vendredi 11 novembre 2022

Sur la désobéissance civile

 Chronique LCP du 10 novembre

LCP - Lien vers l'émission 


Les manifestations anti-bassines de Sainte-Soline et les différentes actions d’éclats des activistes du climat dans les musées ont remis sur le devant de la scène le thème de la « désobéissance civile ». 

 Oui, et cette notion n’est pas du tout facile à définir. Si l’on prend le texte de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, on note une ambivalence qui frise la contradiction. D’un côté, — article 2 — la possibilité de résistance à l’oppression est affirmée comme un droit naturel ; mais, de l’autre, l’article 7 reconnaît le caractère coupable de toute résistance à la loi. Cette dualité reflète un débat de fond que je résume ici à gros traits. 
• Pour certains (Hobbes et Kant), la désobéissance est toujours punissable, car il y a pire qu’un ordre politique inique : l’absence totale d’ordre, qui fait replonger dans l’état de nature et dans une vie « misérable, solitaire, dangereuse, animale et brève » (solitary, poor, nasty, brutish, and short). Il faut donc toujours obéir. 
• Pour Locke et les libéraux, la désobéissance est possible lorsque le pouvoir devient tyrannique au point de rompre le contrat social. Dans ce cas, l’Etat n’assure plus sa mission : lui résister n’est donc pas illégitime, puisqu’il n’est plus un Etat.

Cette notion « résistance à l’oppression » ne se confond pourtant pas avec celle de la « désobéissance civile » 

Oui, car il y a bien de la différence entre résister pour la démocratie (c’est-à-dire pour l’installer) et désobéir en démocratie (une fois qu’elle existe). L’appellation contrôlée de « désobéissance civile » (on devrait dire d’ailleurs civique) apparaît, plus tard, sous la plume du philosophe américain David Thoreau (1817-1862). En 1846, il refuse de payer une taxe destinée à financer la guerre contre le Mexique. Il est emprisonné. A son grand désespoir, sa tante paie une caution qui permet sa libération rapide. Mais il publie en 1849, le livre « la désobéissance civile » qui est la référence clé. 
Notez la différence avec la thématique de la résistance à l’oppression : nous sommes ici (les Etats-Unis) dans une situation, où il y a un Etat, et même un Etat de droit, avec des recours possibles (tribunaux, espace public, … ). Simplement une des décisions de cet Etat, prise, pourtant en respectant les règles électorales et majoritaires, heurte sa conscience de citoyen. Dans une telle situation : suis-je en droit de désobéir ou non ? 

Votre réponse ? 

Elle est claire : c’est Non. Il n’y a pas de droit à la désobéissance civile, car, cela reviendrait à reconnaître un droit de désobéir au droit ; ce qui évidemment serait absurde. 
Pourtant, si elle n’est pas un droit, la désobéissance civile est une pratique politique qui peut avoir sa vertu. Elle instaure un rapport de force et on l’exerce, à ses risques et périls, lorsqu’on estime, une fois que toutes les voies de recours ont été épuisées, qu’il faut, par un acte d’éclat, mais non violent, tenter de convaincre ses concitoyens (par l’exemple) qu’une décision ou une absence de décision est scandaleuse sur le plan des principes. 
Les moments glorieux de la désobéissance civile furent la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis ou contre les abjectes lois d’apartheid en Afrique du Sud. Et pour Martin Luther King et Nelson Mandela les risques et les périls encourus étaient considérables. L’histoire leur a donné raison. 
Ce qui révèle bien le problème : la légitimité d’une désobéissance civile n’apparaît jamais qu’après coup. Ce qui pose aussi la question du critère entre, si je puis dire, les bons et les mauvais désobéisseurs : faucheurs d’OGM, saboteurs de bassines, collectifs anti-avortement, adversaires du darwinisme et promoteurs du créationnisme dans l’enseignement : tous s’en réclament, mais serions-nous prêts à les suivre tous ? 

Comment séparer le bon grain de l’ivraie ? 

Il est sans doute impossible de répondre à cette question, mais ce qu’on peut dire néanmoins, c’est que pour conserver sa force et son efficacité, la désobéissance civile doit rester exceptionnelle. Rien de pire que la banalisation à laquelle on assiste aujourd’hui de la part d’individus qui cherchent plus à imposer leur point de vue qu’à suivre les règles de la délibération et de la décision démocratiques. Chez eux, la désobéissance devient une sorte de droit de veto personnel, perpétuel et absolu, qui ne tolère aucun contre-pouvoir, ne supporte aucune contradiction et n’encoure que très peu de risque. Au fond, avec eux, la désobéissance civile tend à n’être plus qu’une forme de délinquance incivile …

Voir aussi Tribune parue dans le Figaro le 29/01/2021

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