vendredi 30 novembre 2012

L’insertion professionnelle des étudiants de Lettres et Sciences humaines



A propos de l’opération Phénix

Contribution aux Assises de la Recherche et de l'enseignement supérieur 
proposée par
Pierre-Henri Tavoillot
&
Bernard Deforge
Professeur émérite de langue et littérature grecques antiques, ancien directeur de l'UFR des Sciences de l'Homme de l'Université de Caen
- Associé du cabinet international PricewaterhouseCoopers
- Coordinateur de l'opération Phénix.


La question de l’insertion professionnelle n’a pas cessé de faire débat au sein des Universités de Lettres et Sciences Humaines. Ce débat se structure autour de deux positions fortement antagonistes : certains prétendent réduire la formation universitaire à l’apprentissage d’un métier ; tandis que d’autres entendent exclure la professionnalisation des missions académiques propres aux universités « humanistes ». Chacune de ces deux positions présente de solides arguments et de fortes convictions, mais on peut se demander aujourd’hui si cette opposition n’est pas factice voire largement « surjouée » et si l’antagonisme entre (la production et la diffusion des) Savoirs et (la préparation aux) Métiers a un sens. Il y a au moins trois raisons d’en douter.
• D’abord, aucune Université ne se désintéresse du devenir professionnel des étudiants, puisque toutes forment avec succès non seulement des maîtres, des professeurs et des chercheurs, mais aussi des prétendants à une grande diversité de métiers du public comme du privé (notamment grâce aux masters dits « professionnels »). Cette mission d’insertion professionnelle n’est donc pas une nouveauté, et on pourrait même remonter aux origines médiévales des enseignements d’Humanités pour en retrouver la trace tangible.
• Mais, deuxièmement, cette mission d’insertion s’ancre dans une conception forte qui la distingue des formations directement professionnalisantes du type BTS, IUT, écoles de commerce ou d’ingénieur, cursus universitaire en médecine ou en droit …). Nous sommes convaincus, en effet, que pour entrer dans un métier, quel qu’il soit, l’étudiant doit d’abord consolider son socle de culture générale et développer aussi des éléments d’un savoir spécialisé. Dans un monde changeant et incertain, où les compétences techniques et professionnelles se dévaluent rapidement, ce socle est la meilleure garantie qui soit pour maîtriser avec le maximum de liberté le cours de sa carrière. Les « arts libéraux » et les « humanités », même redéfinis, même « modernisés », méritent aujourd’hui plus que jamais leur beau nom d’arts et de savoirs qui rendent l’individu plus libre.
• D’où une troisième raison : si la mission d’insertion professionnelle n’est pas à concevoir, parmi les missions académiques, sous le mode de la réduction ou de l’exclusion, c’est parce qu’elle relève d’un complément nécessaire. Elle vient s’ajouter comme une mission, voire comme un devoir supplémentaire, qui nous incombe. La question devient alors : comment notre université peut-elle apporter à nos étudiants tout au long de leur formation les jalons, les instruments et les atouts d’une insertion professionnelle réussie dans des domaines aussi variés que possible ? Cette question est d’autant plus cruciale pour nous que, dans une époque où la situation de l’emploi angoisse les jeunes et leurs familles, bien des étudiants se détournent de leurs passions des humanités au profit d’études dont le devenir professionnel paraît plus assuré. Il nous faut répondre à cette inquiétude légitime par des dispositifs clairs, coordonnés et efficaces.
Ils pourraient s’organiser sous quatre titres : information, accompagnement, préparation, placement
1) L’information est capitale. Elle doit accompagner l’étudiant tout au long de son cursus afin de lui montrer l’éventail concret des possibles professionnels qui s’offrent à lui. Elle doit commencer dès la première année de licence pour à la fois rassurer l’étudiant et lui permettre de construire son parcours d’étude et de fonder le choix de ses options. Les « modules de préparation du projet professionnel » intégrés aux maquettes de Licence sont les lieux adéquats de cette information personnalisée, soutenue par les services compétents des universités.
2) L’accompagnement vise à donner à l’étudiant les compétences requises pour passer du désir à la réalisation : élaboration de CV, rédaction de lettres de motivation, entraînement à l’entretien d’embauche, stages, entraînement aux concours … il y a là toute une palette d’actions qui demandent à être davantage mises en cohérence et en valeur au sein de la plupart des établissements.
3) La préparation commence lorsque l’étudiant a fait son choix. Il s’engage alors  dans une formation à visée professionnelle. Celle-ci peut se faire en plus de son cursus principal (par exemple sous la forme d’un D.U.) ou comme cursus principal (formation des maîtres, CELSA, master dits « professionnels »). L’offre de ces formations d’excellence demanderait à être davantage présentée et valorisée à l’intérieur comme à l’extérieur de l’université.
4) Il y a enfin, le placement, c’est-à-dire l’idée d’un passage direct des études à l’emploi. Le point est délicat, car il met en rapport deux mondes qui souvent se connaissent mal, deux logiques qui parfois divergent. C’est ce dernier point que cette contribution entend privilégier à partir de l’expérience acquise durant les six années de l’opération « Phénix ».


Le succès de l’opération « Phénix »[1] a permis de poser des jalons dans cette perspective. En effet, depuis 2007, une vingtaine de grandes entreprises se sont engagées à recruter en CDI à un haut niveau de rémunération des étudiants issus des Master II « recherche » en Lettres et Sciences Humaines. Ce dispositif a concerné plus de 170 étudiants qui sont désormais en poste. Depuis 2011, la première année de leur contrat est conçue sur le mode d’une formation en alternance qui débouche sur un diplôme de Master « métiers de l’entreprise » (Master 2) délivré par l’Université Paris-Sorbonne[2].
Cette opération possède au moins trois vertus :
• Elle offre un horizon tangible aux étudiants, qui les encourage à poursuivre des études de LSH réputées « décalées » professionnellement.
• Pour les universités, elle permet de mettre en place des procédures d’accompagnement du projet professionnel — aide à la candidature (CV, lettre de motivation… ), entraînement à l’entretien d’embauche, assistance à la signature du contrat professionnel, … — qui sont conçues dans un parcours réel d’embauche.
• Pour les entreprises, elle constitue le moyen de mieux connaître et reconnaître des formations qui leur paraissent souvent obscures ou peu lisibles ; elle permet également de valoriser l’excellence des formations (capacité de rédaction, de synthèse, de recherche et de traitement d’informations complexes, d’argumentation, culture générale, …)
D’une façon générale, elle permet de combler peu à peu l’abîme qui sépare trop souvent l’université du monde de l’entreprise. Elle instaure ainsi un cercle vertueux qu’il est impératif de continuer à soutenir fermement.

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