Paru dans Le Point (12/02/2023)
Dans un article récent du Point (07/02), Marc Fourny , fait état de la première grève de l’histoire qui eut lieu, nous disent les historiens, en Egypte, à l’époque de Rasmès II, il y a 3175 ans. Il s’agissait alors des ouvriers et artisans chargés de construire et d’entretenir les tombes de la vallée des Rois et des Reines. Voyant leurs conditions de travail se dégrader et surtout leurs salaires non payés, ils se mirent en grève …
Les fragments d’un des premiers tracts protestataires de l’histoire, les « papyrus de la grève », sont analysés dans l’ouvrage Les régulations sociales dans l’Antiquité (PU Rennes).
Mais, je dois dire qu’avant cette première grève, il y en eut une autre, dont on a aussi gardé la trace écrite. C’était il y a très longtemps, quasiment au début du monde, et avant les humains. A l’époque, vivaient deux catégories de dieux. Il y avait les dieux supérieurs menés par leur roi Enlil et, sous leurs ordres, les divinités de second rang, les Igigis, à qui revenait l’essentiel des tâches terrestres. Leur labeur était rude : ils devaient façonner les montagnes, creuser les lacs, remplir les océans, peindre les plantes, mais surtout nourrir les dieux de la haute, bref : du très gros œuvre ! Tellement pénible qu’un beau jour, les igigis cessèrent le travail et brisèrent leurs outils : premier conflit social de l’histoire. Brutalement le monde fut figé et la nourriture bloquée à la source ! Furieux, Enlil menaça de les massacrer, mais son frère, Ea, comprenant bien que cela ne résoudrait en rien la question alimentaire, préféra négocier. « Je comprends votre cause, camarades, leur dit-il en substance : vos conditions de travail sont harassantes ; voyons ensemble, de manière constructive, si nous pouvons trouver une solution et chacun pourra prendre ses responsabilités ». Ce n’est pas le texte exact, je le confesse, mais c’est l’esprit.
Au bout d’une longue nuit de concertation, une solution fut trouvée, acceptée même à l’unanimité. Il serait créé une sorte d’assistant chargé d’effectuer les tâches les plus pénibles et répétitives. Ce dernier fournirait également la nourriture à tous les dieux — igigis compris — par ses sacrifices. Aussitôt dit, aussitôt fait : on prit de l’argile ; on y ajouta le sang d’un dieu inutile, immolé pour l’occasion (en l’occurrence, le dieu de la liberté !), puis la déesse mère, Ninmah, acheva le boulot d’animation avec un bon crachat bien placé ! Le tout fut mis dans un four bien chaud et … c’est ainsi que l’homme fut créé.
Cette histoire date du XVIIIe siècle avant J.-C ! Elle est relatée dans un des textes les plus anciens de l’humanité, rédigé en langue sémitique akkadienne, compilation des récits mythologiques de Mésopotamie. Ce sont 1 200 vers gravés sur des tablettes d’argile et que l’on peut toujours admirer avec émotion au British Museum. On les nomme aujourd’hui le Supersage (Atrahasis), du nom du héros de la suite de l’histoire.
Dans un premier temps, la solution trouvée par Ea fut un total succès. Les Igigis profitaient de leurs RTT et Enlil pouvait dormir en paix. Mais rapidement l’humanité se mit à « croître et se multiplier », et surtout à faire un bruit de tous les diables en travaillant avec ardeur. Le sommeil d’Enlil en fut affecté. Fou de colère (à nouveau), il envoya aux humains toute une série de calamités (épidémies, sauterelles, …) pour tenter de les calmer, avant d’opter pour une solution radicale : les noyer dans un déluge mondial. C’est la première occurrence connue de ce mythe fondateur ! Là encore, Ea, se posera en sage médiateur. Pour sauver les humains de la colère divine et de l’extinction promise, il ordonne par songe à Atrahasis (qui est donc « l’ancêtre » de Noé) de construire une arche afin de sauver les humains et quelques bêtes.
Une fois le déluge passé, la colère d’Enlil calmée et l’humanité sauvée, Ea proposera de nouvelles solutions très constructives pour limiter la nuisance sonore des hommes. Il inventera la maladie, la vieillesse et la mort, bref tout ce qui justifie que les hommes aient ensuite éprouvé le besoin d’inventer la « retraite ». La boucle est ainsi bouclée : c’est bien la grève des dieux d’antan qui est la cause de la grève des humains d’aujourd’hui … enfin surtout des Français.
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