mercredi 31 mars 2021

Les réunions non-mixtes sont-elles racistes ?

    La polémique sur les réunions non-mixtes, interdites aux blancs ou aux paroles des blancs, a de nombreuses de vertus. Sans doute ne faut-il pas exagérer les procès en apartheid, d’un côté (si les mots ont encore un sens) ; ni la banalisation, de l’autre, car ce qui est en cause ne relève ni d’une discrimination juridiquement établie ni d’anodins groupes de parole à visée thérapeutique. Pour le dire autrement, l’UNEF n’est ni le Parti National sud-africain ni les alcooliques anonymes, et l’on aurait tort de confondre un syndicat qui est dans le registre de l’action collective avec une pratique qui recherche la guérison individuelle. Si l’on peut avoir plaisir à se retrouver ponctuellement « entre soi » (y compris pour partager les malheurs et « libérer la parole »), il faut accepter de devoir vivre généralement « avec les autres ». 
    Ni apartheid ni thérapie, les réunions non-mixtes sont néanmoins révélatrices du fait qu’une bonne partie de la gauche, privée de perspectives révolutionnaires crédibles, rompt avec ce qui constituait son pilier : le genre humain. Souvenez-vous : « Internationa aa al sera le genre humain ! » 



    Car comment ne pas voir que la théorie DES genres, la pensée indigéniste, le décolonialisme, l’expression même de « racisé » trahit l’universalisme porté par la gauche en particulier et par tous les républicains en général ? A vrai dire, il s’agit d’une double trahison puisqu’à l’universalisme (l’humanité est une, composée d’êtres d’égale dignité), cette partie de la gauche française préfère (comme l’extrême droit de jadis) le différentialisme, c’est-à-dire une vision de l’humanité comme mosaïque, composée d’identités distinctes, clivée entre oppresseurs et opprimés, voués à se combattre ou à se séparer. Elle choisit en outre d’importer en France une problématique américaine qui n’a rien à y faire. Pourquoi ? Parce que, à la différence de la démocratie américaine qui ne fut jamais claire avec l’esclavage (ce fut un tragique exploit de reconnaître l’esclavage dans sa constitution originelle sans jamais le nommer !), la République française a aboli l’esclavage. Certes, elle le fit à deux reprises — en 1794 et en 1848 —, ce qui montre que ce fut laborieux ; mais, du moins les choses étaient-elles claires : la République est incompatible avec l’esclavage. Aucune autre civilisation dans toute l’histoire humaine n’avait osé cette abolition. 
    Quant à la colonisation, le fait qu’elle prit la figure d’une « éducation » des peuples enfants par les peuples adultes, ne lui apporte aucune excuse, mais au moins peut-on identifier au cœur du républicanisme nombre de grandes voix (Olympe de Gouges, Condorcet, Clémenceau, …) qui surent s’y opposer. 
    Le différentialisme comporte ainsi une difficulté majeure qui est au cœur de ce débat et qui est loin d’être futile. Au fond, le « racisé » devient complice du raciste qu’il dénonce, car, comme lui, il considère que la race est essentielle. Croyant lutter contre l’oppression, il en adore le motif. C’est la confusion la plus courante et la plus délétère entre la xénophobie (qui est haine de l’autre) et le racisme qui consiste à enfermer (soi ou un autre) dans une catégorie en interdisant (à soi ou à un autre) toute possibilité d’en sortir. Alors la couleur de peau, le sexe, l’origine sociale, … se transforment en des opinions a priori, voire en des arguments préétablis, et tout devient « préjugé ». Le racisme est un crime contre l’humanité parce qu’il refuse l’humanité ; et le racialisme participe de la même logique en croyant naïvement s’y opposer. Ces enjeux méritent d’être rappelés et ce débat le permet. 
    En préparant un court échange que j’ai eu avec Jean-Luc Mélenchon sur ce sujet (sur France info télé), je remarque qu’il tente dans un discours récent de trouver une « motion de synthèse » (PS un jour ; PS toujours !) avec l’idée de « créolisation », moyen terme, à ses yeux, entre l’universalisme et le différentialisme. Théorisée par Edouard Glissant notamment, elle désigne un « métissage d’arts ou de langages qui produit de l’inattendu. C’est une façon de se transformer sans se perdre. C’est un espace où la dispersion permet de se rassembler ». Autrement dit, la créolisation est une alchimie miraculeuse où les identités produisent de la différence et où les différences produisent de l’identité. C’est beau, c’est bien, c’est rêvé, mais ce n’est pas un projet politique, car la créolisation est un fait que l’on ne peut que constater après coup sans jamais savoir comment elle a réussi ni quelle est sa recette magique. Parce qu’elle alchimique, elle n’est pas politique. Comme projet, cette voie de la créolisation est donc une pente glissante (pardon !) qui nous entraîne sans frein vers le différentialisme voire le conflit. L’universalisme, de son côté, n’est certes pas exempt de risque, car il doit se garder de l’impérialisme (c’est-à-dire : quand un particulier commence à se prendre pour l’universel), mais cette pente-là est si clairement une trahison de son idéal qu’elle n’a rien de glissante. 
    Raison pour laquelle l’universalisme ne souffre aucune exception, en tout cas, pour qui aime la vie commune.

1 commentaire:

  1. À défaut d'avoir pour projet politique la créolisation (qui, en effet, par nature, ne peut que naître spontanément au sein du peuple, à l'image de l'usage linguistique), ne peut-on du moins être attentif à ne pas l'empêcher ?
    Vous me répondrez sans-doute qu'à cet effet, l'universalisme est plus pertinent que l'intersectionnalité, le différentialisme ou même le multiculturalisme, et je vous croirai volontiers. Mais il me semble que tout universel qu'il soit, le principe universaliste doit bien pouvoir tolérer ce genre d'attention au cas par cas, faute de confiner au totalitarisme. C'est d'ailleurs ce que vous faites ici, en faisant clairement la distinction entre réunions officieuses où, parfois, il fait bon se retrouver "entre soi" et réunions où la société (ou tout un syndicat, mouvement, parti ...) s'organise officiellement, dans lesquelles il est indispensable que toute la société (ou tout le syndicat, mouvement, parti ...) soit partie prenante.

    RépondreSupprimer

Pourquoi fait-on des enfants ?

 Chronique LCP du 23/01/2024 Bonsoir Pierre Henri Tavoillot, le nombre annuel de naissance en France est passé sous la barre des 700 000 en ...