Libéraux vs Républicains
Au bon vieux temps, les
clivages étaient clairs : la gauche détestait la droite qui le lui rendait
bien. Certes, on ne savait pas toujours pourquoi, comme dans les vieilles vendettas
familiales ; mais on ne se posait pas de questions : il fallait
battre l’ennemi pour la conquête ou la conservation du pouvoir. Etre de gauche
ou être de droite, c’était d’abord une affaire de fidélité. Aujourd’hui tout
est devenu plus compliqué (mais est-ce dommage ?), parce qu’une multitude
de sous-clivages viennent brouiller la belle évidence de jadis, et traverser
des camps adverses bien moins sûrs de leur identité. Parmi eux, il en est un
particulièrement mystérieux, celui qui oppose les libéraux aux républicains.
On
pourrait objecter qu’en France, contrairement aux Etats-Unis où les républicains
sont à droite et les libéraux à gauche, un tel clivage n’existe que très peu.
Chez nous tout le monde (ou presque), de l’extrême gauche à l’extrême droite,
se déclare républicain, et personne (ou presque) n’ose s’afficher libéral : beurk, quel gros mot ! Et pourtant si l’on considère les idées
de base du libéralisme politique, à savoir : le respect des libertés
fondamentales (y compris d’entreprise et de circulation des personnes et des
biens), la limitation du pouvoir de l’Etat, la place centrale du droit,
l’esprit de tolérance, le principe de la représentation, — on pourrait
penser qu’en fait tout le monde est aussi libéral.
Peut-être sommes-nous d’ailleurs voués, parce que démocrates, à être tout à la
fois libéral et républicain. Mais nous pouvons aussi l’être plus ou moins. Et
d’ailleurs, sous l’unanimité (affichée ou occultée) de principe, l’opposition se
recompose et divise à l’intérieur de la gauche comme de la droite. Comment
établir une ligne de démarcation ?
Il
y a, je crois, trois principaux points de clivages qui portent sur le rapport à
la morale, à l’argent et au pouvoir. Première différence : pour améliorer
le fonctionnement de la cité, le républicain va miser sur la vertu du citoyen,
tandis que le libéral se contentera de l’action du droit. Les institutions «
républicaines », écrit ainsi Kant dans un texte à vrai dire plus libéral que
républicain (Projet de paix perpétuelle),
doivent pouvoir fonctionner, « même pour un peuple de démons pourvu qu’il
ait quelque intelligence ». Car, vouloir moraliser les individus fait encourir
un risque grave à la liberté. Tandis que le républicain préférera ce danger à
celui de l’immoralité.
Le
deuxième désaccord concerne l’argent. Les républicains ne l’aiment pas, parce
qu’il pourrit tout, alors que les libéraux s’en accommodent, car comment faire
autrement ? Ce qui explique aussi qu’on puisse les soupçonner, par
indulgence coupable, de l’aimer un peu trop.
La
troisième différence est peut-être la plus décisive. Les républicains insistent
sur l’unité du corps politique (une
Nation, un Etat, un Peuplen un chef),
tandis que les libéraux s’en méfient comme autant de tentations absolutistes. A
l’unité, ils préfèrent les séparations et les divisions qui permettent,
selon eux, d’en éviter les dérives liberticides ; face au pouvoir, ils
multiplient les contre-pouvoirs.
C’est
ce dernier point qui suscite aujourd’hui le plus grand désarroi. D’un côté, les
républicains, sont confrontés à l’impuissance publique dans la gestion des
crises économiques, environnementales et diplomatiques dont le cadre dépasse de
beaucoup l’unité qu’ils vénèrent : celle de l’Etat-Nation. Mais, d’un
autre côté, les libéraux voient les limites du système des checks and balances (contrôles et contrepoids) qui affaiblit encore
plus un pouvoir déjà moribond. Voilà donc un beau défi pour la philosophie
politique contemporaine à venir : le républicanisme pourra-t-il
s’élargir ? Le libéralisme saura-t-il se réconcilier avec le
pouvoir ?
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