mercredi 18 octobre 2023

L'école : zone de guerre

 

L’école, cette « zone de guerre »

Selon le philosophe Pierre-Henri Tavoillot, une société s’affaiblit lorsqu’elle commence à avoir honte de sa culture. Et nous n’avons aucune raison d’avoir honte de notre civilisation.

Par Pierre-Henri Tavoillot


Paru dans Le Point (19.10.2023).

 En Afrique, son visage hideux a un nom : Boko Haram, littéralement « Livre (book) impur » ou encore « l’éducation occidentale est un péché ». Le credo est simple : tous ses maitres sont des ennemis ; tous ses élèves sont des victimes. Voilà pourquoi des professeurs sont tués ; voilà pourquoi des étudiants et particulièrement des étudiantes sont enlevés ; voilà pourquoi des livres sont brûlés. Depuis trois ans, date de l’abject assassinat de Samuel Paty, plus personne ne peut nier que cette idéologie sévit en France. C’est à elle que l’on doit, lors des émeutes de juin 2023, l’attaque de 168 écoles, la dégradation de bibliothèques, médiathèques et des bâtiments de la République laïque. C’est à elle qu’on doit le meurtre de Dominique Bernard, professeur de lettres à Arras. C’est à elle qu’on doit les innombrables atteintes à la laïcité dans les écoles : l’offensive des abayas et des qamis, le refus de dessiner des visages ou de suivre les cours de musique, la contestation perpétuelle des savoirs, la dénonciation frénétique des « impuretés » en tout genre, la pression permanente sur les enseignants … Il ne s’agit là ni de folies passagères ni du cri des « damnés de la terre » discriminés, mais bien d’une idéologie claire, cohérente et conquérante, qui a choisi de faire de l’école une zone de guerre … d’une guerre de civilisation. Il faut lire et relire les ouvrages de Gilles Kepel, Bernard Rougier, Hugo Micheron, Florence Bergeaud-Blackler et de bien d’autres, pour admettre qu’il y a sur notre territoire une partie de notre population dont le projet de vie est tout entier consacré à la destruction de notre mode de vie. Florence Bergeaud-Blackler les a identifiés avec une impressionnante rigueur : ce sont les fréristes, pour qui l’école est la cible principale. 
 Mais là n’est pas encore le pire. Le pire est que ce fondamentalisme islamiste est accueilli parfois à bras ouverts dans nos établissements scolaires par des insouciants ou des cyniques. Les insouciants sont ceux qui ne veulent pas voir que cet ennemi existe. Pour eux, il n’y a que des loups solitaires ou les créatures de nos propres péchés d’Occidentaux repus. Les cyniques sont ceux qui voient cet ennemi comme un allié pour leurs desseins de prise de pouvoir. Pour eux, les islamistes forment « l’armée de réserve » de la révolution à venir. 
Ces deux camps convergent pour affaiblir l’école attaquée. Ils s’accordent pour dénoncer la violence (symbolique) faite aux élèves alors qu’on tue (vraiment) leurs professeurs ; ils s’accordent pour considérer que les actes terroristes les plus barbares ne sont que « légitime défense » ; ils s’accordent pour critiquer la République au nom d’un hyperindividualisme qui la laissera désarmée face au communautarisme. « Venez comme vous êtes », disent-ils en substance aux enfants, « vos identités sont remarquables ; n’en changez surtout pas. Nous autres adultes, coupables par nature, avons trop peur de vous discriminer pour pouvoir encore vous éduquer. Nous autres adultes avons trop de doutes sur nos savoirs pour espérer vous instruire. Nous autres adultes avons trop honte de notre histoire pour oser vous la transmettre ». 
Et voici l’autre message qu’ils ne cessent d’adresser à la jeunesse : « la France d’aujourd’hui est patriarcale, raciste, néocoloniale, indifférente au sort de la planète, inégalitaire, islamophobe, homophobe, transphobe, anti-jeune et oublieuse des vieux, inhospitalière, discriminatoire, immorale, égoïste, rance…» On pourrait sans peine continuer la liste (où l’antisémitisme est « étrangement » absent) de cette auto-détestation qui dépasse de très loin les limites d’une légitime autocritique. Car il ne s’agit pas non plus de s’adorer sans réserve ; mais à force de se haïr, on en vient à se détruire. Aucune école, nulle transmission n’ont de sens dès lors qu’une culture commence à avoir honte d’elle-même. 
Or il n’y a vraiment aucune raison d’avoir honte. Au contraire. La civilisation de la démocratie née en Europe peut être fière, car elle est unique en son genre : elle est « la civilisation des grandes personnes ». En effet, dans la plupart des civilisations connues, la minorité est la règle et la majorité est l’exception. C’était le cas à Rome où les seuls majores étaient les pères de famille. C’était le cas dans les monothéismes où les incroyants sont réputés naïfs et ignorants en dépit de leur égale dignité comme créature divine. Et c’est le cas partout ailleurs, toujours : seules quelques personnes, en général les hommes, de préférence assez vieux et plutôt nobles, y étaient reconnues comme des adultes à part entière, bons pour le service civique, aptes au pouvoir et dignes des hautes fonctions. Pour tous les autres (plus ou moins) humains, il manquait toujours quelque chose : soit de la liberté, soit de la force, soit une autorisation … bref ce petit supplément d’être qui leur aurait permis de prétendre à l’humanité complète et achevée. Dans l’histoire des civilisations, il en est une — et une seule — qui a promu cette idée étrange et singulière que tous les hommes — femmes comprises — sont des grandes personnes. Cette civilisation est la civilisation occidentale — et d’abord européenne. Pour elle, ni la race, ni la naissance, ni la richesse, ni la classe sociale, ni même d’ailleurs l’âge ne sauraient empêcher quiconque et de manière définitive d’être reconnu comme « grand » et digne. La majorité devient la règle et la minorité l’exception. Bien sûr, je ne songe pas à nier que l’Europe ait été aussi sexiste, raciste, esclavagiste, impérialiste et imbue de sa supériorité ; mais elle l’a été à l’instar de toutes les autres grandes civilisations connues. En revanche, ce qui la distingue, dans toute l’histoire humaine, est qu’elle ait été la seule à promouvoir l’antiracisme, l’anti-impérialisme, l’abolition de l’esclavage, l’émancipation de la femme et cette curiosité singulière à l’égard des autres cultures passées ou présentes. L’ethnologie, l’histoire des autres, le goût des arts premiers, l’attrait pour les mœurs étrangères, l’attention à tout ce qui est humain, petit ou grand, proche ou lointain, digne ou indigne : tout cela commence avec l’Europe. Il faut être aveugle pour ne pas percevoir que sa puissance émancipatrice est inégalée dans l’histoire humaine. On s’acharne à la haïr pour ce qu’elle a été la seule à dénoncer ; on la déteste au nom d’une liberté qu’elle seule a promue ; et on lui objecte des horizons qu’elle a été la première à ouvrir. Son message civilisationnel peut se résumer à ces trois propositions qui sont loin d’avoir épuisé leur potentiel : tous les humains sont grands ; tous les humains peuvent grandir ; … et la plus belle, sans doute : nous pouvons grandir ensemble. C’est cela que détestent et combattent les fondamentalistes islamistes ainsi que leurs piteux alliés. C’est pour cela qu’ils veulent détruire l’école ; et c’est pour cela que nous devons la défendre sans faiblir. Car jamais, depuis sa fondation, elle n’a été à ce point menacée.

Les trois islams en France

Je republie ce post de mon blog de 2016, après mes propos trop hâtifs et erronés sur France Inter ce 18 octobre 2024.

 L’enquête passionnante de l’Institut Montaigne (IFOP, recensée par le JDD, 18 septembre 2016) apporte quelques indications intéressantes sur les musulmans en France. D’abord, sur le nombre. Au sein de l’échantillon représentatifs, ceux qui qui se déclarent « musulmans » constituent 5,6% de la population des plus de 15 ans vivant en France et 10% des moins de 25 ans. On est loin des 8% ou 10% souvent avancés. Cela ferait une population comprise entre 3 et 4 millions. Le deuxième enseignement concerne la diversité de cette partie de la population française. L’enquête identifie trois « types ». 

 1) Le premier islam désigne les « sécularisés » : l’islam y a cessé d’être, au sens strict, une religion pour devenir « tendanciellement » une culture (à l’instar des chrétiens). Ils représentent 46% de ceux qui se déclarent musulmans. Les pratiques peuvent exister, mais elles sont intégrées — sans ambiguïté — au cadre républicain à l’exception du halal (une majorité notable considère qu’il devrait être proposé dans les menus des cantines scolaires) et du voile-hijab) qui est considéré comme acceptable dans l’espace public, voire professionnel (mais pas le niqab ni la burka). 

 2) Le deuxième islam — « les islamics pride » — représente une part de 25%. Ceux-ci revendiquent l’expression de leur foi dans l’espace public, mais rejettent les pratiques « excessives » : niqab et polygamie. Ils se sentent davantage représentés par Tariq Ramadan que par le CFCM (que, par ailleurs, les « sécularisés » ignorent) ! 

 3) Le troisième islam est intégriste et rigoriste. Ce sont les « ultras » qui représentent 28% des musulmans auto-déclarés (soit environ 1 million de personnes en France !) : ils sont en rupture avec les valeurs républicaines, considèrent que la Charia est plus importante que la loi de la République, sont favorables au port du nikab, de la burka et à la polygamie. Ils sont surreprésentés parmi les jeunes (50% des moins de 25 ans ; 20% à peine des plus de 40 ans). Sur cette base, l’Institut Montaigne propose plusieurs mesures que je laisse ici de côté, car le véritable problème est de savoir s’il peut y avoir une seule politique pour ces trois islams ? Les premiers demandent de la République une forme de tolérance et une meilleure intégration dans la collectivité nationale. Ce qui, à mon sens, ne poserait aucun problème s’il n’y avait pas les deux autres islams. En effet, le deuxième exige non seulement la tolérance, mais une véritable reconnaissance de droit et potentiellement de droit à la différence, en rupture avec la loi républicaine. Et le troisième aspirent, ni plus ni moins, qu’à la subversion voire à la destruction de la République. 

 Cela fait tout de même 2 millions de personnes en France qui ne s'inscrivent pas dans le cadre laïcité (même si tous ne sont pas en lutte armée contre elle !).


PS (15/11/2023). J'ajoute à ce post de 2016 que la référence à Tariq Ramadan n'est pas faite ici pour rassurer quant à la modération de la Catégorie 2. Elle ne diffère de la catégorie 3 que sur la stratégie (entrisme vs combat) mais non sur la finalité (le califat mondial). 

mercredi 4 octobre 2023

De l'art de rendre des comptes

 Chronique LCP du mercredi 4 octobre 2023 


La présidente de l’Assemblée Nationale souhaite « redynamiser » la séance des questions au gouvernement qui a lieu tous les mardis à 15h. Cela vous fait réagir, Pierre-Henri Tavoillot. 

 Ce n’est pas un point anecdotique et la présidente de l’Assemblée a raison de s’en préoccuper. La démocratie ne peut se contenter d’être un jeu de lois et une succession de discours. Parce qu’elle se fonde sur l’espace public, elle doit aussi être une scène et un spectacle. Platon, en son temps, avait dénoncé la théâtrocratie, car il y voyait l’emprise de la démagogie : mais Platon n’était pas démocrate. Rousseau, qui l’était davantage, critiquait le théâtre, comme excluant le peuple (cantonné au rôle de spectateur) du jeu des acteurs. Il préférait la « fête révolutionnaire », participative, mais Rousseau était adepte de la démocratie directe. Or, dans nos démocraties représentatives, la représentation politique doit aussi être théâtrale. 

 La Présidente Yaël Braun-Pivet, considère (à juste titre) qu’elle ne l’est pas assez ou que la pièce manque un peu de piquant. Elle envisage plusieurs pistes pour remettre un peu de peps dans le plebs (la Plèbe) ; et amuser un peu plus la galerie. Ses propositions sont des questions/réponses plus courtes pour un échange plus incisif ; ou alors moins de questions ; ou alors un temps de questions distribué par groupe ; ou revenir à deux séances hebdomadaires. Je ne suis pourtant pas certain que cela change beaucoup la donne. 

 Auriez-vous une proposition à lui faire ? 

 Eh bien oui : le Parlement français, après avoir reçu Charles III au Sénat, pourrait adopter la pratique anglaise des questions aux Communes. En Angleterre, le Premier Ministre est seul dans l’arène et doit répondre en direct et sans préparation à toutes les questions des députés de l’opposition et de la majorité : chaque semaine, c’est un grand oral qui ressemble à un grill. 

 On a ce propos le témoignage de M. Thatcher et de T. Blair dans leurs mémoires respectifs : « Aucun autre chef de gouvernement dans le monde, écrit ainsi M. Thatcher, n’est soumis à ce genre de pression régulière et beaucoup font des pieds et des mains pour l’éviter ; aucun, comme je ne manquais pas de le rappeler à mes collègues d’autres pays que je rencontrais lors des sommets, n’a autant de comptes à rendre qu’un premier ministre britannique ». Et la dame de fer, fidèle à sa réputation ajoutait : « Peu à peu, je finis par me sentir plus sûre de moi … il m’arriva même d’y prendre du plaisir ». 

Plaisir non partagé par Tony Blair de son propre aveu : « Les questions au Premier Ministre resteront l’expérience la plus éprouvante, la plus déconcertante, angoissante, remuante, terrifiante et décourageante de mon vécu de Premier ministre ». « Aujourd’hui encore, ajoute-t-il, où que je me trouve sur la planète, à 11h57 le mercredi, je ressens un frisson glacé, un picotement sur la nuque et mon cœur se met à battre la chamade. C’est l’heure où je sortais du bureau de Premier ministre aux Communes et me dirigeais vers la Chambre. Je l’appelai la marche du condamné ». 

 En quoi cette pratique anglaise permettrait-elle, selon vous, d’améliorer la vie démocratique ? 

 La méthode démocratique peut être décrite en quatre moments : il faut des élections, des délibérations, des décisions et de la reddition des comptes. Les trois premiers moments font l’objet de toutes les attentions quand on veut régénérer la démocratie : réformer les élections (vote blanc, proportionnelle, tirage au sort, …), mettre plus de délibérations (avec des conventions citoyennes), contrôler toujours plus les décisions (au point parfois de les empêcher) ; mais on oublie ce moment capital de la reddition des comptes. C’est un peu l’impensé de la démocratie et je trouve que sa mise en scène au sein du Parlement à travers les commissions d’enquête (comme celle récente sur le nucléaire) ou les questions directes et franches (parrêsia) au chef du gouvernement sont bien plus que des symboles. La reddition des comptes ce n’est ni le « dégagisme » ni le procès au pénal ; c’est le fait de revenir sur des décisions passées, non pour punir ceux qui les ont prises, mais pour améliorer celles qu’il faudra prendre demain.

Pourquoi fait-on des enfants ?

 Chronique LCP du 23/01/2024 Bonsoir Pierre Henri Tavoillot, le nombre annuel de naissance en France est passé sous la barre des 700 000 en ...