lundi 22 octobre 2018

Révolution : le retour !


Tribune parue dans Le Figaro (lundi 22 octobre 2018)


La voilà revenue, la Révolution ! Normal, dira-t-on, puisque son retour est compris dans son concept. Mais je note qu’en chemin, elle a tout de même changé. Elle était rouge ; elle est devenue verte. Elle annonçait un avenir radieux ; elle prophétise un futur piteux. Elle espérait, jadis, une société sans classe ; elle craint désormais une planète sans vie ! Et le dernier rapport du GIEC vient alimenter la conviction du dernier appel avant la fermeture de l’horizon, comme d’ailleurs le précédent, et même celui d’avant. « Pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5°, il faudrait modifier rapidement, radicalement et de manière inédite tous les aspects de la société ». Tiens, cela me rappelle quelque chose : Revoluciòn o morte !

Il ne me viendrait pas à l’esprit de nier la réalité du changement climatique et l’importance de ses conséquences : tout cela est établi et tous les savants convergent. Mais c’est sur les moyens politiques à mettre en œuvre que je me sens comme un citoyen désemparé, troublé par l’ampleur de l’injonction et le flou des moyens pour y parvenir. Par où l’on voit resurgir aussi un vieux débat : l’opposition entre réforme et révolution.

D’un côté, l’idée que le salut viendra d’un changement total de direction. Quand on s’est trompé de route, il ne sert à rien de ralentir, il faut faire demi-tour. Il faut donc opérer, comme au ski, une véritable « conversion », et j’utilise ce terme à dessein, car j’y vois le dernier avatar en date de notre esprit religieux. Une bonne apocalypse : voilà qui permet de remobiliser les fidèles et de réenchanter le monde. Mais deux questions se posent tout de même : dans quel sens et comment ?
L’objectif est clair : il faut réduire de 1,5° la température mondiale : bien ! Comment ? Par la réduction de l’émission de carbone : fort bien ! Comment ? Grâce à la transition énergétique : parfait ! Qu’est-ce que cela veut dire ? … Et c’est là que les choses se gâtent ! Après la lumineuse clarté de l’objectif général, on passe à l’obscurité contradictoire des solutions pratiques. Le diesel, détesté pour ses particules, serait peut-être moins nocif pour le climat que l’essence même sans plomb ; le nucléaire, abhorré pour ses déchets, est beaucoup moins « climatoxique » que les centrales à charbon ; l’éolien et le solaire, loués pour leur renouvelabilité, ont des inconvénients que l’on découvre peu à peu (besoin en métaux rares, production par intermittence, … ), y compris pour le climat. Bref, la question de la politique à mettre en œuvre concrètement, de ses priorités et de ses urgences, est très loin d’être claire.
A quoi il faut ajouter que les marges de manœuvres politiques sont faibles. A moins de passer en régime « dictature verte » — ce que certains souhaiteraient —, il faut faire avec ceux qui ne sont pas prêts à sacrifier immédiatement leur vie aux générations futures, d’autant moins que ces sacrifices pourraient bien être vains (puisque les politiques à mener ne sont pas claires) !
Mais imaginons même que le GIEC conçoive une politique claire, efficace et garantie (du type satisfait ou remboursé) pour lutter contre le changement climatique : elle supposerait d’abord des accords mondiaux sincères, sauf à ce que les plus vertueux soient aussi les plus pénalisés ; mais elle exigerait en outre une puissance budgétaire dont la France ne dispose pas, vue sa dette abyssale (100% de son PIB)  ; elle demanderait aussi une légitimité politique totale que l’on ne trouve que dans les temps de guerre. Alors oui ! On nous dit que c’est la guerre ; guerre à la fois contre le temps qui passe et le temps qu’il fera. Mais, à moins d’être Don Quichotte, je ne vois pas qu’on ait jamais réussi à lutter contre cela. C’est ailleurs étrange de voir comme la dénonciation de la toute-puisssance humaine (qui va tuer la planète) produit l’idée d’une hyperpuissance humaine (qui peut la sauver), après une humble repentance et une révolution décroissante. Il y a décidément dans cette science-là un peu trop de morale à mon goût ! Et trop peu de politique.

Ce n’est pas le cas de l’autre option, dite politique des « petits pas » ou jadis nommée réforme. A la logique de conversion, elle préfère ajuster l’action par un système pragmatique d’essais, d’erreurs et d’évaluation en tenant compte aussi des innovations et des effets pervers imprévus. Alors, certes, on dira : « Pas à la hauteur des enjeux !» , « inconsciente des dangers ! », « irresponsable », … ! Je pense, au contraire, que c’est la seule qui soit moralement responsable tandis que le révolutionnaire ne vit que dans l’éthique de la conviction. Cette politique des petits pas exige donc qu’on renoue avec la politique. Qu’est-ce à dire ? Eh bien d’abord que la France notamment retrouve une marge de manœuvre budgétaire ; c’est la condition première. Ensuite que l’Europe devienne une puissance (et non pas seulement un marché ou un droit). Enfin que les innovations technologiques soient soutenues pour que la lutte contre le changement climatique et l’épuisement des ressources ne soit pas que défensive ou punitive. L’incantation pour « sauver la planète » d’un cataclysme, qui est décrit aujourd’hui comme inévitable, est devenu, de manière paradoxale, un frein à l’action et une invitation au fatalisme. D’autant que la révolution est comme la vertu, on l’attend plus souvent des autres (de l’Etat, de la Chine, des « gens », …) que de soi-même : le souhaitable doit y remplacer d’un seul coup le réel. Tandis que la réforme, elle, s’oblige à examiner le souhaitable et le réel pour déterminer le possible et s’y tenir.


Pierre-Henri Tavoillot est philosophe à Sorbonne-Université. Son dernier livre De mieux en mieux ET de pire en pire, Odile Jacob, 2017.


2 commentaires:

  1. Bonjour Monsieur,

    Faire une analogie entre des exhortations à la révolution marxiste, basées sur une idéologie prétendument scientifique, et des appels à une "révolution écologique", dont l'urgence et l'ampleur de la réponse nécessaire est justifiée et commandée par sans doute le plus gros consensus scientifique mondial, n'est-ce pas verser dans le sophisme ?

    Vous dites que vous ne niez pas la réalité du changement climatique, mais cette entrée en matière et l'alternative posée, qui si j'ai bien suivi est "réforme ou révolution", nie à mon avis le caractère essentiel du problème, qui est son urgence.

    La réforme écologique, c'est la voie qui a été suivie depuis le protocole de Kyoto de 99, et elle brille de toute son absence depuis 20 ans, tandis que la mondialisation elle s'est développée à une vitesse fulgurante dans la même période.

    La réforme financière, c'est ce qui a été promis suite à la crise de 2008, qui a plongé le monde entier dans une récession d'une violence inouïe, et qui a forcé le public à s'endetter (personne n'a parlé de marge de manœuvre à ce moment là) pour éponger l'aveuglement de quelques personnes écœurantes d'avidité et de vanité. Mais quelle réforme ? La finance spéculative se porte à merveille, merci pour elle, en attendant la prochaine bulle qui remettra à mal jusqu'à des pays entiers jusque dans leur souveraineté.

    La réforme, ou les "petits pas", c'est en vérité l'inaction, tant que cela va dans le sens contraire des intérêts économiques dominants. Le poids des lobbys à tous les niveaux de décision, de Bruxelles aux niveaux locaux, est un secret de polichinelle. Le politique dans notre société ne me paraît être qu'un vernis de légitimité donné à des exécutants qui obéissent aux mêmes décideurs. Je ne pense pas qu'il faille être un extrémiste de n'importe quel bord pour s'en être rendu compte.

    Quant à faire état d'une "dictature" verte parce que les décisions courageuses nécessaires pourraient contraindre des gens à changer leur mode de vie contre leur gré, je crois qu'avec une telle définition, nous pourrions tout autant parler d'une "dictature" néo-libérale, qui a bouleversé le quotidien de millions de personnes en France et dans le monde, sans qu'ils ne l'aient jamais souhaitée.

    Au final, l'alternative serait plutôt, à mon avis, aveuglément "funeste" ou courage citoyen. Et en effet, cela commence par faire sa propre révolution et non de l'attendre des autres, ce qui nécessite un sens du sacrifice, une exacerbation de notre conscience morale, de notre compassion envers envers les personnes qui souffrent et qui souffriront de cette société malade qui traite l'homme toujours comme un moyen et non comme une fin... Et peut-être alors, après qu'une telle révolution éthique de la base, la supercherie actuelle du politique apparaîtra dans toute sa splendeur, et que les débats sur le "quoi faire" pourront avoir lieu dans une concertation globale et transparente plutôt qu'à travers des jeux d'influence.

    Mais pour cela, plutôt que de marge de manœuvre politique et de dette publique, encore faudrait-il parler de responsabilité et de morale. C'est sur ces sujets - il me semble - que les gens ont besoin d'entendre ou de lire des philosophes tels que vous, et je ne peux cacher aujourd'hui ma déception.

    Bonne soirée,
    Thibault

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  2. Merci pour votre contribution conséquente et argumentée (que je regrette de découvrir trop tardivement). Mon souci dans ce papier n'est pas moral, il est politique : quelle politique doit-on mener face à cette urgence que vous indiquez ? Que faire ? comme dirait l'autre (en l'occurrence Lénine). Or c'est là que je vois les doutes apparaître … et les difficultés : nous ne connaissons pas toutes les conséquences de nos actions ; or nous voyons que les efforts en faveur, par exemple, d'une transition énergétique peuvent être largement contre-productifs : la découverte des effets environnementaux nocifs de l'exploitation des métaux rares invite à la prudence quand au développement du tout électrique pour les véhicules. Bref, qu'y a-t-il exactement sous le consensus vague de « Il faut sauver la Planète ! » (qui, soit dit en passant, n'a aucun besoin de nous : elle survivra sans peine …à nos égarements ; et sans nous !).

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