samedi 4 juin 2022

Comment Macron dissout l'Assemblée nationale avant même les élections

Tribune parue dans Le Figaro, le 4 juin 2022 




    Quel sens de l’à-propos ! Dans un entretien à la presse régionale (4 juin), quelques jours avant les législatives, le Président de la République annonce que le Parlement ne sert … à rien. Telle est la « nouvelle méthode ». Il faut citer pour le croire : « je veux réunir un Conseil National de la refondation, avec les forces politiques, économiques et sociales, associatives, des élus des territoires et des citoyens tirés au sort » … « Je souhaite que la Première ministre et son gouvernement puissent le faire vivre ».

 Puis-je me permettre de traduire le message présidentiel en clair ? « Citoyennes et citoyens de France, vous pouvez aller voter par civisme les 12 et 19 juin, mais, franchement, je vous le dis, aucun des défis importants ne sera plus ni examiné ni relevé par l’Assemblée au cours des cinq années qui viennent. Donnez-moi seulement une majorité dans cette Assemblée afin que je puisse cesser faire appel à elle … ». On sait que la dissolution de l’Assemblée est une prérogative du Président. Mais a-t-on jamais vu une Assemblée dissoute avant même son élection ? 

 Est-ce que l’urgence actuelle justifie une telle thérapie institutionnelle de choc ? Avancée par le Président, la comparaison avec le Conseil National de la résistance est trompeuse, car, en 1943, la République n’existait plus. Aujourd’hui la Ve est, à ce qu’on sache, toujours présente, avec des institutions, dont on peut certes critiquer le fonctionnement, mais qui sortiront encore plus affaiblies de cette concurrence « hors cadre ». En ajoutant un Conseil National de la Refondation, la représentation nationale se trouvera irrémédiablement « éparpillée façon puzzle », avec des « chocs de légitimité », comme on en a vu lors de la « Convention citoyenne pour le Climat » ou, dans un autre contexte, à l’occasion du Brexit anglais (référendum vs Parlement). On l’a constaté à chaque fois : cette démultiplication d’instances ne contribue pas à l’efficacité politique, mais nous condamne au contraire à davantage d’impuissance publique. Ce remède me paraît donc porteur d’effets secondaires désastreux. 

    Mais critiquer la thérapie n’empêche pas de reconnaître la justesse du diagnostic qui l’inspire. 

 • Car, oui, il y a un blocage institutionnel. L’Assemblée nationale ne remplit plus correctement son rôle ni délibératif ni législatif. Les lois qu’elle produit sont mauvaises, nourries par des analyses défaillantes, alimentées par des débats sans intérêt. Pourquoi ? D’abord parce que le quinquennat présidentiel l’a privée de sa propre temporalité électorale et a ainsi réduit sa légitimité démocratique comme peau de chagrin : elle est devenue une simple chambre d’enregistrement de l’exécutif. Ensuite, parce que l’interdiction du cumul des mandats a produit des députés hors sol, déconnectés des territoires et des réalités du quotidien. Faut-il le rappeler ? L’autorité d’un élu national ne vient pas seulement de son élection, mais très souvent de sa pratique d’élu local. L’Assemblée nationale a ainsi perdu sa légitimité à la fois temporelle et spatiale. 

 • Car, oui, les problèmes fondamentaux de notre pays ne sont nulle part abordés de manière complète et correcte. Le Président en dresse une liste convaincante : l’indépendance nationale (industrielle, militaire, alimentaire, …), le plein-emploi, la neutralité carbone, les services publics (pour l’égalité des chances), la renaissance démocratique. A quoi j’ajouterais tout de même quelques autres « petits » sujets, glissés sous le tapis : l'endettement astronomique du pays, la mise en cohérence de notre politique migratoire, les nouveaux défis de la sécurité et la redécouverte de la laïcité. Sur l’ensemble de ces points, comme le dit très bien, et de l’intérieur, le député François Cornut-Gentille, nos gouvernants en place, cachent les problèmes pour faire croire qu’ils maîtrisent la situation. Quand l’actualité leur donne tort, ils bricolent à la hâte une loi qui ne résout rien, et qui, après un mauvais débat, masque de légers symptômes, en repoussant à plus tard le diagnostic et le traitement de fond. Ce plus tard ne vient jamais. 

 Le blocage institutionnel pour traiter ces sujets est donc bien réel, mais le court-circuitage de la représentation nationale aurait un effet désastreux. L’issue de ce dilemme se dégage de sa formulation. Au lieu d’installer une instance douteuse et incertaine, la tâche de la refondation doit être solennellement confiée aux trois assemblées : Assemblée nationale, Sénat et Conseil économique social et environnemental (CESE). Il me semble qu’on y trouve quelques élus, y compris encore « de terrain », soucieux de l’intérêt général plus encore que de celui de leur parti. Au sein du CESE, qui, certes, n’inspire pas l’enthousiasme, se trouvent un certain nombre de représentants des réalités économiques, sociales et environnementales du pays qui pourraient avoir des choses à dire. Et il ne tient qu’à ces trois assemblées de se constituer, si elles le souhaitent et avec toute la rigueur requise, un panel de citoyens tirés au sort. De la sorte, il n’y aurait pas de concurrence déloyale entre plusieurs « représentations » du peuple. Et les citoyens pourraient se rendre aux urnes dans une semaine en se disant que leur vote pourrait peut-être servir à quelque chose. Enfin, — mais là c’est un rêve — cette semaine pourrait être une semaine de vraie campagne électorale.

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