroissance et développement durable, d'articuler égalité de fait (forcée) et équité (incitée), Etat ultra-planificateur et Société civile dynamique … Denis Maillard le remarquait avec justesse : tout se passe, comme si, entre l'absence de conflit et la violence, il n'y avait plus de possibilité de donner une place à une opposition argumentée conduisant à une décision tranchée, et acceptée (même si l'on n'est pas d'accord).
Autre inconvénient : la très grande difficulté d'envisager les conséquences d'une décision en apparence sympathique et positive ; l'extrême difficulté à accepter l'idée que le plupart des propositions issues des débats (pour la plupart coûteuses) allait provoquer une augmentation massive de la fiscalité.
De ce point de vue, et ce fut une demande des participants (très satisfait de ce moment, selon leurs dires) que j'interrogeais à la sortie : il faudrait sur tous ces points de débat, laisser un peu décanter. Faire un petit compte-rendu des choix faits par le groupe, se retrouver une semaine plus tard pour réexaminer avec plus de précisions et d'arguments, les « décisions prises par le groupe ». Un grand débat ne peut être « one shot », il faut faire mûrir et y revenir. C'est d'ailleurs la proposition des partisans de la démocratie délibérative (James Fishkin de Stanford) quand ils élaborent leur méthodologie : offrir cette possibilité rare de changer d'avis … grâce aux compléments d'enquête.
Voilà, je ressors de ce débat avec donc cette impression mitigée : sur la forme, le formidable goût (et talent) français de débattre plutôt que de se battre ; mais, sur le fond, le choix, lui aussi très français, de choisir l'éthique la conviction contre l'éthique de la responsabilité. Là, il y a du travail …
A suivre …
On pourra lire, et je crois avec grand intérêt, le compte-rendu de ce débat de plus de 3h dans le prochain numéro de Philo Mag.
Mais, pour donner envie de s'y plonger, voici quelques impressions à chaud.
Une qualité d'écoute excellente elle aussi, même quand les opinions étaient tranchées ; et elles l'étaient souvent entre défenseurs du régime représentatifs, adeptes de l'autogestion, fervents de la participation ; partisans et adversaires de l'école privée, révolutionnaires verts et réformistes de l'environnement ; … Les opinions radicales — il y en avait (décroissance, dictature verte, …) — prenaient soin de se formuler de manière courtoise et argumentée, en devançant les objections.
Voilà pour les côtés positifs.
Du côté des moins positifs : une tendance naturelle à la « motion de synthèse » entre des modèles pourtant incompatibles : par exemple, cette tentation de mixer système représentatif et démocratie directe, de réconcilier décroissance et développement durable, d'articuler égalité de fait (forcée) et équité (incitée), Etat ultra-planificateur et Société civile dynamique … Denis Maillard le remarquait avec justesse : tout se passe, comme si, entre l'absence de conflit et la violence, il n'y avait plus de possibilité de donner une place à une opposition argumentée conduisant à une décision tranchée, et acceptée (même si l'on n'est pas d'accord).
Autre inconvénient : la très grande difficulté d'envisager les conséquences d'une décision en apparence sympathique et positive ; l'extrême difficulté à accepter l'idée que le plupart des propositions issues des débats (pour la plupart coûteuses) allait provoquer une augmentation massive de la fiscalité.
De ce point de vue, et ce fut une demande des participants (très satisfait de ce moment, selon leurs dires) que j'interrogeais à la sortie : il faudrait sur tous ces points de débat, laisser un peu décanter. Faire un petit compte-rendu des choix faits par le groupe, se retrouver une semaine plus tard pour réexaminer avec plus de précisions et d'arguments, les « décisions prises par le groupe ». Un grand débat ne peut être « one shot », il faut faire mûrir et y revenir. C'est d'ailleurs la proposition des partisans de la démocratie délibérative (James Fishkin de Stanford) quand ils élaborent leur méthodologie : offrir cette possibilité rare de changer d'avis … grâce aux compléments d'enquête.
Voilà, je ressors de ce débat avec donc cette impression mitigée : sur la forme, le formidable goût (et talent) français de débattre plutôt que de se battre ; mais, sur le fond, le choix, lui aussi très français, de choisir l'éthique la conviction contre l'éthique de la responsabilité. Là, il y a du travail …
A suivre …
Merci pour ce récit "sur le vif", et pour la double lecture optimiste/pessimiste que vous nous en proposez.
RépondreSupprimerJe m'interroge sur les liens entre les oppositions conviction/responsabilité d'une part et déontologie/utilitarisme d'autre part. Ces deux oppositions sont-elles deux formes de la même ? Le reflet l'une de l'autre ? En tout cas, si elles révèlent, comme vous semblez le penser, des positions irréconciliables, cela explique bien des dialogues de sourds !
Je crois surtout qu'elles ne sont pas perçues comme des oppositions frontales, ce qui permet à chacun de naviguer de l'une à l'autre en fonction du contexte. Ce n'est donc pas un dialogue de sourds, mais la difficulté (et elle est réelle) pour chacun de percevoir toutes les conséquences de sa conviction.
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