A propos de l’opération Phénix
Contribution aux Assises de la Recherche et de l'enseignement supérieur
proposée par
Pierre-Henri
Tavoillot
&
Bernard
Deforge
Professeur
émérite de langue et littérature grecques antiques, ancien directeur de l'UFR
des Sciences de l'Homme de l'Université de Caen
- Associé du cabinet
international PricewaterhouseCoopers
-
Coordinateur de l'opération Phénix.
La question de l’insertion professionnelle n’a pas cessé de
faire débat au sein des Universités de Lettres et Sciences Humaines. Ce débat
se structure autour de deux positions fortement antagonistes : certains
prétendent réduire la formation
universitaire à l’apprentissage d’un métier ; tandis que d’autres entendent
exclure la professionnalisation des
missions académiques propres aux universités « humanistes ». Chacune de ces
deux positions présente de solides arguments et de fortes convictions, mais on
peut se demander aujourd’hui si cette opposition n’est pas factice voire
largement « surjouée » et si l’antagonisme entre (la production et la diffusion
des) Savoirs et (la préparation aux) Métiers
a un sens. Il y a au moins trois raisons d’en douter.
• D’abord, aucune Université ne se désintéresse du
devenir professionnel des étudiants, puisque toutes forment avec succès non
seulement des maîtres, des professeurs et des chercheurs, mais aussi des
prétendants à une grande diversité de métiers du public comme du privé
(notamment grâce aux masters dits « professionnels »). Cette mission
d’insertion professionnelle n’est donc pas une nouveauté, et on pourrait même
remonter aux origines médiévales des enseignements d’Humanités pour en
retrouver la trace tangible.
• Mais, deuxièmement, cette mission d’insertion
s’ancre dans une conception forte qui la distingue des formations directement professionnalisantes du type
BTS, IUT, écoles de commerce ou d’ingénieur, cursus universitaire en médecine
ou en droit …). Nous sommes convaincus, en effet, que pour entrer dans un
métier, quel qu’il soit, l’étudiant doit d’abord consolider son socle de
culture générale et développer aussi des éléments d’un savoir spécialisé. Dans
un monde changeant et incertain, où les compétences techniques et
professionnelles se dévaluent rapidement, ce socle est la meilleure garantie
qui soit pour maîtriser avec le maximum de liberté le cours de sa carrière. Les
« arts libéraux » et les « humanités », même redéfinis, même «
modernisés », méritent aujourd’hui plus que jamais leur beau nom d’arts et de
savoirs qui rendent l’individu plus libre.
• D’où une troisième raison : si la mission
d’insertion professionnelle n’est pas à concevoir, parmi les missions
académiques, sous le mode de la réduction
ou de l’exclusion, c’est parce
qu’elle relève d’un complément nécessaire.
Elle vient s’ajouter comme une mission, voire comme un devoir supplémentaire,
qui nous incombe. La question devient alors : comment notre université
peut-elle apporter à nos étudiants tout au long de leur formation les jalons,
les instruments et les atouts d’une insertion professionnelle réussie dans
des domaines aussi variés que possible ? Cette question est d’autant plus
cruciale pour nous que, dans une époque où la situation de l’emploi angoisse
les jeunes et leurs familles, bien des étudiants se détournent de leurs
passions des humanités au profit d’études dont le devenir professionnel paraît
plus assuré. Il nous faut répondre à cette inquiétude légitime par des
dispositifs clairs, coordonnés et efficaces.
Ils pourraient s’organiser sous quatre titres :
information, accompagnement, préparation, placement
1) L’information
est capitale. Elle doit accompagner l’étudiant tout au long de son cursus afin
de lui montrer l’éventail concret des possibles professionnels qui s’offrent à
lui. Elle doit commencer dès la première année de licence pour à la fois
rassurer l’étudiant et lui permettre de construire son parcours d’étude et de
fonder le choix de ses options. Les « modules de préparation du projet
professionnel » intégrés aux maquettes de Licence sont les lieux adéquats
de cette information personnalisée, soutenue par les services compétents des
universités.
2) L’accompagnement
vise à donner à l’étudiant les compétences requises pour passer du désir à la
réalisation : élaboration de CV, rédaction de lettres de motivation,
entraînement à l’entretien d’embauche, stages, entraînement aux concours
… il y a là toute une palette d’actions qui demandent à être davantage
mises en cohérence et en valeur au sein de la plupart des établissements.
3) La préparation
commence lorsque l’étudiant a fait son choix. Il s’engage alors dans une formation à visée professionnelle.
Celle-ci peut se faire en plus de son cursus principal (par exemple sous la forme
d’un D.U.) ou comme cursus principal (formation des maîtres, CELSA, master dits
« professionnels »). L’offre de ces formations d’excellence demanderait à être
davantage présentée et valorisée à l’intérieur comme à l’extérieur de
l’université.
4) Il y a enfin, le
placement, c’est-à-dire l’idée d’un passage direct des études à l’emploi.
Le point est délicat, car il met en rapport deux mondes qui souvent se
connaissent mal, deux logiques qui parfois divergent. C’est ce dernier point
que cette contribution entend privilégier à partir de l’expérience acquise
durant les six années de l’opération « Phénix ».
Le succès de
l’opération « Phénix »[1] a permis
de poser des jalons dans cette perspective. En effet, depuis 2007, une
vingtaine de grandes entreprises se sont engagées à recruter en CDI à un haut
niveau de rémunération des étudiants issus des Master II « recherche » en
Lettres et Sciences Humaines. Ce dispositif a concerné plus de 170 étudiants
qui sont désormais en poste. Depuis 2011, la première année de leur contrat est
conçue sur le mode d’une formation en alternance qui débouche sur un diplôme de
Master « métiers de l’entreprise » (Master 2) délivré par l’Université Paris-Sorbonne[2].
Cette opération possède au moins trois vertus :
• Elle offre un horizon tangible aux étudiants, qui
les encourage à poursuivre des études de LSH réputées « décalées »
professionnellement.
• Pour les universités, elle permet de mettre en place
des procédures d’accompagnement du projet professionnel — aide à la
candidature (CV, lettre de motivation… ), entraînement à l’entretien
d’embauche, assistance à la signature du contrat professionnel, … — qui
sont conçues dans un parcours réel
d’embauche.
• Pour les entreprises, elle constitue le moyen de
mieux connaître et reconnaître des formations qui leur paraissent souvent
obscures ou peu lisibles ; elle permet également de valoriser l’excellence
des formations (capacité de rédaction, de synthèse, de recherche et de
traitement d’informations complexes, d’argumentation, culture générale, …)
D’une façon générale, elle permet de combler peu à peu
l’abîme qui sépare trop souvent l’université du monde de l’entreprise. Elle
instaure ainsi un cercle vertueux qu’il est impératif de continuer à soutenir
fermement.
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