samedi 19 mars 2022

Vote blanc — Vote par « jugement majoritaire » — vote électronique … : de l'inutilité des gadgets en démocratie !

Puisque nous sommes à l'approche de l'élection et dans la crainte d'une forte abstention pour celle, royale, de la présidentielle, je me permets de republier cette critique de la revendication très répandue de « reconnaissance du vote blanc ». 

Je pense d'ailleurs qu'aucun gadget électoral (reconnaissance du vote blanc, vote électronique, vote par jugement majoritaire, …) n'est à la hauteur des difficultés de la démocratie contemporaine. Le croire c'est se tromper lourdement de diagnostic sur la crise de la démocratie qui vit moins une « crise de la représentation » (côté demos) qu'une crise de « l'impuissance publique » (côté cratos). A quoi bon voter pour des élus qui n'ont aucun pouvoir d'agir? A quoi bon voter quand tout montre que, si l'on veut faire changer les choses, d'autres instruments sont plus efficaces, même lorsqu'on est minoritaire : une bonne désobéissance civile médiatisée, une action d'éclat un peu violente, un coup médiatique bien markété, … ! La démocratie libérale est toujours dans la recherche de d'équilibre entre abus de pouvoir et déficit d'action. Paul Valéry l'avait bien formulé : « si l'Etat est fort, il nous écrase ; s'il est faible, nous périssons ». Nous sommes dans le deuxième terme de l'alternative, mais nous pensons encore dans le contexte du premier. Telle est la principale erreur de ceux qui considèrent qu'il faut accroître les contrôles des élus, la participation citoyenne, … sans voir que cela va au rebours de l'intérêt général. 

Quant aux gadgets proposés, leur absurdité sautera aux yeux dès qu'on les transposera par exemple au foot. • Reconnaissance du vote blanc, c'est permettre à ceux qui ont refusé de jouer d'influer sur les résultats. • Elections par jugement majoritaire, c'est considérer que les buts marqués ne reflètent pas la vraie réalité : le résultat d'un match doit être le fruit d'un jugement du public sur chacun des joueurs, et la moyenne fera le vainqueur. C'est un peu comme si on demandait au  journal L'Equipe de trancher !

Le vote est une décision politique, et comme toute décision politique, il ne se fait que très rarement entre un bon et un mauvais choix, mais entre une mauvaise option et une pire. En votant, le citoyen prend conscience de la vérité de l'art politique, de sa dimension « tragique », et de la difficulté qu'il y a à vivre en commun. Aucune baguette magique ne pourra ôter cette dimension à la politique : le croire, c'est se leurrer. 

Cinquante nuances de (vote) blanc … 


Sans surprise, à l'approche des échéances, la revendication de reconnaissance du vote blanc revient ! Et parfois même comme l’unique planche de salut pour une démocratie en perdition. 
Il faut donc, encore une fois, rappeler en quoi, du point de vue même de l’idéal démocratique, une telle reconnaissance serait nocive. 




1) Le vote blanc permet de comptabiliser les voix de ceux qui ne se reconnaissent pas dans l’offre politique 
Contre — Jamais l’offre politique n’a a été aussi vaste et variée, de l’extrême droite à l’extrême gauche, en passant par les partis animalistes et autres. Si des citoyens ne se reconnaissent pas dans une telle offre très variée et plurielle, il suffit qu’ils fassent l’effort de se présenter aux élections plutôt que d’attendre qu’on leur apporte un candidat sur mesure. Demander la reconnaissance du vote blanc, témoigne d'une vraie paresse civique.

 2) Le vote blanc permet de comptabiliser les voix contestataires, anti-système ! 
 Contre — Il n’y a aucune raison que les démocraties prêtent le flanc aux adversaires du système démocratique. Nos régimes sont construits sur des règles du jeu politique, que l’on peut contester dans l’espace public, mais auxquelles on doit obéir dans l’espace juridico-politique. La vie commune se fonde sur l’acceptation des règles communes. 

 3) Le vote blanc montrerait la très faible légitimité des gouvernants en place, car si on le comptabilisait les majorités seraient infimes. 
Contre — Fort bien ! Et cela produirait quoi ? Des démocraties encore plus ingouvernables ; un déficit symbolique de légitimité encore plus avancé : en quoi, cette révélation résoudrait en quoi que ce soit la crise de légitimité des démocraties ? En quoi cela résoudrait-il les défis de la crise de la représentation et de l’impuissance publique ? En rien … Une solution qui ne résout rien, donc.

4) La reconnaissance du vote blanc permettrait de contraindre les élus à tenir enfin leur promesse. 
Contre — Où l’on retrouve la confusion habituelle entre mandat impératif et mandat représentatif. Dans une démocratie représentative comme la nôtre, l’élu n’est pas le porte-parole ou le commissaire (celui qui fait les commissions) de ses électeurs. Dès qu’il est élu par ses électeurs, il devient le représentant de la volonté générale. Le député élu dans le Var ne représente pas le Var, mais la France dans son ensemble. Il est quelqu’un à qui on accorde sa confiance, par délégation, pour cinq ans. Le programme sur lequel il est élu permet de faire connaissance avec lui, mais ne l’engage nullement autrement qu’en conscience. Ce n’est pas un contrat, ni même un « contrat de confiance ». D’ailleurs cette expression, publicitairement géniale, n’a intellectuellement aucun sens : quand il y a confiance, pas besoin de contrat ; et quand il y a contrat, c’est qu’il y a défiance. 

5) Le vote blanc est une expression politique comme une autre qui mérite d’être reconnue. 
Contre — • Une expression : mais laquelle ? S’agit-il d’une déception à l’égard ‘un candidat, d’une protestation contre une offre électorale, d’une indignation contre le système démocratique lui-même. Il y a bien plus de cinquante nuances de (vote) blanc … L’interprétation du silence, même ostensible, est toujours sujette à caution … Aussi difficile à interpréter d’ailleurs, que l’abstention elle-même, qui est très souvent reliée à des facteurs non politiques (âge, CSP, niveau culturel, stabilité résidentielle, sociale, professionnelle, existentielle, …). 
    • Une expression politique : on peut en douter, car il s’agit plutôt de la négation de la politique. En effet, en votant le citoyen se met en situation de représentant et de décideur. Il représente tous ceux qui ne votent pas (les mineurs, les générations futures, les générations passées) et il doit décider comme un politique. Or, en politique, on ne décide que rarement entre le bien et le mal, mais souvent entre le mal et le pire. Le vote est donc cet acte par lequel le citoyen se met en situation de décision face à une réalité qui sera forcément décevante, y compris s’il « adore » son candidat (ah ! les déçus du macronisme …). La démocratie est un régime de déception, ce pourquoi elle est le fait d’adultes consentants, qui ne prennent pas les messies pour des lanternes ni leurs désirs pour des réalités. 
Dans l’Athènes très démocratique, le citoyen qui refusait de prendre parti était condamné à l’exil : il fallait toujours choisir son camp, camarade ! La démocratie contemporaine permet le vote blanc : c'est déjà ça ; mais elle n’a pas à reconnaître ce degré zéro de la politique

2 commentaires:

  1. "En votant, le citoyen prend conscience de la vérité de l'art politique"
    Est-ce bien sûr?
    Prendre conscience , ça veut dire selon moi quitter des raisonnements induits par son propre inconscient, ou ses émotions. Ou pire encore, induits par des leaders charismatiques capables de mobiliser les foules par leurs talents d'orateurs. Or j'ai l'impression que les votes se font par suivisme de leaders exploitant les émotions, pas par raison-nement.
    La vérité, vaste sujet à une époque où chacun a la sienne, qui vaut (sacro-sainte égalité) autant que n'importe quelle autre. Même si elle n'est qu'un ramassis de thèse complotistes et autres fake news. Quant à l'art politique, il est bien décrié de nos jours. Ceux qui l'exerce sur les conseils d'ALAIN, se disent qu'il faut pour atteindre ses buts, être d'habile politique. Je comprends cela ainsi,dans une optique utilitariste, mentir est louable si c'est pour arriver à un but maximisant le bien commun. Mêlant ces trois concepts (conscience, vérité, art politique), pour en prêter l'usage aux citoyen votant, cela me parait très optimiste...

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  2. "Dans l’Athènes très démocratique...." A mon sens, si nous pensons bien à la même chose (la république décrite par Platon), il manque la locution "soi-disant" devant les mots "très démocratique. La suite de la phrase, ironique, confirme d'ailleurs l'ironie de l'emploi des mots "très démocratique" à propos d'Athènes, cette ville où les femmes et les esclaves n'avaient justement pas le "droit de cité".

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