dimanche 29 mars 2020

Gouverner par gros temps (2)

Déclaration du premier Ministre, Edouard Philippe, le 28 mars 2020.
« Je ne cherche pas à justifier l’action du gouvernement »
« Le moment venu, nous tirerons les leçons de la crise. Le premier ministre que je suis répondra à toutes les questions. Je ne suis pas de ceux qui se défaussent de leur responsabilités ». Et fustiger ceux qui « donnent des leçons et formules a posteriori » ; « je leur laisse ce luxe ».

Sans me prononcer sur le fond des décisions prises, ce propos, au moins, me paraît profondément juste. Et je crois que nous devons veiller collectivement à bien distinguer trois moments qui sont indispensables à la démocratie : la délibération, la décision et la reddition des comptes. L’accélération de l’information et la transformation de tous les citoyens en éditorialistes par la magie des réseaux sociaux, tend à produire une énorme confusion entre ces trois étapes. La délibération, c’est la discussion collective sur « ce qu’il faut faire » (art d’anticipation) ; la décision, c’est l’arbitrage personnel sur « comment le faire ? » (art d’exécution) ; la reddition des comptes, c’est l’échange à nouveau collectif sur « a-t-on bien décidé et a-t-on bien réalisé ce que l’on avait décidé » (responsabilité) ?

Une situation de crise grave, comme celle que nous vivons, condense ces trois moments : le temps de l’échange collectif sur les options fait défaut, d’où le soupçon de propagande et de manque de transparence ; le temps de la décision est l’urgence, d’où le soupçon d’autoritarisme et d’arbitraire ; le temps de l’évaluation est à venir, d’où la crainte de ne pas pouvoir sanctionner plus tard les mauvaises décisions prises aujourd’hui.

Sur toutes les récentes décisions prises récemment, chacun d’entre nous a forgé et donné son avis : fallait-il maintenir les élections municipales ? Faut-il promouvoir la chloroquine ? fallait-il supprimer les stocks de masques ? Faut-il un confinement plus strict, voire un couvre-feu, au détriment des libertés et de la production économique ? Fallait-il favoriser plus vite le dépistage ?

Ce que nous dit le Premier Ministre est la chose suivante : 1) Nous n’avons pas le temps d’examiner collectivement toutes les options possibles ; 2) L’exécutif décide et comme on dit « prend ses responsabilités » ; 3) Vous aurez tout le loisir de nous critiquer après la crise et de juger si nous avons bien fait ou mal fait.

Cela ne signifie pas que les critiques doivent se taire (censure) ; cela signifie que les critiques veillent à ne pas affaiblir la capacité collective d’agir ; qu’elle s’exprime en s'efforçant de ne pas produire une forme d’impuissance. Exiger que le gouvernement soit responsable est indispensable ; mais cela ne doit pas se faire au détriment de sa propre responsabilité de critiquer. 

Cela signifie que nous devons individuellement commencer à accumuler des arguments, des faits, des données qui permettront d’instruire le procès futur de l’action présente dans une reddition des comptes qui soit aussi complète et étayée que possible. Nous n’avons pas encore en France l’usage de ces évaluations sans concession des actions passées : c’est ce qui produit la tentation de la pratiquer en « contrôle continu ». Le Royaume-Uni et l’Amérique y sont plus habitués. La reddition des comptes par l’élection ne suffit pas ; il faut qu’elle soit élaborée de manière sérieuse, objective et fiable par le Parlement, abstraction faite des logiques majoritaires.

Mais, en attendant, plus que jamais l’exercice de la critique exige au préalable que l’on se pose la fameuse question de Raymond Aron : « si j’étais moi-même au pouvoir : qu’aurais-je ? Que ferais-je ? Ferais-je mieux ? »

Et, entre nous, qui souhaiterait aujourd’hui être à la place d’Edouard Philippe ?

5 commentaires:

  1. Difficile de faire vraiment la différence entre le "quoi" et le "comment". On peut délibérer ET décider des deux, me semble-t-il (à moins que le "quoi" ne se résume à "lutter ou ne pas lutter contre l'épidémie"). Même si on part du principe que l'objectif communément admis comme prioritaire, désormais, est de minimiser, à terme, le nombre de morts du coronavirus, il me semble a priori qu'il reste quand-même encore pas mal de "quoi" à discuter ET à trancher. Du coup, à l'occasion, j'aimerais bien que vous donniez des exemples de "quoi" et de "comment", pour qu'on comprenne mieux.

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  2. On sait qu'il faut des masques et des combinaisons pour les soignants ; mais comment les obtenir ? On sait qu'il faut des tests, mais comment les fabriquer, et quand les mettre en œuvre ?
    Après, au moment de la reddition des comptes, viendra le temps de comprendre : pourquoi pas assez de masques ? pourquoi pas assez de tests ? Etait-ce une impossibilité totale ou un manque d'anticipation avec des responsables ?

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  3. D'accord. Donc si je comprends bien, l'art d'anticipation de ce qu'il faut faire (le "quoi") ne relève pas seulement de la délibération/discussion collective, ça peut aussi relever de la décision personnelle, qui engage la responsabilité du décideur.

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  4. Oui, vu l'urgence, la délibération ne peut se faire dans les règles.

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  5. Mais la responsabilité est d'autant plus engagée

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