dimanche 22 novembre 2015

La philosophie politique de l’EI (2) : L’art politique de Daech

La philosophie politique de l’EI (2) : L’art politique de Daech
(version modifiée au 2/12/2015)
suite … 


Aspirant à détruire à la fois la tradition et la modernité, tout en rêvant d’un passé pur et en usant des moyens les plus modernes, l’idéologie de l’EI repose donc sur une gigantesque contradiction. Pour cette raison, l’EI ne peut pas gagner : c’est la bonne nouvelle. Mais la mauvaise, c’est que l’histoire nous apprend qu’une contradiction peut mettre très longtemps à se résoudre et faire, dans l’intervalle, énormément de dégâts. En fait, c’est tout le chemin de l’histoire qui est pavé de contradictions … 
Je souhaiterai donc poursuivre cette réflexion de philosophie politique, en passant de l’analyse de la théorie à celle de la pratique : quelle est la philosophie politique appliquée de Daech ? Quelles sont les règles de son art politique ?


Là encore, une fois l’émotion passée, il convient d’analyser la pratique non comme une dérive ou une exception, mais comme une méthode politique systématique, soigneusement conçue et rigoureusement établie. Il s’agit au fond de l’art politique totalitaire perfectionné et modernisé par le djihadisme. J’en perçois quatre dimensions principales qu’il faut un peu resituer dans l’histoire, car elles sont loin d’être toutes inédites.

1) La terreur comme politique

            Le 5 septembre 1793, l'avocat Bertrand Barère, membre du Comité de Salut Public (le gouvernement républicain) demande à la Convention nationale de prendre toutes les mesures pour sauver les acquis de la Révolution. L'assemblée met « la Terreur à l'ordre du jour ». Mais ce qui, au départ, est défendu comme un moyen de défense, devient peu à peu dans le discours révolutionnaire une fin en soi : il ne s’agit pas seulement de sauver la Révolution par la Terreur, mais de définir la Révolution comme Terreur. De cette manière, la Révolution cesse d’être un chemin pour devenir le but lui-même. Robespierre pour la nommer usait de cette formule géniale : « le despotisme de la liberté » ! … Et Saint Just : « Ce qui constitue la République, c’est la destruction totale de ce qui lui est opposé » (8 Ventôse an II) … Et Billaud-Varenne : « Il faut pour ainsi dire récréer le peuple qu’on veut rendre  à la liberté » (1er Floréal an II).
            A ce premier stade du terrorisme, pratiqué par un Etat, il faut ajouter un deuxième initié à partir des années 1880 chez les populistes puis les anarchistes russes. C’est cette fois-ci contre l’Etat que le terrorisme se conçoit par des groupuscules dont la puissance de nuisance est démultipliée du fait d’une innovation technologique majeure : la dynamite ! Avec peu de moyens matériels et humains, celle-ci permet de réaliser le maximum de dégâts. Ou plutôt, selon la définition de Raymond Aron, elle permet, sans atteindre en profondeur les forces armées de l’adversaire, de produire des effets psychologiques démesurés. Le terrorisme vise en effet à déstabiliser les esprits et à sidérer les volontés par une action dont l’impact matériel est dérisoire. Le terrorisme est l’arme non seulement du faible (comme la guérilla), mais du très faible …
            C’est cette double logique (étatiste et anarchiste), qui est à l’œuvre dans l’idéologie de l’EI, manifestement instruite aux meilleures sources de l’histoire occidentale. En témoigne, le contenu de l’opuscule attribué à Abu Bakr al-Naji intitulé « L’administration de la sauvagerie : l’étape la plus critique à franchir par l’Oumma » qui détaille la stratégie à mener pour la victoire.
Comme l’écrit Wladimir Glasman, « L'ouvrage soutient qu'en provoquant un déchaînement de violence dans les pays musulmans, les djihadistes contribueront à l'épuisement des structures étatiques et à l'instauration d'une situation de chaos ou de sauvagerie. Les populations perdront confiance en leurs gouvernants, qui, dépassés, ne sauront répondre à la violence que par une violence supérieure. Les djihadistes devront se saisir de la situation de chaos qu'ils auront provoquée et obtenir le soutien populaire en s'imposant comme la seule alternative. En rétablissant la sécurité, en remettant en route les services sociaux, en distribuant nourriture et médicaments, et en prenant en charge l'administration des territoires, ils géreront ce chaos, conformément à un schéma de construction étatique hobbesien. À mesure que les « territoires du chaos » s'étendront, les régions administrées par les djihadistes se multiplieront, formant le noyau de leur futur califat. Convaincues ou non, les populations accepteront cette gouvernance islamique » [L’État islamique, un État à part entière ? (2/3) [archive]]
            On doit  s’en convaincre : le terrorisme n’est pas un simple moyen, il est la fin même de l’EI. Et ceux qui disent qu’il ne faut pas provoquer les terroristes pour les « calmer » se trompent lourdement sur la nature de ce mouvement, dont l’idéologie est structurellement paranoïaque.

2) Le complot comme idéologie
C’est le deuxième instrument de l’art politique de l’EI : la rhétorique du complot. Comme pour les terroristes français, les fascistes et les staliniens, le « conspirationnisme » représente pour l’EI le moyen de créer une contre-culture djihadiste en se démarquant à la fois de l’Islam canal historique et de la modernité laïque. Son fonctionnement est limpide (voir ici P.-A. Taguieff et Laurent Bazin et PHT, Tous paranos, l’Aube, 2011) : 1) rien n’arrive par accident ; 2) tout ce qui arrive est le résultat d’intentions ou de volontés cachées ; 3) rien n’est tel qu’il paraît être ; 4) tout est lié mais de façon occulte.
Il y a d’abord dans cette méthode une vision du monde qui a l’avantage de la clarté et de la simplicité. Alors que l’époque contemporaine, dépourvue de « grand récit », semble incompréhensible pour tout un chacun (sauf à s’engager dans des études longues et se parer de nuances), la théorie du complot permet, avec peu de moyens [dans le conflit des idées : c’est aussi l’arme du faible], de donner sens à tout ce qui advient, même ce qui semble tout à fait anodin. La théorie du complot est une forme de dopage intellectuel, par lequel on augmente artificiellement ses capacités d’interprétation du monde pour parvenir au rêve de tout intellectuel : tout expliquer ! C’est aussi pour cela que la principale victime de cette « contre-culture » est l’adolescent ; celui qui, pour grandir, a besoin de s’arracher de la vision parentale  (ou officielle) du monde.
Derrière tous les événements, on voit la main d’un groupe (par exemple, « franc-maçon-judéo-américano-illuminati-… ») qui tire les ficelles et tisse sa toile dans le plus grand secret. « La plus belle des ruses du diable, écrivait Baudelaire (1869), est de vous persuader qu’il n’existe pas ». En effet, peu importent les preuves ou les évidences ! Si le complot est réel, il est puissant ; s’il est puissant, il est secret ; et s’il est secret, il n’est ni montrable ni démontrable. Donc, l’absence de preuves de complot atteste la réalité et la puissance du complot ! CQFD.
 A partir de là, le délire paranoïaque fonctionne à plein régime : toutes les objections émises par les adversaires, loin de réfuter, confirment la conspiration mondiale ; toutes les pseudo-« évidences » viennent accréditer la nécessité d’un combat à mort. Refuser le complot, c’est être soit naïf soit complice.
Ce par quoi cette « théorie » débouche rapidement sur une pratique : il faut éveiller les naïf et éliminer les complices. Fort de sa lucidité face aux masses abruties et serviles, l’adepte se convainc de sa supériorité, de son élection … et donc de l’importance de son engagement sacrificiel. Pour faire triompher le contre-monde, il doit détruire le monde.

           
3) La destruction comme horizon
            La modernité a inventé deux méthodes pour se libérer de la tradition : la table rase et le patrimoine. La première consiste à tenter d’éradiquer le passé en le boutant hors du présent. Peu importe que ce soit pour créer un avenir radieux (marxisme-lénino-stalinisme) ou retrouver un âge d’or mythique (fascisme et fondamentalisme), il s’agit toujours du même projet adolescent qui estime que l’émancipation passe par la destruction des racines (voir Maurice Barrès, Les déracinés). La seconde méthode est celle de la « patrimonialisation » qui consiste d’abord à « formoliser » le passé, pour le poser comme différent de soi (figé en musée), puis de se le réapproprier par l’analyse et la réflexion cultivées. L’Occident, après avoir goûté et initié la première méthode (« du passé faisons table rase ! »), s’est lancé à corps perdu dans la seconde. Celle-ci s’est ensuite diffusée dans le monde entier : musées, « heritage village », sites archéologiques, festivals des cultures indigènes… L’invention du tourisme culturel incarne parfaitement cette forme subtile de l’impérialisme moderne, car c’est en mettant la tradition au musée qu’on parvient à la neutraliser comme Tradition sans pour autant l’abolir.
            Dans son conflit contre l’Occident et sa défense d’une tradition pure, il est donc tout naturel que l’EI renoue avec la première pratique moderne (celle inventée par Savonarole, prolongée par la Révolution française et démultipliée par tous les régimes totalitaires) de la table rase. La démolition des sites païens, la destruction des statues du musée de Mossoul (février 2015), l’attaque du musée du Bardo de Tunis (mars 2015), la mise à sac de Palmyre (été 2015), ne peuvent s’interpréter autrement. Accessoirement, cette destruction peut fort bien s’accommoder d’un trafic intense des œuvres dérobées. N’oublions pas que la destruction de la sublime basilique de Cluny après la Révolution, s’est faite par la vente de ses pierres … Car détruire est coûteux !

4) Le sacrifice narcissique de soi comme mode de recrutement
L’individualisme contemporain est pris entre deux tentations qui sont pour lui comme Charybde et Scylla. La première est la plus connue. C’est celle du narcissisme : quand l’ego se gonfle au point d’oublier l’altérité, celle de l’entourage, du temps, de l’espace, du monde, de la mort, … Tout alors se ramène à soi dans un délire mégalomane et égocentrique. L’individu ne connaît plus de limites — transhumanisme ; toute puissance —, il ne se reconnaît plus de racines — self made man —, il aspire à ne se nourrir que de lui-même.
Mais, à l’opposé de cette première tentation et devant sa démesure, en survient une autre, tout aussi séduisante et sans doute tout aussi « démesurée » : celle du vide, du néant et de la soumission. L’individu dépressif, fatigué d’être lui-même (comme dit, Alain Ehrenberg), cherche à s’exténuer dans le rien, à s’effacer dans le neutre, à se dissiper dans le fade. Cet individu-là n’a pas de conviction (car tout est relatif), pas d’âge (car il faudrait « le faire »), pas de sexe (pardon ! … de genre), pas d’intérêt (pour ne pas risquer les « conflits » du même nom), pas d’identité (car elle est toujours trahison), …
« Entre l’amour de soi jusqu’à l’éviction du reste (narcissisme) et la volonté d’abolition de soi dans ses expressions les plus variées, entre l’absolu de l’être et l’être rien, peut-être n’aurons-nous jamais fini de balancer », écrivait déjà Marcel Gauchet, dans le Désenchantement du monde (1985).
Ces deux tentations du Tout et du Rien constituent, quand elles sont radicales, une véritable antinomie. Ce qui signifie aussi qu’en dépit de leur opposition elles ont un point commun : celui d’espérer dépasser la finitude humaine. La première dans le rêve de l’infini ; la seconde dans le fantasme de l’indéfini ; la première dans l’idéal d’un devenir-dieu ; la seconde dans la nostalgie d’un redevenir-fœtus (Cf. David Le Breton, Disparaître de soi, Métaillé, 2015). Oserai-je dire que Michel Houellebecq me semble aujourd’hui celui qui, avec le plus de profondeur et de constance, explore cette double tentation hypermoderne en même temps que leur possible convergence ? Car le désir fou d’une immortalité clonée et téléchargée dans La Tentation d’une île rejoint l’abandon assumé et réfléchi de l’exigeante autonomie dans Soumission.
L’extraordinaire génie maléfique de l’EI est de prétendre réconcilier ces deux tentations : ce qui, évidemment, est impossible ! Ce n’est pas pour rien que les cibles privilégiée de son recrutement sont les adolescents et jeunes adultes. Dounia Bouzar, présidente du CPDSI [Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’Islam] dans son livre impressionnant (Comment sortir de l’emprise djihadiste ? 2015) en démonte minutieusement le mécanisme.
« Le discours « djiahadiste » donne l’illusion au jeune endoctriné que son malaise (vis-à-vis de ses amis, de ses résultats scolaires, de la société …) provient du fait qu’il est élu par Dieu comme un être supérieur qui détient la Vérité et qui a plus de discernement que les « autres ». Le basculement dans l’embrigadement « djihadiste » correspond toujours à la rencontre entre un malaise, souvent passager (comme le ressent tout adolescent), et un discours qui prétend en dévoiler les causes. Les  « djiahadistes » transforment ainsi le sentiment de malaise en preuve de toute-puissance » (chap. 2).
Un désir de soumission joint à l’espoir de toute-puissance ; un narcissisme de la contrition ; le culte du selfie associé à la détestation des images ;  l’iconoclasme le plus radical combiné à l’esthétisme de Call of Duty, Matrix, le Seigneur des anneaux et Assassins’ Creed réunis, … Et l’on pourrait multiplier les oxymores à l’infini …
La mise au jour de cette mécanique permet d’expliquer l’âge cible, dont les données du CPDSI peuvent offrir une idée : « Le début du processus [d’embrigadement] a lieu fréquemment lors du passage à l’âge adulte : 30% sont des mineurs (de plus en plus jeunes), 39% sont des jeunes majeurs (18-21 ans) et 31% sont des majeurs de 21 à 28 ans. Aucun parent ne nous appelle pour des adultes de plus de 30 ans, ce qui ne signifie pas qu’ils n’existent pas ».
Elle permet aussi de tordre le cou (si je puis dire) à la thèse du « malaise social ». Voici ce qu’écrit Dounia Bouzar : Si le «  discours de l’islam radical touchait au départ les jeunes « sans pères ni repères », qui avaient grandi dans les foyers éducatifs, sans histoire familiale rassurante, sans appartenance territoriale, en échec scolaire, en manque d’amour, sans espoir social, victimes d’humiliations diverses … Avec le CPDSI, je découvris avec stupéfaction que les jeunes à qui nous avions affaire avaient grandi « avec une petite cuillère d’argent dans la bouche » … En effet, les parents qui appelaient étaient plutôt issus des classes moyennes et supérieures : des professeurs, des éducateurs, des artistes, des fonctionnaires, des avocats, des médecins, … Leurs enfants avaient grandi dans un milieu sécurisant et épanouissant ; ils étaient souvent en pleine réussite scolaire » [introduction] Aucune raison de cibler les « seuls désaffiliés sociaux » puisque toute l’emprise djihadiste vise à couper tous les liens : avec les amis, avec les loisirs, avec les parents, avec la culture, … avec soi.
            L’idéologie perverse de l’EI joue vise ce désir du « suicide narcissique » qui constitue une des fragilités de l’adolescence (il faut mourir pour devenir quelqu’un), et auquel répondait jadis le « rite d’initiation ». N’en tirons pas cette conclusion hâtive qu’il faudrait restaurer de tels rites (ou à défaut le service militaire) ! Ce serait tout à fait artificiel et d’ailleurs voué à l’échec. N’oublions pas que l’immense partie de la jeunesse européenne parvient à entrer dans l’âge adulte sans que devenir djihadiste … La modernité dispose de nombreuses voies et moyens pour franchir cette étape, mais dans leur diversité moins évidente et plus complexes elles laissent quelques individus sur le bord du chemin : destruction créatrice encore … 

La terreur comme politique, le complot comme idéologie, la destruction comme horizon, le sacrifice narcissique comme pouvoir de séduction : sous réserve d’inventaire nous avons là les quatre principaux instruments de l’art politique djihadiste. SI j’ai été plus long sur le dernier, c’est qu’il me semble (peut-être) le plus inédit. En tout cas, après la principes de philosophie politique, après les règles de l’art politique, il me reste à envisager les moyens de lutter : comment les démocraties peuvent-elles s’opposer sans se renier à cette puissance perverse de l’EI ?


(… à suivre)

vendredi 20 novembre 2015

La philosophie politique de l’EI (1)


Le titre pourra choquer : peut-on attribuer la dignité d’une pensée philosophique aux monstrueux auteurs des attentats du 7 janvier et du 13 novembre 2015 ? Sous l’effet de la sidération, on préférera les qualificatifs de fous furieux ou de barbares archaïques. Mais, une fois l’émotion passée, il faut mesurer sa double erreur : décidément ces fous sont bien rationnels et ces barbares bien au fait des technologies les plus avancées. En outre, comme nous avons par le passé trop souvent sous-estimé cet adversaire redoutable, tentons de comprendre l’idéologie qui l’anime. Si elle peut séduire tant de personnes y compris dans notre univers démocratique et au point de lui sacrifier leurs vies, il est urgent d’identifier les ressorts de son pouvoir d’attraction et, donc aussi, sa cohérence.

Je suivrai ici de près l’analyse de Marcel Gauchet (« Les ressorts du fondamentalisme islamique » Le Débat, 2015-3, pp. 63-81) qui me semble la plus éclairante, parce qu’elle situe cette forme particulière de fondamentalisme dans le temps long de l’histoire humaine, alors que nous restons un peu trop collés au fil de l’actualité.

1) La transition moderne

            Sociétés religieuses vs sociétés modernes
            Tout le mystère de l’’histoire humaine peut se lire comme celui d’une transition, longue et sinueuse, entre deux types de société : les sociétés religieuses et les sociétés modernes. Comment comprendre que de l’univers religieux des anciens ait pu naître notre univers laïque et démocratique ? Tout semble en effet opposer les sociétés traditionnelles  et les sociétés modernes : nous nous pensons individuellement et collectivement autonomes, maîtres et possesseurs de nos règles de vie et de nos lois, alors qu’elles s’affirmaient « hétéronomes », rejetant dans le passé ou le sacré la source ultime de toutes normes ; nous apprécions plus que tout le progrès et l’innovation, alors qu’elles les regardaient comme les péchés par excellence, leur préférant la pérennité de la coutume et la valeur du passé ; nous faisons spontanément de l’individu la valeur cardinale de nos sociétés, alors qu’elles n’accordaient d’existence à l’être humain que comme membre d’une collectivité (holisme) qui l’englobe et la dépasse à tous égards ; nous pensons les humains comme des égaux quel que soit leur sexe, leur âge, leur ethnie ou leur position sociale, tandis qu’elles envisageaient d’emblée une multitude de degrés dans un  continuum hiérarchique.
            Autonomie, progrès, individualisme, égalité contre hétéronomie, tradition, holisme, hiérarchie : l’opposition est totale. L’histoire de ce passage d’une société à son contraire est longue, sinueuse, marquée d’innombrables accélérations et régressions. Son point d’aboutissement (non nécessaire) est la démocratie capitaliste occidentale, qui suscite dans le monde un double mouvement d’attraction et de répulsion. Attraction pour son mode de vie prospère et pacifique ; répulsion pour la puissance destructrice qu’elle recèle à l’égard du « monde d’avant ».

            Destruction créatrice vs révolution conservatrice
            Cette histoire de la transition moderne est marquée par deux types de forces qu’on pourrait appeler tragiques. D’un côté, celles de la « destruction créatrice » propres au capitalisme, mais aussi à la démocratie ; de l’autre, celles de la « révolution conservatrice » propres aux adversaires de la transition.
         Exemples des premières : la destruction des solidarités traditionnelles oblige à créer des solidarités nouvelles (Etat providence) ; la fin des paysans contraint à inventer l’écologie ; …
            Exemples des secondes : le désir de Luther de revenir contre les dérives « modernistes » de l’Eglise de son temps au message pur et originel du christianisme ; mais ce faisant Luther invente et accélère la modernité en promouvant « l’esprit critique » contre l’autorité. Conservateur dans son projet, il se révèle révolutionnaire dans sa méthode. Même chose pour Hobbes qui, aspirant à refonder l’autorité politique légitime, contribue à sa démocratisation ; … 
            Destruction créatrice et révolution conservatrice, sont les deux tempos qui rythment la grande transition moderne depuis qu’elle est enclenchée.
            Mais au XXe siècle, tout s’accélère : la révolution industrielle achève de détruire l’ancestrale société paysanne (fondamentalement religieuse et traditionnelle dans son principe) sans que l’on puisse d’emblée percevoir le nouveau cadre de la « recréation ».  Ce sentiment de fin du monde entraîne une réaction terrible : celle du totalitarisme.

            Le totalitarisme
            Le mot, rappelons-le, est utilisé pour la première fois de manière positive par Mussolini en 1932 pour désigner l’Etat « totalitaire » qu’il appelle de ses vœux. Cet idéal se conçoit à partir de l’échec des démocraties libérales ou, plus exactement des « gouvernements représentatifs ». Que leur reproche-t-il ? Tout simplement de n’être ni des gouvernements ni représentatifs. Ce ne sont pas des gouvernements, car englués dans les crises parlementaires, ils apparaissent tout à fait impuissants ; et ils ne sont pas représentatifs, car leur pouvoir leur semble préempté par une caste bourgeoise égoïste et sectaire. C’est face à ce double échec que Mussolini forge l’idée d’un Etat totalitaire qui retrouverait le véritable sens de la communauté (holisme), la réalité du lien social (hiérarchie), une autorité incontestée (hétéronomie) et lutterait contre l’individualisme destructeur. Sans l’identifier lui-même, Mussolini aspire à la restauration d’une société religieuse ; mais, nourri de la philosophie moderne de l’histoire, il inscrit son projet dans le futur (révolution) plutôt que dans le passé en mobilisant pour y parvenir tous les instruments modernes (technologies, propagande, gestion des masses) en cherchant à les « retourner » contre la modernité qui les a produits.
            Le nazisme, tout comme le marxisme-léninisme et le stalinisme entrent pleinement dans le cadre de ce projet, même si c’est, à chaque fois, selon des modalités et des stratégies différentes. Cela justifie assez la validité (pourtant toujours contestée) du concept de totalitarisme. L’idée qu’ils sont des « religions séculières » (Aron) permet de rendre raison de leur structure contradictoire, mélange monstrueux d’Ancien et de Moderne ; d’hyper-traditionalisme et d’ultra-modernisme.
            A la place du contenu religieux, le totalitarisme a mis la science, soit l’autorité suprême de l’âge moderne. La lutte des races dans un cas, lutte des classes dans l’autre, permettent de rendre compte de la totalité du devenir historique, d’en prédire de manière certaine le cours et d’en déduire une politique vraie. Accessoirement, elle permet de considérer ses opposants comme de simples erreurs de raisonnement ou bugs du logiciel qu’il convient d’effacer froidement sans regrets ni scrupules : et même par devoir !
             
            Le Fondamentalisme
            Le totalitarisme est une maladie moderne intra-européenne. Le fondamentalisme, s’il émerge en Occident, se développe avec toute sa puissance dans l’espace non occidental. Celui qui subit de plein fouet les destructions causées par la modernité ; et ce, avec une ampleur et une rapidité, sans commune mesure avec l’histoire européenne. Le terme de fondamentalisme apparaît dans le contexte du protestantisme américain du début du XXe siècle. Il aspire à replacer à la religion au fondement de la société dans son ensemble. Pour ce faire, il conteste l’arme de la modernisation qui semble la plus incontestable : la science. C’est pourtant la plus massivement destructrice, puisqu’une fois qu’on y entre, elle oblige à renier la tradition, la création, la hiérarchie, la communauté … bref, l’ensemble de la société religieuse. Le mouvement « créationniste » américain trouve ses racines dans ce mouvement anti-scientifique.
            Mais cette contestation de la vision scientifique du monde n’empêche nullement d’user tous ses produits dérivés pour favoriser le projet d’un retour à la tradition encore plus pure et plus originelle que celle des églises officielles. Telle est la contradiction essentielle du fondamentalisme : il rejette la tradition qu’il prétend accomplir (quête d’une religion plus pure) ; et il adopte la modernité qu’il entend abolir (utilisation des armes modernes). Où l’on retrouve la structure : hypertraditionalisme et ultramodernisme.
            Mais l’esprit fondamentaliste se distingue de l’esprit totalitaire par son refus de la vision scientifique au profit de la religion. Alors que le totalitarisme tentait de rendre religieuse la politique ; le fondamentalisme (re)-politise la religion : il transforme la religion en idéologie.

2) Le fondamentalisme islamique

            Dans son article déjà cité, Marcel Gauchet éclaire de manière limpide le mécanisme de création et de diffusion du fondamentalisme musulman. Puisqu’on ne saurait mieux dire que lui, je me contente ici de résumer son analyse indispensable.

            Naissance
            C’est chez le penseur pakistanais Mawdudi (1903-1979), créateur de Jamaat-e-Islami, que l’on trouve les fondements du fondamentalisme musulman. Le contexte est celui des années 1930 et des luttes de décolonisation de l’empire des Indes. Face aux Britanniques, Mawdudi ne se contente pas de revendiquer la création d’un « Etat des musulmans », mais il appelle un « Etat islamique », formule dont il semble être l’inventeur.
            On trouve chez lui trois redéfinitions qui constituent les piliers du fondamentalisme : redéfinition de la religion, de la souveraineté et du djihad.
1) Pour Mawdudi, « l’Islam n’est pas une religion dans le sens communément admis de ce mot. C’est un système comprenant tous les aspects de la vie ».  La charia qui en constitue le cœur embrasse l’organisation collective dans son ensemble. Elle définit aussi bien « les relations familiales, les affaires sociales et économiques, l’administration, les droits et les devoirs des citoyens, le système judiciaire, les lois de la guerre et de la paix et les relations internationales ». Bref, elle détermine un ordre social « où rien n’est superflu et où rien ne manque ».
2) En matière politique, Mawdudi prône une « théodémocratie », récusant la version occidentale de la démocratie qui transfère indûment la souveraineté qui n’appartient qu’à Dieu au peuple, mais reconnaissant à ce dernier le choix de ses dirigeants.
            3) Il théorise le djihad dans une perspective radicalement universaliste, dont l’horizon est le califat conçu comme Etat islamique mondial — « L’islam revendique toute la terre et non une petite partie ».
            Ces trois idées feront leur chemin tant chez les Frères musulmans d’Egypte qu’au sein du clergé de l’Iran chiite.
            J’ajoute un point biographique : né en Inde, Mawdudi meurt aux Etats-Unis en 1979 dans l’Etat de New York. Il était venu y soigner une maladie rénale près de son fils médecin … L’Occident est honni mais certains de ses progrès sont appréciés !

            Ce premier germe du fondamentalisme musulman, suivi de quelques autres, reste assez marginal jusque dans les années 1970. Dans le monde arabe, la révolte contre les impérialismes prend jusqu’alors une forme socialiste et non encore islamiste. Le « socialisme arabe », celui par exemple du parti Baas, d’Irak et de Syrie, est laïc, scientifique, révolutionnaire, progressiste. Il utilise, pour aller vite, le langage « totalitaire » européen sans adopter encore sa voie propre.

            Conditions de diffusion
            Ce sont trois facteurs principaux qui vont contribuer à la montée en puissance du fondamentalisme musulman.
            a) Il y a d’abord un profond sentiment d’humiliation. Alors que l’Islam se considère comme « le dernier mot » de Dieu, comme le monothéisme ultime, donc « le plus vrai », comme le « sceau de la prophétie », elle se voit géopolitiquement soumise, historiquement dominée, spirituellement défaite. Cette anomalie produit un ressentiment puissant, source d’une énergie à utiliser.
            b) D’autant que l’Islam a toujours l’esprit l’épopée de sa fondation et de sa diffusion extraordinairement rapide. Cet « esprit de conquête », héritée des origines, donne à son universalisme (trait obligé de tout monothéisme, puisqu’un seul Dieu règne) sa dimension spécifique. En dépit de la division et de la soumission accidentelles, l’empire unifié reste l’horizon.
            c) Cette perspective est nourrie par un troisième trait caractéristique : la surenchère littéraliste. Sans doute, toutes les religions du livre sont-elles confrontées au mystère du message divin mis en mot. Mais, alors que le judaïsme et le christianisme intègrent le moment herméneutique comme un moment nécessaire de leur doctrine : pour eux, si l’esprit est divin, les mots sont humains, et ces humains sont plus ou moins inspirés (tables de la loi, prophètes, témoins évangélistes) ; l’islam tend à délégitimer toute espèce d’interprétation au nom d’une lettre elle-même considérée comme de part en part divine. C’est Dieu lui-même qui a dicté son message à un prophète jusqu’alors analphabète. Une telle lecture, qui méconnaît tout ce qu’on sait de l’établissement laborieux et tardif du texte coranique et toutes les querelles internes à l’Islam, conduit à ce qu’on pourrait appeler une « ontologie textuelle », soit : l’idée que seul le Coran est réel ; que le Coran est plus réel que le réel. Le salafisme, héritier du wahabisme, représente une telle dérive littéraliste. En un premier sens, il peut être tout à fait inoffensif et déboucher sur une pratique religieuse focalisée sur la lecture du Coran et l’observance stricte de ses commandements (puisque le texte est la seule réalité qui vaille) ; mais, en un second sens, il peut aussi se scandaliser de voir que la réalité colle si peu au texte et en conclure qu’il convient de la forcer à changer ! La démarche est là beaucoup moins inoffensive, on s’en doute. Mais ce qui importe c’est que rien dans la première tendance ne peut venir freiner la seconde. Ce pourquoi, d’ailleurs, les salafistes quiétistes se contentent aujourd’hui, face aux attentats et aux crimes, de dire « c’est pas nous ! » sans trouver aucune bonne raison d’affronter ces autres « eux-mêmes » devenus activistes.
            Sentiment d’humiliation, esprit de conquête, rigorisme littéraliste : ces trois ferments vont arriver à maturation au moment même où l’idéologie totalitaire épuise ses derniers feux.

            1979
            Marcel Gauchet pointe, avec raison, l’année 1979 comme le basculement spectaculaire de l’esprit totalitaire à l’esprit fondamentaliste dans un contexte de triomphe de la modernité. 1979, c’est la révolution islamique d’Iran qui installe pour la première fois le fondamentalisme musulman au pouvoir. Cela se passe dans l’espace chiite qui, du fait de son clergé, facilite les prises d’autorité. Mais cela se passe aussi dans l’univers persan, au nom d’une identité nationale qui soutient très efficacement la « révolution conservatrice ». 1979, c’est aussi la sortie de la Chine de l’ère maoiste. Deng Xiaoping reconnaît que le marxisme-léninisme ne marche pas pour conduire un pays sur le chemin du progrès : le capitalisme est plus efficace. 1979, c’est enfin l’invasion soviétique de l’Afghanistan et la montée en puissance de la résistance au nom de l’Islam sunnite à l’impérialisme devenu soviétique. Elle marque l’invention du djihadisme contemporain.
            Ces trois événements révèlent a posteriori un passage de témoin. Dans un contexte où la démocratie libérale et capitaliste se fait de plus en plus triomphante (mondialisation marchande) se dessine discrètement la montée en puissance d’une nouvelle forme redoutable de contestation de la modernité et de l’Occident.
            Sans doute, ne faut-il pas trop exagérer. L’exemple iranien montre que si la révolution est belle, elle ne produit pas toujours les effets souhaités. Aujourd’hui 36 ans après l’instauration de la république d’Iran, force est de constater qu’il n’y a pas eu de restauration d’une société religieuse au sens strict du terme. Bien au contraire, contre l’intention de ses chefs, l’Iran est entré dans la modernité et va y entrer toujours plus rapidement. La révolution conservatrice alimente là encore la destruction créatrice … 
            Mais si l’on peut être raisonnablement optimiste sur l’Iran, il n’en va pas de même l’islam sunnite.

            La seconde guerre du golfe
            La seconde guerre du golfe (2003) fait éclater l’équilibre de la terreur que Saddam Hussein faisait régner dans son propre pays entre les ethnies (musulmans-kurdes), entre les islams (sunnites-chiites), entre les tribus.
            L’effondrement du pouvoir sunnite face à l’esprit de revanche chiite entraîne des alliances qui semblent contre-nature : les anciens dignitaires du parti Baas (résurrection arabe et socialiste), spécialistes du terrorisme d’Etat s’allient avec les terroristes anarchistes de la branche irakienne d’Al Qaïda, fondée par le jordanien Abou Moussab Al-Zarkaoui. En vérité, rien n’est moins surprenant : l’esprit totalitaire et l’esprit fondamentaliste, animés par la même haine fascinée de la modernité, se retrouvent sur l’essentiel : leurs ennemis et  leur contradiction matricielle. Le cocktail est d’une efficacité redoutable : le 13 octobre 2006, l’union de plusieurs groupes djihadistes annoncent la création de l’Etat islamique d’Irak (EII) ; le 29 juin 2014, dans la foulée de prise de Mossoul en Irak : Abou Bakr Al-Baghdadi s’autoproclame chef de l’Etat Islamique en Iral et au Levant (EIIL) en se référant aux califat ottoman (1517-1924), abbasside (750-1258) et ommeyade (661-750).



(à suivre …)

lundi 16 novembre 2015

Et maintenant : que faire ?

Après le 7 janvier, on aspirait à l’unité : ce fut le 11 janvier — un symbole.
Après le 13 novembre, il faut réfléchir à l’efficacité, avec lucidité et sang froid.

Que faire donc ?
Trois choses pour l’essentiel

1) Première chose : la sécurité ! On parle de guerre ; et sans doute, en effet, une guerre nous a été déclarée et nous menons des actions de guerre. Mais sommes-nous pour autant en guerre ?  Au sens rigoureux une guerre suppose de mobiliser toutes les forces vives de la nation : humaines, matérielles et spirituelles. Or nous n’en sommes pas là. C’est d’ailleurs tout le problème actuel : comment parvenir à dramatiser durablement l’événement alors même que nous allons continuer à vivre comme tous les jours ? … Avant que, à nouveau, dans une semaine, trois semaines, trois mois … le terrorisme frappe une nouvelle fois. Entre la tendance naturelle à la quiétude qui est le propre des sociétés démocratiques et la présence de cette menace grave, mais ponctuelle : comment trancher ? Et surtout comment faire durer le sentiment de cette menace alors même que tout reprendra comme avant : nos petites querelles, nos petits soucis, notre insouciance … ? Qui nous mettent à la merci de nos ennemis.
Il y a tout de même un point sur lequel on peut agir et, en un sens, changer : alors qu’on demande aux forces de l’ordre d’assurer toujours davantage notre protection ; on n’entend pas assez parler sur les devoirs des citoyens de s’en charger aussi. Il faut donc que notre société civile s’éduque à la protection civile, qu’elle participe à sa propre sécurité : le bon réflexe, l’alerte juste, le sang froid, le sens civique, l’attention aux autres dans le quotidien, le souci des biens communs  … Que de choses à réapprendre qui ont été délaissées ! Israël nous donne l’exemple d’une démocratie sous menace qui se défend sans se renier. Et à ceux que cette phrase choquerait, je dis : laissons-là toute polémique pro et contra Israël pour ne tirer que ses leçons pratiques sur ce point. Et sachons distinguer vigilance et paranoïa ; signalement et délation ; défiance et hystérie. Les premiers sont aujourd’hui devenus indispensables ; le secondes pourront être neutralisées si nous nous souvenons que l’histoire peut être tragique. Nous l’avions tellement oublié que nous semblons là tout à fait démunis.

2) Deuxième chose : le débat ! Il va revenir, il est déjà revenu, car notre démocratie est bavarde (par essence) et chacun veut placer son (bon) mot, comme je le fais moi-même en ce moment. Il y aura — et il y a déjà — des excommunions, des anathèmes, des prophéties dans notre espace public pourtant réputé laïc … Chacun trouve dans le point de vue adverse des bons motifs d’indignation, d’exclusion, et de renforcement de soi et de son clan. Depuis les contempteurs de l’amalgame et de la stigmatisation jusqu'aux antimusulmans affichés, il y a tout une gamme plus ou moins cohérente de positions. Soyons plus zen à l’égard de ces débats, mais ne cherchons pas à les empêcher. L’unité nationale ne saurait exister dans le débat public sauf si celui-ci s’arrête. Il faut juste veiller à ce que la ligne rouge du « défaitisme » ne soit pas franchie : non la France n’est pas coupable des malheurs qui lui arrivent. Non les attentats ne sont pas la simple conséquence d’une intégration qui a échoué, de l’impérialisme colonial, du défaut de multiculturalisme. Non la France n'est pas son pire ennemi ! Il va falloir que la France s’aime un peu, si elle veut se défendre. Il va aussi falloir qu’elle sache qui elle est. Comme le dit l’adage : « La dictature, c’est ferme ta gueule ; la démocratie, c’est cause toujours ». C’est très bien de causer toujours, mais veillons juste que ces causeries n’entravent pas l’action ; ni ne donnent l’illusion d’agir … 

3) Troisième point : l’international. A l’évidence, Daech ne peut pas gagner, car c’est un monstre ; non pas seulement au sens moral, mais au sens biologique et idéologique. Il s’agit d’un mélange — non viable — de cette hypermodernité (celle du marketing, du business, des techniques de com, de l’individualisme… ) qu’il ne cesse de dénoncer par ailleurs et d’une religion traditionnelle dont il détruit tous les principes et tous les éléments. Comme tout système totalitaire, Daech est une idéologie qui mêle les pires aspects de la modernité et de la tradition. Mais si son effondrement est inéluctable, l’histoire nous apprend aussi que sa durée de vie et sa capacité de nuisance peuvent être grandes et terribles. D’où la nécessité de trouver des alliés sur le long terme pour lutter durablement. Ce ne devrait pas être trop difficile puisque je ne vois aucun Etat qui soutienne Daech et même aucun Etat qui ne soit pas son ennemi. L’infléchissement de nos alliances est plus qu'une nécessité, c'est une évidence : la Russie et même l’Iran doivent être nos coalisés. Bien sûr, nous devons le faire avec prudence et sans naïveté. Pour la Russie, en dépit de quelques réserves qui relèvent seulement de divergences d’intérêts géopolitiques, mais certainement pas de considérations morales, cela aurait dû être fait depuis longtemps : car c'est un acteur pleinement rationnel, doté d'une vision géopolitique limpide. Pour l’Iran, c’est sans doute plus complexe, mais tout aussi nécessaire.


Voilà donc ce que nous avons à faire : 1) intégrer le risque terroriste dans notre vie quotidienne ; 2) débattre sans nous affaiblir ; 3) renouer avec une vision non moralisatrice des relations internationales, car, en ce domaine la morale est un luxe qui n’est permis qu’en temps de paix.