lundi 28 novembre 2022

Sport et politique

 Chronique sur LCP le 24/11/2022


La coupe du monde est lancée et le débat sur le boycott semble déjà loin. 

Oui, avec 12,2 millions de téléspectateurs pour la première sortie de l’équipe de France, on peut dire que la vox populi a plié le match : le boycott a été laminé. On le retrouvera peut-être si la France est éliminée de manière précoce ! Ce à quoi je ne veux même pas penser. Mais pour autant le débat sur les rapports entre sport et politique est loin d’être terminé. Tous ceux qui croyait l’avoir clos par cette formule magique : « il ne faut pas mélanger sport et politique » ont été ébranlé par un autre événement : le courage extraordinaire des joueurs iraniens, qui, avant leur match contre l’Angleterre, ont boycotté les paroles de leur hymne national (« sois immortelle ! sois éternelle ! République islamique d’Iran ») en signe de solidarité avec la révolution en cours. On les comprend : comment chanter la gloire de la République islamique quand les jeunes filles se font massacrer pour le simple fait de ne pas porter le voile ? Comment souhaiter l’« éternité islamique » alors que la théocratie autoritaire n’hésite pas à tirer sur sa jeunesse ? 

Les joueurs allemands eux aussi se sont distingués. 

Oui, avant leur match contre le Japon, tous les joueurs se sont faits photographier avec la main sur leur bouche pour protester contre l’interdiction par la FIFA de porter le brassard inclusif « On love ». On Love, c’est une référence au titre d’une fameuse chanson de Bob Marley qui a été imprimé sur fond arc en ciel dans le but de dénoncer les discriminations racistes et LGBT+phobes dans les stades. Je rappelle que le Qatar continue de considérer l’homosexualité comme un crime. 

Les deux gestes, iranien et allemand, sont-ils comparables ? 

La comparaison risque d’être un peu cruelle. 
 • Dans le cas iranien, je vois un acte politique et même héroïque contre un régime autoritaire ; c’est un acte très risqué, car ce silence durant l’hymne aura des conséquences sur la vie des joueurs et sur celles de leurs proches. Mais c’est une gifle donnée au régime, qui révèle au monde l’ampleur et la profondeur de la révolte. 
 • Dans le cas allemand, je vois surtout une opération de com., voire de marketing tout à fait dans l’air du temps. Je ne doute pas de la sincérité des joueurs dans la défense d’une cause très juste, mais c’est le communiqué simultané de la Fédération allemande de foot qui me trouble. Celui-ci proclame que ce geste n’est pas politique, mais a été fait au nom des « droits de l’homme » qui sont « non négociables » (nicht Verhandelbar). Or, si les mots ont un sens, quand ce n’est pas négociable, on ne négocie pas. Donc en toute cohérence l’équipe d’Allemagne n’aurait pas dû jouer son match, car jouer, c’est négocier. 
Voyez toute la différence entre les joueurs iraniens et les joueurs allemands : les premiers prennent des risques réels et même immenses ; les seconds n’en prennent aucun : ils veulent à la fois faire la leçon aux méchants, avoir bonne conscience et gagner la coupe du monde. Ce n’est pas de la politique, en effet : c’est ce que Nietzsche appelait la « moraline ». 

 Vous êtes bien sévère 
 
Peut-être, mais l’enseignement ultime de ces deux événements est que la Coupe du Monde continue d’être un théâtre universel sans équivalent : il s’y joue des comédies et des tragédies, des pastiches et des impromptus, des bonnes et des mauvaises pièces. Peu importe, car la planète entière, par ailleurs si divisée, se réunit pour les regarder avec passion. On parle de plus en plus de démondialisation économique et géopolitique, mais le foot reste un élément unificateur unique. C’est d’ailleurs une énigme : pourquoi ce sport de tricheurs, des râleurs, de mauvais comédiens qui se roulent par terre au moindre contact … ; pourquoi ce sport rempli d’injustice, aux règles bizarres et dégoulinant de fric … pourquoi ce sport est-il LE sport du monde qui parvient à rassembler tous les continents, toutes les classes, tous les sexes, toutes les générations et toutes les civilisations ? Je rêverais d’avoir l’avis de Shakespeare sur la question du foot comme théâtre mondial. Mais il y a une chose dont je suis sûr, c’est que lui n’aurait jamais dit : « il ne faut pas mélanger théâtre et politique » !

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