lundi 20 mars 2023

Il faut sauver le 49.3

 Entretien pour le Figaro (20/03/2023)

https://www.lefigaro.fr/vox/politique/le-coeur-de-la-crise-politique-n-est-pas-l-exces-de-pouvoir-mais-l-impuissance-publique-20230319

Propos recueillis par Aziliz Le Corre

1/ Bien que prévu par la Constitution de la Ve République, le recours au 49.3 par le gouvernement sur la question des retraites répond-t-il à l’esprit des institutions et est-il légitime d’un point de vue démocratique ? 
 Je suis sidéré que l’on puisse en douter : le 49.3 fait partie de notre Constitution. Loin d’être anecdotique, il est emblématique de l’esprit de la Ve République, conçue pour éviter l’instabilité ministérielle de la IVe. Il a été utilisé notamment pour instaurer la « force de dissuasion nucléaire » (Michel Debré, 1960), la CSG et la création du CSA (Rocard, 1991). Comment ose-t-on l’identifier à un déni de démocratie ? Le penser révèle qu’on n’identifie vraiment pas le cœur de la crise politique qui se situe bien plus dans l’impuissance publique que dans l’excès de pouvoir. C’est cela qui décourage le citoyen d’aller voter : pourquoi participer à des élections qui produisent des élus avouant eux-mêmes leur impotence ? Je rappelle que dans démocratie, il y a demos (peuple), mais aussi cratos (pouvoir). Or, ce pouvoir démocratique s’exerce selon deux règles claires : représentation et majorité. Les 49.3 les respecte toutes les deux. On peut être contre la réforme des retraites, mais on ne peut pas faire de procès en illégitimité au gouvernement. 
Cela dit, les gouvernants eux-mêmes instillent le doute en la matière. Dans la réforme constitutionnelle de 2008, par ailleurs importante, Nicolas Sarkozy a décidé de limiter l’usage de cet article (un par session), car il y voyait le signe d’un « échec politique ». La Première ministre a tenu le même discours. Et je ne parle pas de la NUPES qui le dénonce comme une « dérive dictatoriale » ! Une fois de plus, ce sont les politiques eux-mêmes qui, pour une part, organisent l’incapacité de décider et d’agir. C’est inquiétant : si une réforme aussi modeste que celle des retraites est bloquée qu’en sera-t-il des réformes « dures » : sur l’école, la politique migratoire, le désendettement, les défis environnementaux … ? Le retour du tragique dans l’histoire exige le retour de la politique qu’on a eu un peu trop tendance à considérer comme secondaire, par rapport à l’économie ou au droit. 
2/ Le gouvernement ne risque-t-il pas d’attiser la colère sociale, en renforçant l’idée que le peuple n’est pas écouté ni entendu ? 
 En démocratie, le peuple ne se limite pas à ceux qui manifestent, protestent ou s’opposent. Il est un condensé complexe d’élections, de délibérations, d’expression publiques, de récits collectifs ; de silences aussi … Mais la règle du jeu, qui préside à la vie commune, est que cette forme complexe a une seule expression légale : les élus. C’est à eux qu’il revient in fine de trancher. Si l’on en n’est pas content, on a le droit de protester, mais il faudra attendre les prochaines élections pour en changer. C’est ce qui fait la force de la démocratie représentative : elle n’est pas dans l’immédiateté. D’ailleurs, combien de réformes ont suscité d’énormes oppositions sans qu’il soit question de revenir sur elles, une fois adoptées ! Etre aujourd’hui contre la réforme des retraites revient à être pour celle d’hier. 
 3/ Le gouvernement fait tour à tour preuve de « pédagogie », puis de fermeté. Comment comprenez-vous ce paradoxe ? 
 C’est le paradoxe de l’art politique. Dans tout rapport de force, il faut expliquer, écouter, négocier, puis trancher. Mais, à côté de l’art, il y a la manière. Or celle de présenter la réforme des retraites a été frappée d’une contradiction originelle. Le gouvernement l’a annoncée comme étant à la fois absolument nécessaire (donc de droite) et parfaitement juste (donc de gauche) ! Excellent moyen de ne contenter personne et de cumuler contre elle toutes les oppositions. De mon point de vue, c’est le premier argument qui devait être privilégié. Comment ne pas voir qu’une réforme est impérative au regard 1) De la baisse dramatique de la population active française (et de l’heureuse croissance de l’espérance de vie) 2) de l’endettement sidéral du pays et 3) de la simple comparaison européenne quant à l’âge et à la durée des retraites. Au regard de ces trois données, la réforme proposée est d’une modestie déconcertante au regard du bruit produit. Elle rend inévitable un nouveau psychodrame collectif à très court terme : le septième en 40 ans ! 
 4/ Les scènes de violence auxquelles nous avons assistées, mais aussi les blocages et l’obstruction à l’Assemblée, sont-ils les signes d’une crise démocratique dans notre pays ? 
 Il faut distinguer soigneusement. La véritable violence est assumée par la très minoritaire mouvance anarchiste qui, quel que soit le motif, utilise la moindre manifestation pour réaliser son projet de destruction systématique de l’Etat : c’est la stratégie dite « du coucou ». Les blocages musclés émanent de la CGT, qui cherche à se maintenir face à la fois à la CFDT et à des courants syndicaux plus radicaux. Enfin, il y a l’obstruction et le coup d’éclat permanent des députés LFI. Ils s’inspirent d’une théorie politique, dite « agonistique » (ou rhétorique de combat), empruntée au très peu gauchiste philosophe allemand Carl Schmitt. Face aux courants libéraux qui pratiquent la négociation responsable et le compromis réaliste, le plan est de cultiver le dissensus à tout prix et surtout le mettre en scène en utilisant toutes les techniques modernes. C’est une manière d’occuper le théâtre médiatique et d’y imposer sa marque : on ajoute là Gramsci à Schmitt. De la sorte le citoyen aura le sentiment qu’il est entendu et qu’il reprend la main au moins par le clash, qui flatte sa colère et son ressentiment. C’est une stratégie paradoxale — reprendre le pouvoir en empêchant son fonctionnement ! — et terriblement risquée. Car, focalisée sur la conquête du pouvoir (par le blocage institutionnel), elle n’envisage absolument pas son exercice. D’ailleurs qui obéira à un parti qui a choisi de s’appeler « les insoumis » ? En attendant, très habilement, le RN compte les points pour rafler la mise … d’autant que les autre partis, LR et Renaissance, sont dans un état de délabrement idéologique et stratégique avancé. 
5/ Quelle sera l’issue ? 
 Si l’on veut défendre la démocratie représentative contre les menaces de l’illibéralisme et les rêves fumeux du « participatif », il faut proposer un inventaire clair des priorités politiques. Elles sont redevenues régaliennes : le désendettement, car c’est de la marge de manœuvre politique ; la politique migratoire, car c’est un défi de cohésion ; l’école, l’environnement et la défense, car c’est l’avenir. Cela tient en trois lignes et il n’est pas besoin d’en dire plus : des moyens, une volonté commune, un horizon.

2 commentaires:

  1. Bonjour Monsieur,
    Merci pour ces lignes intéressantes et (sans doute) volontairement clivantes !
    Sans parler du contenu de la réforme, je m’étonne cependant que vous puissiez minimiser à ce point l’origine de la crise démocratique actuelle liée à une utilisation abusive de notre constitution, et la critique de l’instabilité de la 4ème me semble un peu daté…
    Bien sûr, le 49.3 est constitutionnel et son utilisation est donc légitime, dans le sens légal du terme. Il n’empêche que cet article a été pensé pour résoudre un conflit entre le Président et son Parlement, à une époque où ces deux élections étaient significativement distinctes (élections législatives et élection présidentielle) et à une époque où la légitimité politique de l’élection présidentielle était incontestable (contrairement à aujourd’hui, où moins de 15% des inscrits ont voté pour le Président actuel). Dans ce contexte, l’utilisation du 49.3 n’est plus un moyen de trancher légalement un conflit entre deux sources démocratiquement légitimes, mais un moyen d’imposer une réforme sans majorité populaire ni politique (je ne parle pas de la nécessité ou non de la réforme, seulement de sa légitimité démocratique).
    Vous citez à raison les autres pays européens sur le sujet des retraites, mais aucun de ces pays ne possède un tel article dans sa constitution, nous sommes le seul pays européen avec un parlementarisme si faible et un régime présidentiel si fort, et ce système qui avait de sa pertinence au sortir de la guerre et à une époque de partis politiques forts et idéologiquement structurés, n’est aujourd’hui plus du tout adapté à la situation actuelle.
    Et bien les sur les oppositions en jouent, et sans aucune responsabilité car notre constitution, là encore très présidentielle et peu parlementaire, en déposant des motions de censure sans aucune obligation de contrepartie de proposition de majorité alternative (ce qui est une obligation, par exemple, dans un vrai régime parlementaires).
    Si les choses continuent ainsi, on peut parier que toutes les lois (nécessaires ou non) de ce pays seront désormais passées avec le 49.3, ce qui pose quand même beaucoup de questions en terme de démocratie mais aussi d’acceptation sociale et morale, bien sur. Tous les pays européens ayant mis un terme à leur présidentialisme fort ont réussi à moderniser leur système politique et à faire passer des réformes difficiles mais nécessaires, c’est triste que la France n’y arrive pas, à cause de son héritage révolutionnaire autant que bonapartiste qui satisfait autant les uns que les autres !
    Bien cordialement

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    Réponses
    1. Le nombre de 49.3 utilisable est désormais limité depuis la réforme constitutionnelle de 2008. De nombreux pays possèdent des majorités très faibles et le pouvoir présidentiel n'a plus rien de puissant aujourd'hui. Nous sommes très très loin du bonapartisme

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