jeudi 17 octobre 2019

Le gouvernement des principes : un danger pour la démocratie

Le Figaro (17/11/2019)

«Le gouvernement des principes,ou la fin de la démocratie délibérative»

TRIBUNE - Pour Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences à Paris 4 Sorbonne* et président du Collège de philosophie, la décision du Conseil constitutionnel de consacrer le principe de gratuité de l’enseignement supérieur est caractéristique d’une dérive de nos démocraties.
Par Pierre-Henri Tavoillot
Clairefond
Il y a pire que le gouvernement des juges ; il y a le gouvernement des principes. Sans doute ne faut-il pas gouverner sans principes, mais lorsqu’on laisse les principes agir à notre place, il n’y a plus de gouvernement et donc plus de démocratie, car elle est - faut-il le rappeler? - un mode de gouvernement. Cet abandon aux principes est pourtant une tendance lourde et grave de nos démocraties libérales.
Le dernier exemple en date est l’arrêt du Conseil constitutionnel qui vient de décider, tout seul dans son coin, de la gratuité de l’enseignement supérieur! Il était saisi par des associations étudiantes qui dénonçaient le projet du gouvernement d’augmenter les droits d’inscription pour les étudiants étrangers (hors Union européenne). Je rappelle brièvement les faits: un étudiant coûte au budget français au minimum 15.000 euros par an ; les nouveaux droits envisagés étaient de l’ordre de 3000 euros, très loin du coût des études ailleurs dans le monde. La ministre de l’Enseignement supérieur s’est posée cette question simple: pourquoi la France devrait-elle accueillir gratuitement les étudiants américains ou chinois sans aucune réciprocité? Cette question ne devrait même pas faire débat!
Tel est le contexte, déjà sidérant, de la saisine. Certes, en l’espèce, le Conseil constitutionnel ne se prononce pas directement sur le sujet (qu’il renvoie au Conseil d’État) mais profite de l’occasion pour sortir de son chapeau un «principe» de gratuité de l’enseignement supérieur, dont il faut dire très fermement qu’il ne relève pas de sa compétence. Ce serait, a minima, au Parlement de débattre de cette question qui engage toute la politique éducative nationale. Cet arrêt, je pèse mes mots, est une véritable usurpation de la volonté générale.
La légitimité d’agir du politique est devenue tellement faible qu’il tente de la gonfler artificiellement par l’autorité du droit.
Cet épisode est pourtant loin d’être le premier et le Conseil constitutionnel est loin d’être seul responsable de cette dérive. Ce sont bien souvent les politiques eux-mêmes qui désertent la politique. D’ailleurs, à chaque fois qu’un problème apparaît, et quelle que soit sa nature, le premier réflexe est d’aller d’urgence et dans cet ordre: modifier les programmes scolaires (lutte contre l’obésité, promotion de l’éducation à l’environnement, combat contre le sexisme, etc.) ; modifier quelques lois et en faire beaucoup d’autres ; inventer un nouveau principe constitutionnel.
Chacun pourra ensuite aller dormir en paix, avec le sentiment du devoir accompli. Principe de précaution, principe de parité, débat sur la «règle d’or budgétaire» (heureusement inabouti)… cette accumulation de questions de principes révèle une chose: la légitimité d’agir du politique est devenue tellement faible qu’il tente de la gonfler artificiellement par l’autorité du droit. Faute de pouvoir changer le réel, il cherche à modifier les textes en général et la loi fondamentale en particulier.
Mais cette fuite en avant est délétère, car elle aggrave le mal au lieu de le soigner. Quel mal? Celui de la dépossession démocratique. Alors que la démocratie est la promesse d’une maîtrise par le peuple de son destin, cette maîtrise semble s’évaporer à tous les niveaux: la mondialisation démultiplie les pôles de décision, la frénésie e-médiatique déstructure le débat public, la financiarisation met à mal les régulations, la protection de l’environnement semble hors de tout contrôle. Si on ajoute à cela l’abandon de la politique au règne des seuls principes juridiques, il ne restera plus aux peuples des démocraties que leurs yeux pour pleurer ou le populisme en réaction.
Du point de vue d’une collectivité démocratique, il est anormal d’abandonner tout contrôle de ses flux migratoires
La question migratoire est emblématique de cette évolution. En 1978, le Conseil d’État, par l’arrêt Gisti, reconnaît le droit au regroupement familial au nom des «principes généraux du droit». C’est une date clé du lâcher-prise politique sur l’immigration. Entendons-nous bien: ce principe est loin d’être scandaleux. Quiconque, dans une situation de réfugié ou d’immigration professionnelle prolongée, aspire à réunir sa famille: c’est légitime individuellement (article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme). Mais du point de vue d’une collectivité démocratique, il est anormal d’abandonner tout contrôle de ses flux migratoires ou, comme c’est le cas en France, de ne les soumettre qu’à des conditions de ressources et de logement sans prendre en considération aussi les conditions d’accueil, les impératifs d’intégration, les effets sur la population autochtone et la répartition sur le territoire.
L’immigration a cessé en 1978 d’être un sujet de gouvernement pour ne devenir qu’une affaire juridico-administrative ou une question morale.
Voilà la véritable difficulté: l’immigration a cessé en 1978 d’être un sujet de gouvernement pour ne devenir qu’une affaire juridico-administrative ou une question morale. Sa gestion est passée en mode automatique, tout comme le débat qui l’a accompagnée. Et c’est cet abandon délétère qui va faire le lit du Front national, à qui la dimension politique du thème est sottement abandonnée. Tous les autres partis se contenteront d’une posture morale. Est-il déjà trop tard pour retenir cette leçon?
Est-il déjà trop tard pour rappeler ce qu’est une Constitution? C’est, à mon sens, un texte, ou une doctrine, qui «institue et constitue» un peuple ; il organise la manière dont les citoyens d’une nation envisagentles règles de la décision collective. On peut en déduire ce qu’un peuple ne peut pas décider sauf à cesser d’être un peuple (opprimer une minorité, remettre en question les libertés fondamentales), mais il n’a pas à orienter un certain type de politique. Il faut donc d’urgence dépolitiser la Constitution pour permettreà la politique de retrouver ses droits.
Et relisons, en passant, Benjamin Constant (Principes de politique, 1815): «Il y a longtemps que j’ai dit qu’une Constitution étant la garantie de la liberté d’un peuple, tout ce qui était à la liberté était constitutionnel, mais que rien n’était constitutionnel de ce qui n’y était pas: qu’étendre une constitution à tout, c’était faire de tout des dangers pour elle.»
* Dernier ouvrage paru: «Comment gouverner un peuple-roi? Traité nouveau d’art politique» Odile Jacob, 2019).

vendredi 11 octobre 2019

Un spectre hante l’actualité : les années 30 ! Et ce spectre est un leurre …


Je recommande chaleureusement la lecture, extrêmement stimulante du livre d’Alexandre Devecchio, Recomposition. Le nouveau monde populiste, Cerf, 2019.  En voici l'amorce. 

Pour d’Alexandre Devecchio, la clé de nos égarements intellectuels et politiques d’aujourd’hui tient en un mot : anachronisme. Nous croyons revivre les années 30, alors que notre situation est totalement inédite. Cette illusion nous empêche de comprendre le présent, d’identifier les vrais risques et d’envisager les bons contre-feux. Sa démonstration est terriblement convaincante.

Partout, on entend parler du « fascisme qui vient », du « racisme en germe », de la « lèpre nationaliste », et bien sûr, c’est l’AOC du temps, de « populisme ».  Michaël Fœssel, qui se taille beau succès avec son Récidive, 1938 —, paru cette année, témoigne de cette « mode ».

Mais tout cela ne résiste pas un instant à une analyse, en tout cas pour qui préfère l’histoire à l’idéologie.

Devecchio identifie trois contresens majeurs dans cette opération : 

1) Le nationalisme n’est pas le totalitarisme — Les années 30 ont vu la montée en puissance de l’idéologie totalitaire : celle-ci est universaliste, conquérante, destructrice, impérialiste, terroriste. C’est l’âge de la lutte des classes ou de la lutte des races qui a vocation à transcender les petites logiques nationales. La Révolution ou la pureté raciale sont au-delà de l’idée pourtant sacrée de Nation, mais qui avait pris du plomb dans l’aile avec la guerre de 14-18. Rien à voir en tout cas, avec le populisme nationaliste d’aujourd’hui d’un Orban ou d’un Salvini. On peut (avec quelques raisons) ne pas les aimer, mais il ne sert à rien de les qualifier de fascistes : c’est manquer totalement la cible et rater la confrontation ! Mais c’est surtout ne pas vouloir voir les vrais ennemis ; ceux qui veulent détruire la démocratie libérale : les fascistes d’aujourd’hui, ce ne sont pas les populistes, mais bien les terroristes islamistes.

2) Les totalitarismes des années 30 ne furent pas de mouvements « populistes » ni même populaires — Les mouvements qui ont porté les systèmes totalitaires au pouvoir (léninisme, fascisme, ou nazismes) ne furent pas — faut-il le rappeler — le fait d’une masse, mais d’une alliance subtile entre un petit parti de professionnels de la révolution et des élites défaillantes. Lénine disait qu’il lui fallait « mille hommes » et il a réussi avec cela à faire sa révolution ; Mussolini a été battu aux élections, et sa « Marche sur Rome » (oct. 22) aurait pu être balayée … si seulement le roi l’avait voulu ! Quant à Hitler, il n’a jamais obtenu la majorité des suffrages, mais a été porté par les milieux d’affaires allemands qui finissent par faire céder Hindenburg. Non, donc, le totalitarisme n’est pas né dans les urnes ! Rien à voir, donc, avec les populistes d’aujourd’hui qui sont légitimement élus dans leurs pays sans recourir aux milices, marches.

3) Les musulmans des années 2000 ne sont pas les juifs des années 30 et l’islamophobie d’aujourd’hui n’est pas l’antisémitisme d’hier — Il faut une sacrée dose de mauvaise foi (et/ou de cynisme) pour oser soutenir la comparaison. C’est pourtant ce que font sans vergogne Hani Ramadan et son frère Tariq ou encore les dirigeants du CCIF ou encore Edwy Plenel. Ils induisent ainsi que la laïcité, c’est le racisme, et que la république, c’est le fascisme. Gonflé non ? Est-il besoin de rappeler avec Charb (juste avant d’être assassiné dans l’attentat contre Charlie Hebdo) ces quelques données : « En 1931, existait-il un terrorisme international qui se réclamait du judaïsme orthodoxe ? Des terroristes juifs revendiquaient-ils d’instaurer l’équivalent juif de la Charia en Libye, en Tunisie, en Syrie et en Irak ? Un Ben Laden juif avait-il envoyé un biplan s’écraser sur l’Empire state building ? ». Et plus généralement assistait-on à un repli communautaire des juifs en 1930 ? C’était l’inverse … Y a-t-il des pogroms anti-musulmans, ou une persécution systématique conduite par l’Etat en vue d’une solution finale ? Qui peut le soutenir ? Le grand remplacement de l’antisémitisme par l’islamophobie n’a pas eu lieu. D’ailleurs, l’antisémitisme est toujours bien là, nullement remplacé et plus désinhibé que jamais dans une partie des « quartiers ». Le hold-up est parfait : nier l’antisémitisme actuel au profit de l’islamophobie fantasmée et en déduire que nous en sommes donc revenus aux années 30 et qu’il faut lutter contre les populistes comme des fascistes des temps modernes.

4) S’il y a pourtant une comparaison possible avec les années 30, c’est celle de l’« étrange défaite » ou de la trahison des clercs, ou du « Munich de la pensée » : quand, en effet, des esprits (soit disant) éclairés s’aveuglent à voir la haine de la démocratie, là où il n’y a qu’une immense exigence de démocratie (le populisme) ; et un espoir de régénération (démocratie « radicale »), là où il n’y a que forces destructrices et délétères.

Je vois pour ma part la « menace populiste », moins comme un péril de destruction que comme un formidable défi : celui qui oblige notre démocratie libérale à répondre au sentiment de dépossession démocratique et de perte de maîtrise. La démocratie libérale est convaincue qu’il n’y a pas de cratos sans demos (entendu ici comme contre-pouvoir) ; la démocratie illibérale nous rappelle qu’il n’y a pas de demos (entendu ici comme collectif) sans cratos. La reconquête du pouvoir d’agir collectivement dans un monde complexe, global, souvent illisible, traversé par les rumeurs, saturé des règles, où les pôles de décisions se sont démultipliés à l’infini : voilà le seul véritable objectif.  Il ne s’agit pas de donner plus de pouvoir au peuple, mais de permettre au peuple de donner plus de pouvoir (ou, plus exactement, de le prêter avec plus d’efficacité).


samedi 5 octobre 2019

Collège de philosophie

Le Collège de philosophie
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
a le plaisir de vous convier à sa prochaine séance publique


Samedi 9 novembre  2019 (14h- SORBONNE - Amphi MICHELET, 

entrée au 46 rue Saint Jacques 75005 PARIS),  

   L'ETHIQUE AUJOURD'HUI : PENURIE OU EXCES ?
 

  Pierre-Henri TAVOILLOT 


[Entrée dans la limite des places disponibles sur présentation de cette invitation]

Pourquoi fait-on des enfants ?

 Chronique LCP du 23/01/2024 Bonsoir Pierre Henri Tavoillot, le nombre annuel de naissance en France est passé sous la barre des 700 000 en ...