vendredi 31 mars 2023

Violence politique : de la pratique à la théorie

 

Chronique LCP du 2023-03-30- 
Violence politique : de la pratique à la théorie 

Vous souhaitez revenir sur la thématique qui occupe beaucoup l’actualité : la violence politique. 

Oui, car, chaînes d’information oblige, on voit beaucoup d’images, mais on oublie un peu les idées. Or, la violence en politique n’est jamais gratuite, elle est toujours justifiée par une théorie qu’il faut bien avoir à l’esprit si l’on veut tenter de l’éviter. Et je voudrais prendre deux exemples de nature très différente. 

Le premier est le phénomène black Block. 

On connaît bien désormais cette appellation qui désigne une tactique utilisée par les militants de l’anarchisme radical. Il s’agit de profiter de la moindre manifestation pour la faire dégénérer et en récupérer un bénéfice de notoriété. C’est la stratégie dite « du coucou ». Quelle est l’idéologie derrière ? On peut la résumer en une phrase : face à un ordre qui produit du désordre, il faut créer un désordre qui produit de l’ordre. L’ordre qui produit du désordre, c’est l’Etat, puissance autoritaire et liberticide, allié au capitalisme : il détruit les vies individuelles. Il faut donc en détruire toutes les expressions – c’est pour cela que le mobilier urbains, les banques, le Mc Do … sont visés —. Pour que de sa destruction émerge un nouvel ordre enfin respectueux des libertés individuelles. Les anarchistes partagent avec les néo-libéraux la détestation de l’Etat, mais ils se séparent sur la question du Marché que ceux-ci adorent et que ceux-là abhorrent. 

Deuxième exemple, la tactique du « coup d’éclat permanent » de la France insoumise 

Là il ne s’agit pas de détruire le pouvoir, mais de le conquérir. L’inspiratrice de cette tactique conflictuelle est la philosophe Belge Chantal Mouffe, théoricienne du « populisme de gauche » qui s’inspire elle-même de deux auteurs : Carl Schmitt et Antonio Gramsci. 
• Du très peu gauchiste Carl Schmitt, qui fait plus que flirter avec le parti Nazi, Mouffe reprend l’idée que la politique est conflictuelle : « agonistique », en terme savant. Alors que les libéraux cherchent la négociation, le compromis, le dialogue et le consensus, le populisme cultive le dissensus, voire le clash pour bien montrer qu’il y a, d’un côté, le peuple opprimé et, de l’autre, les élites focalisées sur la défense de leurs intérêts. Celles-ci tentent de convaincre qu’il n’y a qu’une seule politique possible : c’est « bonnet blanc et blanc bonnet ». Aux électeurs, dit Chantal Mouffe, on ne propose plus qu’un choix entre « Coca et Pepsi ». D’où la méfiance. 
• Du marxiste peu orthodoxe Gramsci, Mouffe reprend l’idée de lutte pour « l’hégémonie culturelle », dont Marx considérait qu’elle était secondaire (superstructure) comparativement aux rapports de force économiques et sociaux (infrastructure), c’est-à-dire qu’il faut gagner la bataille des esprits : occuper continuellement l’espace public (les médias et les réseaux sociaux) par des coups d’éclats continuels. 
 
Cette dernière stratégie contribue, selon vous, à la montée des tensions. 

Oui, mais, sur un diagnostic de départ, qui ne me semble pas du tout erroné et qu’on aurait tort de sous-estimer. Il y a un grave déficit de débat idéologique dans notre pays ; de confrontation de visions du monde claires, cohérentes et différentes. Mais, et c’est la limite du populisme (de gauche comme de droite), on ne peut pas dire que les visions du monde soient d’une très grande clarté ; la cohérence n’est pas ce qui les caractérise. Il s’agit d’une idéologie molle pour ratisser large. Et si la méthode de conquête du pouvoir est assez performante, la plausibilité de son exercice réel reste douteuse. 

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