dimanche 12 novembre 2023

Le RN est-il (encore) d’extrême droite ?

Tribune pour Le Figaro (10/11/2023)

Chronique pour LCP (8/11/2023)

Contrairement à la LFI, le RN a annoncé sa participation au rassemblement du 12 novembre contre l’antisémitisme suscitant l’embarras des partis de « l’arc républicain », qui appelaient pourtant à l’unité nationale. D’où cette question : le RN est-il encore d’extrême droite ? C’est la question qui fâche, mais qu’il faut tenter d’aborder de manière dépassionnée en distinguant trois sens du terme « extrême droite ».

 Le premier, purement institutionnel, désigne, depuis août 1789 et le vote sur le véto royal, la position dans l’hémicycle. De ce point de vue, le RN est bien à l’extrême droite. Le deuxième sens est historique et idéologique. Il émerge contre la Révolution française, se déploie dans les ligues fascistes, s’épanouit sous Vichy et rebondit avec l’OAS. Trois traits principaux caractérisent cette idéologie. D’abord, l’antiparlementarisme ; ensuite une position réactionnaire ou mieux révolutionnaire conservatrice qui consiste à tout casser pour tout garder ; enfin l’idée d’une pureté nationale à défendre contre les adversaires extérieurs et contre les ennemis de l’intérieur : la nation n’est pas « un plébiscite de tous les jours » comme disait Renan, mais une substance mystique qui transcende ses membres. 

Il y a un troisième sens d’extrême-droite, qui insiste sur le mot extrême. Dans son livre, Qui est l’extrémiste ? (Intervalles, 2022), Pierre André Taguieff distingue trois dimensions : la légitimation de la violence, l’intolérance totale face à tout désaccord et le fanatisme absolu à l’égard d’une Cause sacrée, d’une fin qui justifie tous les moyens. 

Si l’on s’accorde sur ces critères, hormis le premier sens purement topographique, il faut bien admettre que le RN ne coche plus les cases de l’extrême-droitisme. Marine Le Pen a rompu avec le feu FN sur au moins deux points idéologiques qui ne sont pas négligeables : elle se rallie à la lutte contre l’antisémitisme, alors que son père était l’homme du « point de détail » ; elle s’est convertie à la laïcité, alors que son père se situait dans le catholicisme traditionnaliste. C’est une laïcité certes plus identitaire que républicaine, mais l’évolution est notable. Pour ce qui est de l’extrémisme, c’est plutôt la LFI qui l’incarne aujourd’hui avec une légitimation explicite de la violence (appel aux émeutes) et une logique de plus en plus forte de purges internes (intolérance). Le fanatisme, troisième trait de l’extrémisme, n’est pas présent, puisque sa cause n’a rien de sacrée : c’est seulement l’accès au pouvoir. 

Comment alors qualifier le RN s’il n’est plus d’extrême droite ? Je dirais qu’il s’agit d’un parti de droite radicale, populiste et illibérale. Il prône une idéologie « hyperdémocratique », selon laquelle il faudrait toujours plus de demos (contre l’oligarchie des élites) — c’est la dimension populiste — ; et toujours plus de cratos (contre la technocratie de l’Etat profond). Au nom du Peuple et de la Nation, il faut être prêt à prendre quelques libertés avec les libertés : c’est la dimension illibérale. A mon sens, le procès d’excommunication en extrême-droitisme du RN tend plutôt à le renforcer, car cela revient à proclamer que les 13 millions d’électeurs de Marine Le Pen sont des idiots ou des salauds. Idiots, parce qu’ils ne voient pas que le RN est raciste et fasciste ; salauds, parce qu’ils l’ont trop bien compris. Ce n’est certainement pas le meilleur message à leur adresser pour tenter de les récupérer. 

Il vaudrait mieux objecter au RN, je crois, 1) que ses promesses de renverser « le système » sont vouées à l’échec du fait de leurs excès et des oppositions qu’elles susciteront ; et 2) qu’il est un parti dont, en dépit d’un incontestable ravalement de façade, l’arrière-boutique reste remplie de « vieux démons », qui ne faciliteront guère son exercice du pouvoir. Ces objections politiques me semblent beaucoup plus efficaces que l’excommunication morale, car le pire service à rendre au RN consiste à le banaliser. Ce qui, d’ailleurs, me fait percevoir que j’ai oublié un quatrième usage du terme d’« extrême droite » : c’est le moyen pratique de disqualifier quiconque n’est pas d’accord avec moi.

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