samedi 30 janvier 2016

Les deux laïcités

Il y a deux laïcités.
• Une laïcité libérale qui se contente d’assurer la coexistence pacifique des croyances et des non croyances dans un espace public et commun. Elle ne propose aucun contenu, mais seulement un cadre de vie et de tolérance. C’est une laïcité neutre et désengagée.
• Il y a une laïcité anticléricale qui entend éradiquer le religieux comme lieu d’oppression et d’humiliation de la personne au groupe, au passé, aux dogmes. Elle n’est pas neutre, puisqu’elle considère que la vie religieuse est une vie faite d’illusion, de domination et d’erreur ; mais elle n’est pas forcément antireligieuse, pour peu que la religion renonce à être dogmatique (ce qui est, convenons-en, rude pour celle-ci, mais loin d’être impossible).

Je suis intellectuellement et politiquement davantage porté à la première — qui correspond d’ailleurs à l’esprit de la loi de 1905 — qu’à la seconde laïcité. Mais comment ne pas voir qu’une grave objection se présente aujourd’hui à celle-là ? La laïcité libérale est en effet utilisée par les adversaires de la laïcité dans le but de la détruire. Au nom de l’« islamophobie », de la stigmatisation et de l’amalgame, les fondamentalistes s’attachent à déstabiliser et à fragmenter l’espace public en exigeant qu’il tolère les intolérants.

C’est cette stratégie que ne semblent pas percevoir certains des libéraux-laïcs (comme Jean-Louis Blanco et ses défenseurs, Jean Baubérot, …) ou qu’ils considèrent comme non réellement menaçante (comme Olivier Roy qui parle du « mythe de la menace islamique »). Leur argumentation mérite d’être entendue, car elle n’est pas dénuée de sens[1] :
1) Si les islamistes nous obligent à renoncer à nos principes libéraux, ils auront gagné, parce qu’ils auront réussi à nous détruire sans presque combattre (argument de Blanco) : il faut donc maintenir coûte que coûte la laïcité libérale.
2) La menace islamiste est un « mythe » parce que cet islam radicalisé, mixte monstrueux d’ancien et de moderne, ne peut pas gagner dans la mesure où il ne propose rien de positif. Il faut garder son sang froid face à l’émotion de l’événement et de pas changer de route.

Ces deux arguments sont audibles et respectables, mais ils sont très discutables.

1) Contre le premier argument, je dirai que l’on peut lutter contre les adversaires de laïcité sans renoncer aux principes libéraux : c’est la position défendue par Régis Debray (Laïcité au quotidien, guide pratique, avec Didier Leschi, Folio) ; elle me va bien. Pour lui, la laïcité n’est plus une question de principe, mais d’application des principes. Et les égarements de notre temps viennent d’une grande confusion dans cette application : faut-il du halal à la cantine ? NON ! Le voile jusqu’où : les cheveux, la tête, les yeux, l’école, le lycée, l’université, la rue ? Etc … Toutes ces questions sont plus casuistiques que principielles : elles exigent talent, fermeté et médiation ; plus que lois, déclamations et effets de manche ! Le critère en la matière est simple et clair : efficacité !
Aurais-je l’audace de rappeler que c’est ce que j’écrivais dans l’article « Laïcité » du Dictionnaire des sciences humaines (dir. S. Mesure et P. Savidan, PUF) paru en 2006 ? On peut appliquer avec plus de fermeté et de rigueur les principes (libéraux) de la laïcité sans les détruire : il y a même une (très) belle marge. Encore faut-il avoir les idées claires … et c’est cette confusion des esprits plutôt que l’atteinte aux principes que révèlent les égarements passés et présents.

2) Contre le deuxième argument, je dirai qu’en effet l’islamisme radical ne peut pas gagner … mais qu’il peut en attendant faire de très gros dégâts. Et si l’on veut les limiter, il nous faudra collectivement être un peu plus habiles, moins naïfs et surtout plus vigilants qu’on ne l’a été jusqu’alors. Comme je suis un indécrottable optimiste, j’ai tendance à penser que la vigueur des conflits actuels sur le sujet en est le (bon) signe.




[1] Je laisse évidemment de côté ici des arguments moins désintéressés qui voient dans l’électorat islamiste un réservoir utile de voix pour les élections locales … Mais sans nier le moins du monde qu’une telle stratégie délétère non seulement existe mais est affichée et promue … !

4 commentaires:

  1. Un état laïc, comme une personne athée, doit élaborer et appliquer ses règles morales sans l'aide de Dieu ... C'est pas facile tous les jours ! Mais votre optimisme est communicatif. Peut-être, à force de vigoureux conflits, parviendrons nous à devenir adultes, tous ensemble.

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  2. Comme il est fort justement rappelé, la loi de 1905, c est la neutralité ou tendance libérale. Appliquons la telle qu elle est écrite, mais cela ne va pas assez loin pour certains. Peut on aller plus loin? Oui, mais il faut ouvrir un debat pour ca, car contrairment a ce que beaucoup de laique tendance petit pere Combes pensent c est la tendance Brian qui est dans la loi. Donc la loi ça se charge, mais est le parlement!

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  3. Tout dépend de ce que l'on appelle laïcité libérale. Certains philosophes comme Catherine Audard estiment que la véritable laïcité libérale est celle défendue par Rawls et qui refuse la neutralité puisque celle-ci serait impossible, certains cadres législatifs avantageant dans les faits certaines religions. En effet elle considère que nos sociétés occidentales se cachent derrière un principe de neutralité formelle mais avantagent de manière réelle par exemple le protestantisme par rapport à la religion musulmane. Si nos sociétés sont capitalistes alors cela avantage indirectement les protestants et désavantage les musulmans. C'est une vision où la vraie neutralité serait de mettre à égalité les religions, et bien sûr une vision marxiste de l'égalité réelle. C'est absolument contraire à la vraie vision libérale puisque pour une égalité réelle il faudrait se plonger dans les dogmes de chacun, ce qui est complètement contraire au principe même de la laïcité. Je cite : "La tolérance-indifférence est insuffisante et insultante pour les minorités religieuses." Elle ose qualifier sa vision marxistoïde de la laïcité de libérale, mais chez une personne qui considère Keynes et Rawls comme étant plus libéraux que Von Mises et Hayek, ce n'est pas très surprenant. Cette " laïcité" ouverte ( au sens de tolérance forcée) et égalitariste est tout aussi opposée à la laïcité libérale que ne l'est le laïcisme. Je voudrais savoir si vous pensiez à elle ou Liogier lorsque vous parlez des adversaires de la laïcité. Et à quels débats et mesures précisément vous pensiez lorsque vous parlez de " marge " ? Qu'est-ce qu'est " être ferme et efficace " lors qu'il s'agit d'appliquer les principes de la laïcité ? Merci pour vos réponses éventuelles

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  4. Désolé du double post : Pensez vous que ce qui motive la loi de 2004 est la laïcité ou l'ordre public/ le fait que les usagers soient mineurs ? Pensez vous que la loi de 2011 sur la Burqa est motivée par la laïcité ou alors là aussi par l'ordre public ? Merci pour ces éclaircissements.

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