dimanche 24 février 2019

Nos erreurs sur l'état du monde 2

Si vous n’avez pas le temps de lire la totalité du best-seller de Hans Rosling, Factfulness (Facticité), qui vient d’être traduit en français (Flammarion), faites au moins le test de l’introduction. Il faut répondre à 12 questions simples sur l’état du monde. Elles concernent les écarts de revenu entre régions du globe, l’extrême pauvreté, l’espérance de vie, le nombre de mort par catastrophe naturelle, le taux de vaccination, l’accès à l’enseignement, à l’électricité, les espèces menacées, … Pour chacune de ces questions, il y a trois réponses, l’une très pessimiste, l’une plutôt pessimiste, l’autre très optimiste. Si vous voulez faire le test, arrêtez ici votre lecture et achetez le livre.

 Sinon, sachez que quand nous répondons spontanément à ces questions, nous nous trompons systématiquement. Nos réponses sont toujours très ou plutôt négatives, alors que nous devrions nous réjouir du formidable état du monde. 80% de la population mondiale a accès à l’électricité, à la vaccination des enfants de 1 an, l’espérance de vie mondiale est de 70 ans ; la proportion mondiale de l’extrême pauvreté a diminué de moitié en 20 ans, 60% de la population mondiale vit dans un pays à revenu moyen, la protection de l’environnement a fait des progrès foudroyants … Les données accumulées dans cet ouvrage sont impressionnantes et heurtent les idées (noires) reçues.

Bref, le monde va mieux et nous ne le voyons pas. A ce test qu’il a proposé à des milliers de personnes lors de ses conférences TED, Hans Rosling dit que des chimpanzés, répondant de manière totalement aléatoire, obtiennent de bien meilleurs résultats que nous. D’ailleurs, plus le niveau d’études est élevé, plus la vision sombre de l’état du monde progresse. Rosling a pu en faire l’expérience lors d’une conférence devant une assemblée de prix Nobel … tous nuls !

La question est : pourquoi sommes-nous autant tentés par le pessimisme ?
Il y a plusieurs niveaux de réponses.

D’abord, le monde change et nous ne le voyons pas : les gens de chaque génération restent sur leurs acquis de terminale : pour la mienne, Pays développés et pays non développés. Occident riche ; le reste pauvre. Or, tout à changé : Rosling montre que la Suède de sa naissance ressemble pour les données principales de vie à l’Egypte d’aujourd’hui.

Ensuite, le pessimisme binaire est un facteur explicatif beaucoup plus simple pour tenter de comprendre notre monde complexe. Rosling se demande : « Pourquoi est-il si difficile d’éradiquer ce préjugé d’un fossé entre riches et pauvres ? A mon avis, les êtres humains ont un très fort instinct dramatique, qui les pousse vers une pensée binaire. On adore dichotomiser. Bien contre mal. Héros contre méchants. Mon pays contre le reste. Diviser le monde en deux camps est simple, intuitif et aussi dramatique, parce que cela implique un conflit, et nous le faisons donc sans y penser, tout le temps. Les journalistes le savent bien. »
Toute vision du monde prend la forme d’une narration du monde : il faut donc des scénarios tout faits, de l’injustice, du mal, des grands complots. Et plus on a d’informations (grâce à l’éducation, aux médias, aux réseaux), plus on a besoin de grilles simples pour les intégrer. Voyez les chauffeurs de taxis : ils passent leur journée à écouter les nouvelles … ce sont les champions du monde de la narrativité pessimiste, complotiste, indignatrice ! Dans un monde sans « Grand récit », nous sommes empêtrés dans les histoires (Wilhelm Schapp), mais, contrairement à ce que dit Rosling, il ne s’agit pas d’un « instinct » ou de nos « gènes » (sélectionnés pour nous alerter dans un monde dangereux qui ne parviennent pas à s'adapter à un monde de sécurité). Il s'agit plutôt, ce me semble, de  l'exact contraire, à savoir la culture, quand les gènes dictent moins. D’ailleurs, la plupart des jugements sur l’état (exécrable) du monde sont « désintéressés » : cela ne concerne pas notre situation (moi ? ça va, merci !), mais celle des autres qui sont loin et qui souffrent.

Enfin, troisième avantage de cette noire vision des choses : voir le mal (et le dénoncer) nous rend bon, ipso facto. C’est là une formidable manière de booster son estime de soi ! Plus je m’indigne de l’état du monde, plus je gonfle ma belle conscience morale.

En refermant le livre de Rosling, on pourrait se poser cette question : faut-il s’inquiéter de notre incapacité à voir que le monde tel qu’il est et tel qu’il va mieux ? Bref, faut-il être s’effrayer de notre manque d’optimisme ? Et donc être pour cette raison … pessimiste ?

Pour ma part, j’hésite : certes, le « colapsisme » qui monte pourrait avoir des effets délétères, certes, le fait de ne pas voir ce que l’on voit me semble être le péché capital de l’intellectuel, certes, les faux jugements sur le réel peuvent entraver et la pensée, et le débat et l’action, mais peut-être aussi que ces erreurs d’analyse n’arrêteront pas le progrès … On verra bien.  

2 commentaires:

  1. Je ne doute pas que le protection de l'environnement ait fait des progrès "foudroyants", mais je suis curieuse de connaître le libellé exact de la question sur les espèces menacées et ses trois réponses proposées.
    Certes, comme vous savez le magistralement le montrer, beaucoup de choses vont "de mieux en mieux ET de pire en pire", mais pour ce qui est de la biodiversité, même si tout n'est (peut-être) pas perdu, le tenant du meilleur me semble quand-même en assez mauvaise posture dans la "disputatio" avec le tenant du pire.

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  2. Le monde va mieux puisqu’on a inventé l’électricité, certes payante mais les gens ont majoritairement un revenu moyen, donc l’humain se trompe dans son pessimisme. D’autant qu’il ne nomme pas tout, il a oublié l’iphone qui rend forcément l’humain mieux et donc le monde !
    Alors pourquoi les singes répondent « mieux » que nous de manière aléatoire ?
    Bon on omet que les animaux communiquent mais ne parlent pas. C’est pas grave puisque selon lui les gènes « dictent ». Pas certain que ses arguments passent le bac mais c’est pas le but, lui il écrit le bestseller « penser clairement, ça s’apprend !»
    Dernier argument, le but est de booster l’estime de soi. On reste donc sur l’axe imaginaire, où le but est donc l’aliénation objective par l’identification.
    A faire primer l’objectivité, soit se prendre pour un objet, c’est vrai le monde va mieux. Sauf que les réponses des humains sont subjectives, l’axe symbolique prime, la réponse est que le « monde » va pas mieux. Mais bientôt l’intelligence artificielle aidera les téléphones à répondre automatiquement aux sondages et le monde ira certainement vraiment mieux.

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Sortie de Voulons-nous encore vivre ensemble (Odile Jacob)

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