mardi 30 mars 2021

La nouvelle religion de l'excuse

Tribune parue le 30/03 dans Marianne



    Un dirigeant doit-il s’excuser ? Si on le pense, c’est qu’on confond la politique avec la politesse. En dépit de leur ressemblance, elles n’ont rien à voir : la seconde concerne le « lisse » (politus en latin), puisqu’elle vise à polir les mœurs ; la première désigne la cité (polis en grec) et recherche, pour elle, la paix, la puissance et la prospérité. Sans doute est-il bon que le politique soit poli, mais il n’est certainement pas élu pour l’être. Sans doute la pratique de l’excuse rend-t-elle le gouvernant plus proche, plus accessible, plus humain — ce qui va bien avec l’esprit des temps démocratiques — , mais qu’est-ce qu’un élu qui s’excuse, sinon un élu qui a failli ? Et s’il a failli pourquoi resterait-il en poste ? La seule manière pour lui de s’excuser, c’est de démissionner.

    Je ne veux pas dire qu’un responsable politique ne doit pas admettre des erreurs ou des mauvais choix : il doit le faire si cela apaise et renforce, bref si c’est un acte de politique et non de contrition — ; mais je veux surtout dire qu’un citoyen a le devoir de comprendre que la décision politique ne se fait jamais entre une bonne et une mauvaise option : elle tranche entre une mauvaise et une pire. C’est pour cela qu’elle déçoit toujours. « Rien ne marque tant le jugement solide d’un homme que de savoir choisir entre les grands inconvénients », écrivait le Cardinal de Retz dans ses Mémoires. Et Churchill ajoutait : « Le plus dur c’est de prendre des décisions quand un tiers des informations dont vous disposez sont incomplètes, un tiers sont contradictoires, un tiers sont fausses ». Alors à qui faudrait-il demander pardon ? Au réel ?


    Ce goût de l’excuse est décidément bien dans l’air du temps : les élus, les hommes, les blancs, les bourgeois … tous doivent se faire pardonner d’être élu, homme, blanc, bourgeois, donc ipso facto corrompus, machistes, colonialistes, racistes, islamophobes, héritiers reproduits, … et s’ils ne le font pas, ils devront rendre gorge et être annulés. Il faut les nommer (naming), les blâmer (blaming), leur faire honte (shaming), et puis les annuler (cancel culture) … Par où l’on voit se reproduire ici un schéma très religieux : culpabilisation, confession, contrition, flagellation, absolution, … et peut-être … résurrection !


    Au fond, ne sachant plus qui on est, chacun espère se retrouver dans la faute : celle qu’on dénonce ou celle qu’on commet. La rémission des péchés (ou leur dénonciation) nous donnera peut-être une chance d’exister. Mais cela a un prix : l’autorité. C’est ce que disait déjà De Gaulle en 1932 (Le Fil de l’épée) : « Notre temps est dur pour l’autorité. Les mœurs la battent en brèche, les lois tendent à l’affaiblir. Au foyer comme à l’atelier, dans l’État ou dans la rue, c’est l’impatience et la critique qu’elle suscite plutôt que la confiance et la subordination. Heurtée d’en bas chaque fois qu’elle se montre, elle se prend à douter d’elle-même, tâtonne, s’exerce à contretemps, ou bien au minimum avec réticences, précautions, excuses, ou bien à l’excès par bourrade, rudesses et formalisme ». C’est par la responsabilité, non par l’excuse, que l’on réinventera l’autorité.




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