Sentiment mitigé après la rencontre avec Emmanuel Macron d’hier
soir (18/03/2019) à l’Elysée. La forme était prévisiblement propre à la fustration : 64
intellectuels, savants, réputés, tous libres et « ego » en droit. On n’allait clairement
pas tous pouvoir parler ! Quand je suis parti, à minuit, il restait plus d’une
vingtaine d’intervenants potentiels toujours bien installés dans leurs starting
block … Mais l’état du monde et de ses environs avait été déjà bien évoqué.
Et je n’ai pas regretté de n’avoir pas été sollicité pour placer mon mot et
faire mon numéro (qui aurait pourtant été très bon, j’vous jure !). Car beaucoup
d’interventions furent intéressantes : celle de Pascal Bruckner sur l’ère
généralisée de l’indignation, dégénérant parfois en une violence totalement délirante,
devant laquelle l’Etat et le public semblent tétanisés ; celle de
Dominique Schnapper sur la laïcité républicaine ; de Perrine Simon-Nahum
sur le citoyen acteur de l’histoire ; de Yan Algan, qui a coupé l’herbe
sous les pieds des autres économistes en évoquant avec profondeur la question
du lien, de la solitude propre à la société des individus ; de Jean Viard,
qui a renchérit sur le même sujet, tout en plaidant pour la préservation des
terres agricoles sur le grignotage de l’horrible péri-urbain tendance « zone d’activité
» ; de Julien Damon qui a parlé drôlement de la « Giletjaunologie » tout
en rappelant les exigences minimales du réel (Budget, endettement, …) ; de
René Frydman sur les mutations globales de la procréation ; de Boris Cyrulnik
sur l’état alarmant de la psychiatrie en France ; celles des scientifiques
(Haroche, … ) parlant avec un enthousiasme communicatif des découvertes en
biologie et en physique, et de leur préoccupation sur la confusion actuelle
entre savoirs, croyances et opinions ; celle de Benjamin Stora sur l’Algérie
… Les réponses du président furent précises, courtoises, compétentes,
parfois fermes sur des options qu’il n’hésitait pas à fermer (comme le RU au nom de la valeur travail ; comme la fiscalisation des droits de succession, …).
Simplement cette profusion de sujets et cette configuration choisie
du « débat » laisse un sentiment étrange.
1) Uniquement organisé entre les intellos,
d’une part, et le président, de l’autre (et non entre les intellos eux-mêmes),
l’échange fut une pure et simple juxtaposition de points de vue et non un
échange d’argumentations. Le sujet sur la laïcité en fut l’illustration :
les républicains et les multiculturalistes se sont succédés, rendant l’exercice
de synthèse par le Président aussi aisé que … flou. Non pas sur le
principe (on ne touche pas à la loi de 1905 a-t-il dit), mais sur le champ d’application
(qui fera la distinction entre le cultuel et culturel ; comment sera
organisé le financement, … ?). Son éloge de la démocratie délibérative m’a
laissé sur ma faim : est-ce un instrument d’art politique (dans le cadre d’une
démocratie exécutive) ou une évolution institutionnelle de la démocratie
représentative ?
2) L’autre déception, c’est que Macron est clair
sur tout sauf sur ses priorités. Il donne constamment le sentiment de vouloir
tout faire (« en même temps »), sans présenter de hiérarchisation des
objectifs. Certes, il y a une logique organique et systémique de la Réforme,
mais les moyens pour la réaliser demandent à être sériés. Clair sur tout, il
est confus sur l’ensemble, puisque tout est « prioritaire », très « important
», voire « capital ».
En l’écoutant je pensais aux objectifs que Richelieu s’était
engagé à défendre devant son roi Louis XIII. « Je lui promis d’employer toute
mon industrie et toute l’autorité qu’il lui plaisait de me donner pour ruiner
le parti huguenot, rabaisser l’orgueil des grands, réduire tous ses sujets dans
leurs devoirs et relever son nom dans les nations étrangères au point où il
devait être ». La politique d’aujourd’hui ne peut sans doute plus se réduire à des
objectifs aussi simplement explicites, mais l’ordre des priorités demeure
essentiel. Cette clarté d’ensemble fait défaut.
Je me demande à quoi pourrait ressembler un véritable 'grand débat", une véritable "grande délibération", c'est à dire un échange d'arguments permettant de parvenir à la moins mauvaise décision, qui serait prise in fine, en cohérence avec le débat, par le dirigeant.
RépondreSupprimerCe qui a été organisé, cette "grande consultation", c'est en fait une série d'"exercices" (c'est bien comme ça que les journalistes les appellent) qui consistaient à recueillir des opinions (parfois brutes, parfois étayées) de citoyens dont la légitimité allait de celle de "simple votant potentiel" à celle de représentant ou d'expert, et à y faire parfois correspondre, en "réponse", en "miroir", un petit discours du président sur le même thème.
Ces différents "exercices' me semblent avoir été très réussis. En tout cas, à moi qui suis plutôt "bon public", ça m'a plu, en tant que spectacle (même si, hier soir, j'ai regretté que la mise en scène ait sacrifié votre tirade).
Mais ça n'a rien à voir avec une délibération, qui, comme vous le dites, nécessiterait pour le moins un échange "horizontal" entre les participants.
Quant à la hiérarchisation des objectifs, je crois que ça reste, fondamentalement, un "exercice" solitaire. Le dirigeant ne peut pas (plus ?) hiérarchiser sur la place publique, sous peine de se faire lyncher. Faut-il en déduire qu'il ne hiérarchise pas du tout, ou bien le fait-il en très petit comité, au mépris total de cette transparence que vous êtes vous-même loin d'exiger absolument ?