jeudi 18 août 2022

L'écologisme comme religion

Entretien pour le Figaro (9 août 2022 — propos recueillis par Eugénie Boilat)

 — https://www.lefigaro.fr/vox/societe/pierre-henri-tavoillot-avec-l-ecologisme-chacun-peut-esperer-se-sauver-en-lavant-la-nature-des-peches-des-humains-20220809



Depuis quelques mois, les élus écologistes multiplient les critiques à l’égard d’événements ou de traditions qu’ils jugent en contradiction avec un respect strict de l’écologie : Formule 1, Tour de France, sapin de Noël. Par ailleurs, Roland Garros ou des musées ont été le théâtre de revendications écologistes. Qu’est-ce que cela vous inspire ? 

 L’écologie politique renoue ici avec le geste révolutionnaire de la table rase. Pour elle, il y a l’homme du passé, enfermé dans ses habitudes, ses passions et ses superstitions nocives — le sport ou les fêtes en font partie — ; et il y aura l’homme nouveau : celui qui aura pris conscience de son aveuglement et qui agira pour se transformer du tout au tout. L’historienne Mona Ozouf a écrit de magnifiques pages sur cette idée d’« homme régénéré » à l’époque de la Révolution française (Gallimard). On la retrouve au cœur de tous les épisodes totalitaires et, à un degré moindre dans notre quotidien. Ainsi, l’expression si courante — « il faut changer les mentalités » et « cela doit commencer dès l’école », renoue avec l’objectif révolutionnaire d’éradiquer à la source l’abject Ancien régime (aujourd’hui, on dirait le productivisme, le consumérisme, le patriarcat, la vision coloniale …), grâce à une pédagogie renouvelée. Il faut aussi culpabiliser les individus (voire les menacer) pour les forcer à se « convertir » et à agir dans le sens de cette histoire que les élites éveillées (woke) sont les seules à comprendre. Alors seulement viendra la rédemption. Par où l’on voit que ce projet révolutionnaire n’est pas tant de donner le pouvoir au peuple que de changer le peuple. Mais ce que ne voient pas les adeptes de cet écologisme, c’est que la prise de conscience environnementale de la part de ce peuple, moins abruti qu’ils ne pensent, s’est faite à très vive allure, au point, d’ailleurs, de rendre leurs anathèmes inutiles. D’où la radicalisation de ce courant, toujours scindé, comme c’est le cas en Allemagne depuis une quarantaine d’année, entre les realos (les réalistes) et les fundis (les fondamentalistes). Le thème de « l’urgence climatique » participe de cette rhétorique totalitaire. Ce projet de tout changer tout de suite me rappelle « l’urgence industrielle », par laquelle Mao justifiait la politique du « Grand Bond en avant » en Chine. Résultat : une famine abominable et 36 millions de morts entre 1958 et 1961 ! Il me semble pourtant qu’on peut à la fois être conscient de l’extrême gravité de la situation environnementale mondiale et être prudent sur les politiques à mettre en place. Tellement d’erreurs furent commises au nom de l’urgence … 

Le sport, l’art, diverses formes du plaisir en outre, semblent être prohibées au service d’une écologie sacrificielle. L’écologie est-elle devenue la nouvelle grille de lecture morale du monde ? 

 Il y a une inversion étonnante. Pendant la majeure partie de l’histoire de l’humanité, la culture (la science, la raison, les mœurs, la technique …) était ce qui pouvait nous sauver de la violence aveugle de la nature (cataclysmes, épidémies, …). Une vision contraire émerge : la Nature idéalisée (verte, pure, bio, light, …) doit nous sauver des méfaits de la culture. C’est pourquoi il faut se méfier de la science, jouer l’émotion contre la froide raison, déconstruire les mœurs rassies et dénoncer la technique mortifère. Autrement dit, la Nature, c’est le Bien, et la culture, c’est le Mal. Ce renversement est excessif et même Jean-Jacques Rousseau n’allait pas aussi loin. Car il savait que la Nature n’a rien de moral. Chez elle, pas de sécurité sociale ; pas d’aide aux défavorisés, puisque, pour qu’un écosystème fonctionne, il est impératif que les gros poissons dévorent les petits. 

La déchristianisation marquée de la société française semble donc être accompagnée par une sécularisation d’idées chrétiennes. “Le monde moderne est plein d’anciennes vertus chrétiennes devenues folles. Elles sont devenues folles, parce qu’isolées l’une de l’autre et parce qu’elles vagabondent toutes seule.” écrit G.K Chesterton, auteur anglais du début du XXème siècle. Cette phrase peut-elle nous éclairer ? 

Tout à fait. Il y a dans l’écologisme plus que de l’écologie : une puissante spiritualité qui émerge sur les cendres des précédentes. On la croit scientifique, elle est mystique ; on la pense éthique, elle est religieuse. Rien ne le révèle davantage que son expression favorite : « sauver la planète » ! Comment ne pas voir dans cette formule un recyclage spectaculaire de l’antique question du salut. Elle n’a pas pris une ride : si l’homme est un mortel, ce n’est pas seulement qu’il meurt (à l’inverse des dieux) ni qu’il sait qu’il va mourir (à la différence des animaux), c’est surtout qu’il dispose d’un incontestable talent à gâcher sa vie. Cette vie brève, il ne la vit guère ; elle est constamment parasitée par la nostalgie et le remord du passé, l’espoir et la crainte du futur, la souffrance et l’ennui au présent. La première partie de l’existence se passe à préparer la seconde ; la seconde à regretter la première. D’où l’adage : si jeunesse savait, si vieillesse pouvait. Qu’est-ce qui peut nous sauver de cette cruelle condition de mortel ? 

En quoi « le salut de la planète » s’inscrit-il dans la continuité des grandes réponses à cette question ? 

Pour répondre, il faut en faire l’inventaire sommaire. J’en vois cinq principales. La première est le « salut traditionnel ». Pour neutraliser la peur de la mort, il ne faut rien changer : faire comme on a toujours fait, lutter contre les désirs d’innovation, faire confiance aux ancêtres et aux coutumes, cesser de nous croire exceptionnels. Hériter, imiter, répéter : voilà la seule et unique voie de ce salut très fataliste qui fait une confiance aveugle au groupe et se méfie de l’individu. C’est le conservatisme total du monde d’avant, pour lequel « changer les mentalités et les comportements » aurait été une abomination. Le contraste est tout aussi grand avec le « salut antique » des philosophes grecs. L’idée même de protection de la nature aurait fait hurler de rire Socrate, Aristote ou Epicure. Pour un Grec ancien, la nature est ce qui est éternel et divin ; ce par rapport à quoi l’homme est tout petit. Tout naît, tout croit, tout meurt : voilà ce qu’est la nature (physis) qui ne s’arrête jamais. Le seul salut possible pour l’homme consiste à (re)trouver sa place dans ce flux impitoyable. On se sauve par la nature (en la connaissant et s’y ajustant), mais on ne sauve pas la nature ! Troisième réponse, le « salut chrétien ». Pour lui, l’écologisme est une véritable hérésie. La raison ? Il n’y a qu’un sauveur du monde : Jésus, Salvator mundi, qui en a pour ainsi dire le monopole. Et c’est seulement en ayant foi en lui que le petit humain pourra espérer se sauver de la mort, ce qui passe à la fois par des actes et par la grâce. La Création mérite certes des égards, mais aucun humain ne peut prétendre la sauvegarder. Le « salut communiste » reprend la logique chrétienne, avec plusieurs déplacements : le Parti à la place de l’Eglise, son chef à la place du Christ, le Capital au lieu des Evangiles et l’abondance sur Terre plutôt que le paradis au Ciel. Aucune place n’est faite aux limites de la planète, car, pour lui, se sauver, c’est contribuer à la société sans classe. Une cinquième offre possible sur le marché du salut est « le développement personnel » ou self help. Pour elle, il est possible de se sauver soi-même, indépendamment de dieu, du monde et des autres. Ma petite personne devient le seul critère d’une vie réussie qui ne visera pas plus loin que le souci de soi, la santé du corps et l’intensité de l’existence. Sa devise pourrait être le fameux « jouissez sans entrave, vivez sans temps mort » de Mai 68 ou si elle avait le sens de l’humour (ce qui est rarement le cas), ce mot de Pierre Dac : Je préfère « le vin d’ici à l’au-delà ». Dans ce panorama, l’écologisme offre une voie originale mêlant les ingrédients du passé. Il renoue avec l’esprit des religions séculières, notamment le communisme, mais avec un dogme renouvelé, où la science est suspecte. Il prône certes une révolution anticapitaliste, mais sans avenir radieux, puisque l’apocalypse climatique semble inévitable ; et plutôt conservatrice contre la modernité industrielle. On y retrouve aussi le culte païen de la Nature, mais associé à la toute-puissance de l’individu et l’espoir de retrouver une ferveur collective. Enfin il impose des normes de vie quotidienne, notamment alimentaires, dans une époque qui a prétendu s’en défaire. Bref, il répond à bien des aspirations contradictoires du présent, d’où son succès. Avec lui, chacun peut espérer se sauver en lavant la Nature des péchés des humains. C’est un séduisant recyclage spirituel dans un temps réputé en panne de sens !

Illustration parmi d'autres : A l'occasion d'une conférence sur la démocratie dans un établissement privé catholique, je posais la question : « Qui est pour sauver la planète ? ». Dans le quart de seconde, toutes les mains se lèvent. Mais à cette autre question : « Qui est pour sauver son âme ? » ; il n'y eut d'autre retour qu'une incompréhension manifeste  …

2 commentaires:

  1. Si l'avenir de l'Homme est de plus en plus incertain, que personne ne sait encore comment les choses vont tourner, et surtout qu'aucun individu, aucun groupe, aucun état, même, n'est capable aujourd'hui d'inventer "la" solution et d'en imposer la mise en œuvre, alors il est sans-doute normal que les mouvements de l'écologie politique réagissent par le fameux "ces événements nous dépassent ; feignons d'en être les organisateurs !" ...

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  2. Devoir répondre à toutes les approximations, raccourcis et inepties que vous affirmez sur « l'écologisme » me paraît difficile sans tomber dans l'invective (pas tout à fait illégitime ici, mais sans doute inutile). Je me contenterais de revenir sur un point central de votre propos qui me semble le plus éloquent pour témoigner de votre inculture sur les pratiques et idées militantes écologistes actuelles.
    Vous considérez que « l'écologisme » (terme dont l'utilisation transpire d'un mépris que vous ne pouvez dissimuler) consiste en un retour en la nature, contre les imperfections de la culture (qui dans vos mots est associée à la sécurité sociale - notez l'ironie du renversement sémantique d'une conquête sociale dans une bouche réactionnaire !). D'où peut bien vous venir une vision si saugrenue ? Phantasmez-vous a ce point l'idiotie de vos adversaires ?
    Pour vous répondre sur le fond, la pensée écologiste se fait fi de la méprisable distinction ontologique entre nature et culture, et bien loin de préférer l'une à l'autre, trouve dans cette distinction l'origine même de la dégradation des deux faces d'une inséparable pièce. Si quelques entrepreneurs et gourous intéressés font bien leur beurre de ce retour à une nature indissociablement humaine que vous semblez décrire dans vos propos, les militants écologistes qui se font réellement adversaires du système que vous défendez ne sont pas dupes de l'impertinence de telles promesses. La pensée écologiste aujourd'hui (par exemple chez Descola que beaucoup affectionnent sans toutefois qu'il soit le seul à porter ce discours) se trouve précisément dans le dépassement de l'opposition nature/culture, et dans la reconnaissance des apories auxquelles elle mène. Reconnaître qu'il existe deux mondes séparés au sein de ce monde, c'est s'octroyer le droit d'exploiter celui qui n'est pas le sien, celui des êtres vivants non-humains, celui des ressources « naturelles » ,...
    Dernier point (non suffisant, mais non des moindres) pour vous répondre : la curieuse opposition que vous faites entre sécurité sociale (et plus généralement système social avantageux pour ceux qui y participent) et système social écologiste semble se faire volontairement aveugle et sourde à toute revendication militante qui puisse être portée, tant elle est absurde. Le dépassement de la nature et de la culture défendu par les écologistes aujourd'hui veut précisément penser les conditions de la viabilité de notre système social, c'est-à-dire la non-exploitation de l'homme par l'homme, des non-humains par l'homme, et du non-vivant par l'homme. Autrement dit, la pensée écologiste aujourd'hui ne peut être considérée autrement que comme le mariage d'une sécurité sociale (réellement sûre et réellement sociale !) et d'un mode de production non dommageable pour l'environnement.

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